Apprendre, toujours apprendre. Trouver un travail exige une bonne formation.
La numérisation fait partie de ces mutations qui modifient en profondeur le monde du travail. Ses conséquences posent d’importantes questions, que ce soit sur le niveau et la structure de l’emploi ou sur les conditions de travail. Beaucoup craignent que les machines et les robots ne remplacent en grande partie l’activité humaine. Dans un rapport publié récemment, le Conseil fédéral aborde les conséquences de la numérisation sur le marché du travail et les défis qui en résultent pour l’État[1].
Ce n’est pas parce que les possibilités techniques de l’automatisation ne cessent de s’étendre que l’emploi total diminue nécessairement. Au contraire, le progrès technique a toujours contribué à la croissance de l’emploi dans notre pays. L’arrivée de nouvelles technologies entraîne certes des suppressions de postes dans certains domaines, mais ceux-ci sont toujours largement compensés par d’autres ailleurs. Au cours des deux dernières décennies, plus de 860 000 emplois nets ont ainsi été créés. Sur la base des connaissances actuelles, on est en droit de penser que la numérisation, tout comme les autres innovations fondamentales, permettra la croissance de l’emploi.
Nouveaux profils d’activité et nouvelles conditions de travail
Ces dernières années, en Suisse, l’emploi s’est déplacé vers les secteurs de haute technologie et à forte intensité cognitive. Cela concerne surtout les activités pour lesquelles les technologies sont la plupart de temps utilisées en complément du travail humain. Les progrès réalisés dans la robotique et la technique des capteurs ou les possibilités croissantes de mise en réseau (Internet des objets) permettent l’émergence de nouveaux champs d’activité et de professions interdisciplinaires, par exemple celles d’architecte de données ou de bioinformaticien.
Les mutations au sein d’une même profession sont encore plus marquées que les transferts d’une branche ou d’une profession à l’autre. Ainsi, dans l’industrie, le commerce ou les services administratifs, l’automatisation croissante a modifié la nature des tâches : celles-ci sont devenues moins routinières, plus cognitives et plus interactives. De ce fait, les activités en matière de communication, de conduite, de planification ou de conseil, par exemple, prennent de l’importance alors que les tâches répétitives pouvant être effectuées selon un processus invariable deviennent de plus en plus secondaires (voir illustration). Cette évolution devrait se poursuivre. La modification des profils d’activité s’est accompagnée d’un accroissement de la demande en main-d’œuvre qualifiée aux niveaux secondaire et tertiaire.
Pourcentage d’emploi par profil d’activité (1996 et 2015)
Source : OFS (Espa et Statem), calculs de Rütter Soceco / La Vie économique
Les possibilités techniques de la numérisation ne modifient pas uniquement les processus de production et de distribution. Ils permettent également un assouplissement croissant des conditions de travail, que ce soit au niveau temporel ou géographique. Ainsi, le télétravail et les horaires flexibles sont déjà monnaie courante dans de nombreuses entreprises.
Par ailleurs, les nouvelles technologies permettent l’émergence de nouveaux modèles d’affaires. Par exemple, les plateformes en ligne, comme Upwork, Uber et Airbnb, facilitent l’externalisation et la mise en réseau d’activités. En Suisse comme dans les pays voisins, les emplois basés sur les plateformes sont encore peu répandus. De plus, aucun indice ne suggère que ces dernières ont accru le travail atypique-précaire[2]. En outre, l’évolution des salaires et des revenus est toujours équilibrée en comparaison internationale.
La formation est primordiale
La numérisation recèle des avantages, mais aussi des risques. Comme il s’agit d’un processus en cours, on ignore encore son impact réel sur le marché du travail. C’est pourquoi il est important d’en surveiller de près les travers et de prendre, au besoin, des mesures ciblées.
La formation est la première concernée par l’évolution des compétences. Une personne qui veut continuer d’intéresser le marché de l’emploi devra présenter les capacités demandées. Autrement dit, le meilleur remède au chômage consiste à orienter la formation vers les besoins du marché du travail[3]. Outre l’adaptation du programme scolaire obligatoire et des filières de formation, le perfectionnement et l’apprentissage tout au long de la vie prendront de l’importance.
Si l’on fait l’état des lieux, on voit que la Suisse est bien préparée dans ce domaine. En principe, il appartient à chaque individu de se perfectionner et de choisir les formations continues adéquates. Cela dit, les partenaires sociaux et l’État sont aussi invités à apporter leur contribution. Ainsi, le Conseil fédéral a récemment publié un plan visant à promouvoir les compétences de base sur le lieu de travail pour les travailleurs âgés ou peu qualifiés.
La réglementation actuelle suffit
La dynamique à l’œuvre sur le marché du travail met également à l’épreuve le cadre légal : celui-ci régit-