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Les mesures d’accompagnement : un dispositif de protection adapté ?

Les mesures d’accompagnement, introduites en 2004, sont perçues différemment et parfois représentées comme une entrave à la flexibilité du marché du travail. En y regardant de plus près, il semble que ce dispositif de protection agit de manière ciblée et qu’il est fortement basé sur le partenariat social. L’efficience du marché du travail suisse n’en a pas été affectée.
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Les salaires dans le bâtiment sont particulièrement élevés comparés à ceux versés dans l'UE. Mineur le tunnel de Bözberg.

Les inspecteurs du marché du travail ont contrôlé plus de 160 000 personnes dans 42 000 entreprises à travers la Suisse l’an passé. Comme le montre le rapport annuel du Secrétariat d’État à l’économie (Seco) sur la mise en œuvre des mesures d’accompagnement à la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne (UE), les entreprises ont majoritairement respecté les conditions de travail et de salaire. Certains abus ont, tout de même, été relevés[1].

L’accent est particulièrement mis sur le contrôle des prestataires de services transfrontaliers provenant de l’UE. Ces derniers effectuent principalement de courts séjours en Suisse, généralement dans la construction ou l’industrie. Un tiers de ces prestataires ont été contrôlés l’année passée. Un quart des entreprises de détachement examinées ont commis des infractions aux conditions de salaire obligatoires, selon les organes d’exécution.

Les mesures d’accompagnement ne font pas l’unanimité[2]. D’une part, les contrôles sont considérés comme une charge administrative importante pour les entreprises qui en font l’objet. D’autre part, les nouvelles mesures collectives adoptées pour lutter contre les abus, comme l’extension facilitée d’une convention collective de travail (CCT) existante, sont perçues comme une intervention étatique trop contraignante pour le marché du travail.

La Suisse, un pays à hauts salaires


Que penser de ces objections ? Les mesures d’accompagnement sont-elles réellement nécessaires ? Lors de leur introduction en 2004, elles étaient essentielles : elles répondaient à la crainte que l’ouverture du marché du travail n’entraîne à la baisse le niveau élevé des salaires suisses. Ces derniers présentent encore des différences considérables avec ceux de l’UE et la forte immigration de ces dernières années n’a pas apaisé les inquiétudes en matière de pression salariale. Alors qu’en Suisse, le salaire horaire moyen s’élevait à 33,7 euros en 2014, il atteignait 15,2 euros dans l’UE, soit moins de la moitié.

La réputation de la Suisse en tant que pays à hauts salaires est donc avérée, même lorsque l’on prend en considération le coût de la vie, élevé lui aussi en comparaison européenne (voir illustration). En parité de pouvoir d’achat, les salaires suisses demeurent également au-dessus de la moyenne dans des branches faiblement rémunérées, comme l’hôtellerie-restauration ou le commerce. C’est aussi le cas pour la construction, branche dans laquelle un nombre important de prestataires de l’UE sont actifs. Ainsi, dans le bâtiment, le salaire horaire moyen d’un ouvrier, calculé en parité de pouvoir d’achat, est 1,3 fois plus élevé en Suisse qu’en Allemagne et 2,3 fois plus qu’en Pologne[3]. Certes, les emplois aux exigences élevées sont attractifs pour la main-d’œuvre étrangère, mais les activités simples et à bas salaires le sont donc également.

Salaire horaire moyen en parité de pouvoir d’achat (2014)




Remarque : l’ensemble de l’économie regroupe l’industrie, la construction et les services (sans l’administration publique, la défense et la sécurité sociale obligatoire). Seules les entreprises avec dix salariés et plus sont prises en compte.

Source : Eurostat / La Vie économique

Des mesures collectives peu sollicitées jusqu’à présent


Afin que les salaires ne soient pas mis sous pression, des contrôles ciblés ou par écrit sont effectués dans les entreprises. La charge administrative y afférente est toutefois nettement plus faible qu’avant l’introduction de la libre circulation des personnes[4]. Pour rappel, le système de contingents obligeait alors les employeurs à soumettre préalablement et au cas par cas une demande d’autorisation aux autorités cantonales. Ces dernières vérifiaient systématiquement, en sus de la préférence indigène, le respect des conditions de travail et de salaire avant que l’entreprise puisse engager une personne résidant à l’étranger. À l’inverse, les contrôles sous le régime des mesures d’accompagnement se réalisent en aval et là où des abus sont suspectés.

Dans les branches où les partenaires sociaux se sont dotés d’une CCT qui fixe les standards minimaux, c’est la branche elle-même qui vérifie le respect de la convention. Il en était déjà ainsi avant l’introduction des mesures d’accompagnement.

Les contrôles par les commissions tripartites cantonales, dans les branches sans CCT étendues, sont au contraire nouveaux. Lors d’un constat de sous-enchère salariale abusive et répétée, ces commissions, composées de représentants des patrons, des travailleurs et des autorités cantonales, peuvent proposer des mesures collectives au Conseil d’État ou au Conseil fédéral. Ces derniers peuvent, par exemple, édicter des salaires minimaux limités temporellement ou étendre une CCT à une branche entière sous certaines conditions facilitées. De telles mesures n’ont été jusqu’à aujourd’hui que très peu sollicitées. L’extension facilitée n’a été appliquée, durant ces treize dernières années, que dans le canton de Genève et, au niveau fédéral, pour la branche du nettoyage en Suisse alémanique. Il est donc impossible de conclure à une régulation générale du marché du travail par l’État, suite à l’introduction des mesures d’accompagnement.

L’absence de toute réglementation supplémentaire est notamment due au fait que les travailleurs immigrés complètent en grande majorité la main-d’œuvre indigène ; les deux populations ne se font donc pas concurrence[5]. Les contrôles sur place ont, en outre, un effet préventif. Ces dernières années, la plupart des prestataires étrangers qui souhaitaient continuer d’offrir leurs services en Suisse se sont ainsi montrés coopératifs et prêts à respecter les salaires en usage[6].

Augmentation des CCT étendues


Les préjudices que la libre circulation des personnes semblait vouloir occasionner au marché du travail apparaissent finalement maîtrisés, notamment grâce à des instruments antérieurs à l’accord sur la libre circulation. Ainsi, le nombre de CCT qui ont été étendues de manière obligatoire selon la procédure ordinaire, aux niveaux national et cantonal, est passé de 41 à 71. Cela provient notamment du fait que la loi sur les travailleurs détachés, analogue à la directive européenne correspondante, oblige les prestataires de services étrangers à respecter les salaires minimaux fixés dans les CCT étendues.

L’idée selon laquelle les CCT étendues progressent dans tous les secteurs économiques est néanmoins fausse. Plus de la moitié d’entre elles concernent la construction, branche dans laquelle environ 50 % des prestataires originaires de l’UE sont actifs depuis 2005.

L’extension d’une CCT a pour effet de limiter la concurrence en ce qui concerne les conditions de travail et de salaires. En dehors de cela, elle fonctionne dans son intégrité. La forte augmentation des prestations transfrontalières depuis 2004 n’indique apparemment pas que le nombre croissant des CCT étendues ait empêché les fournisseurs étrangers d’accepter et d’effectuer des mandats en Suisse[7].

Dès les années cinquante, lors de l’élaboration de la loi fédérale permettant d’étendre le champ d’application des CCT, le Parlement s’était montré clair : cette pratique ne devait pas entraver l’accès au marché. À l’inverse de certains pays, comme la France, où les CCT sont étendues quasi automatiquement, la loi suisse a encadré cette possibilité avec précision. Elle s’est, de ce fait, assurée qu’une minorité n’impose pas de conditions de travail et de salaire à une majorité de la branche et que ses intérêts fondés soient pris en compte[8]. La représentativité des partenaires sociaux parties du contrat joue à ce titre un rôle central.

Un marché de l’emploi toujours efficient


Par rapport à la politique du marché du travail, les CCT – ou le principe de négociations salariales collectives – peuvent avoir des effets positifs et négatifs[9]. Des conditions de travail et de salaire obligatoires permettent par exemple de réduire les coûts de transaction pour les employeurs et les employés. Le processus de formation salariale en est clairement simplifié et réglé de façon transparente. De plus, cela favorise la paix du travail, stabilisant ainsi les rapports entre les employeurs et les employés. Finalement, les négociations menées par les partenaires sociaux reflètent mieux la réalité économique d’une branche spécifique qu’un salaire minimum étatique, comme c’est aujourd’hui le cas dans beaucoup de pays.

À l’inverse, la problématique des « insiders – outsiders » et la segmentation du marché du travail qui en découle sont évoquées comme des aspects négatifs. Selon ce modèle, les CCT peuvent, lorsqu’elles sont ajustées exclusivement aux intérêts des titulaires d’un emploi (« insiders »), diminuer les chances d’emploi des « outsiders » (en recherche d’emploi). Elles renforcent de ce fait la dualité du marché du travail. Les augmentations de salaires négociées peuvent également être dommageables si elles ne prennent pas suffisamment en compte la réalité économique des entreprises, en particulier en cas de CCT étendues.

Dans le cadre de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS), l’Office fédéral de la statistique (OFS) interroge les entreprises afin de savoir si leurs salaires sont négociés individuellement, entre les employeurs et les employés, ou collectivement, dans le cadre de CCT d’entreprises ou d’associations par exemple. Un aperçu de l’évolution salariale entre 2004 et 2014, dans les branches du secteur privé avec et sans négociations salariales collectives montre, au niveau agrégé, que les partenaires sociaux prennent généralement en compte l’environnement macroéconomique lors de telles négociations (voir tableau). Ainsi, la croissance de 1,19 % du salaire nominal annuel dans les entreprises où les conditions de travail et de salaire ont été négociées collectivement se situe, dans la période considérée, légèrement en dessous de l’évolution salariale des entreprises à négociations individuelles.

Évolution salariale : négociations collectives et individuelles (2004-2014)






Secteur privé Croissance du salaire nominal annuel (salaire médian, 2004-2014) Salaire médian (2014) Salaire médian / 1er quartile (ratio, 2014)
Entreprises avec négociations salariales collectives 1,19 % 5856 francs 1,22
Entreprises avec négociations salariales individuelles 1,25 % 6500 francs 1,27


 

Remarque : une mesure de l’inégalité est la relation entre le salaire médian (50 % des travailleurs gagnent moins que ce montant) et le 1er quartile (25 % gagnent moins que ce montant).

Source : ESS (OFS), calculs des auteurs / La Vie économique

Du fait que les conventions collectives suisses sont surtout conclues dans les segments à moyens ou bas salaires, le niveau des rémunérations faisant l’objet de négociations collectives est faible – ce qui est d’abord dû à la composition des branches. La répartition des salaires au bas de l’échelle[10] est au contraire moins inégale dans les domaines où ceux-ci sont négociés collectivement. C’est là un indice que les CCT ont une fonction de rééquilibrage.

L’OCDE étudie l’impact des CCT


Il est difficile de cerner scientifiquement l’impact des mesures d’accompagnement, et plus particulièrement de l’augmentation du nombre de CCT étendues depuis 2004, sur la performance du marché suisse du travail. Globalement, rien n’indique toutefois que son efficience en ait été entravée. Selon les Perspectives de l’emploi de l’OCDE, publiées récemment, la Suisse est l’un des pays membres les plus performants en ce domaine[11].

Actuellement, l’OCDE revoit sa stratégie de l’emploi. Elle examine désormais et de manière détaillée la question des négociations salariales collectives. L’inégalité croissante observée ces dernières années dans les pays membres, ainsi que les fortes fractures subies par le marché du travail suite à la crise financière et économique, ont poussé l’organisation à se demander quelles institutions peuvent contribuer à la qualité des relations professionnelles et renforcer la résistance du marché du travail. Selon les spécificités de chaque système, les CCT et les systèmes de négociations collectives des salaires pourraient être des instruments potentiellement adéquats dans ce domaine.

  1. Seco (2017). []
  2. Schlegel T. (2017). []
  3. Eurostat. []
  4. Voir B,S,S Volkswirtschaftliche Beratung (2013). []
  5. Seco et al. (2017). Voir l’article de Bernhard Weber et Sarah Bouchiba-Schaer (Seco) dans ce numéro. []
  6. Voir Seco (2017) : p. 25. []
  7. Baumberger et Mauron (2016). []
  8. OCDE (2017b) : p. 141. []
  9. Voir T. Boeri et J. van Ours (2008), p. 72, ou OCDE (2017b), p. 129. []
  10. Mesurée à l’aide de l‘intervalle interquartile. []
  11. OCDE (2017a)- []

Bibliographie

  • Baumberger D., et Mauron V., « La Suisse : une terre d’accueil pour les prestataires de l’UE », La Vie économique, Berne, 2016.
  • B,S,S Volkswirtschaftliche Beratung, Schätzung der Kosten und Vereinfachung der Regulierungen im Bereich der Zulassung von ausländischen Erwerbstätigen zum schweizerischen Arbeitsmarkt, Berne, 2013.
  • OCDE, « How are we doing ? A broad assessment of labour market performance », à paraitre en français dans Perspectives de l’emploi de l’OCDE, Publications de l’OCDE, Paris, 2017(a).
  • OCDE, « Collective bargaining in a changing world of work », à paraitre en français dans Perspectives de l’emploi de l’OCDE, Publications de l’OCDE, Paris, 2017(b).
  • Schlegel T., « Une liberté accompagnée : le marché du travail face à ses contradictions », La Vie économique, 4-2017.
  • Seco, Mise en œuvre des mesures d’accompagnement à la libre circulation entre la Suisse et l’UE 2016, Berne, 2017.
  • Seco et al., 13e rapport de l’Observatoire relatif à l’Accord sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’UE, Berne, 2017.
  • Boeri T. et van Ours J., The economics of imperfect labor markets, 2008, Princeton University Press.

Bibliographie

  • Baumberger D., et Mauron V., « La Suisse : une terre d’accueil pour les prestataires de l’UE », La Vie économique, Berne, 2016.
  • B,S,S Volkswirtschaftliche Beratung, Schätzung der Kosten und Vereinfachung der Regulierungen im Bereich der Zulassung von ausländischen Erwerbstätigen zum schweizerischen Arbeitsmarkt, Berne, 2013.
  • OCDE, « How are we doing ? A broad assessment of labour market performance », à paraitre en français dans Perspectives de l’emploi de l’OCDE, Publications de l’OCDE, Paris, 2017(a).
  • OCDE, « Collective bargaining in a changing world of work », à paraitre en français dans Perspectives de l’emploi de l’OCDE, Publications de l’OCDE, Paris, 2017(b).
  • Schlegel T., « Une liberté accompagnée : le marché du travail face à ses contradictions », La Vie économique, 4-2017.
  • Seco, Mise en œuvre des mesures d’accompagnement à la libre circulation entre la Suisse et l’UE 2016, Berne, 2017.
  • Seco et al., 13e rapport de l’Observatoire relatif à l’Accord sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’UE, Berne, 2017.
  • Boeri T. et van Ours J., The economics of imperfect labor markets, 2008, Princeton University Press.

Proposition de citation: Mauron, Valentine; Baumberger, Daniel (2017). Les mesures d’accompagnement : un dispositif de protection adapté ? La Vie économique, 25. septembre.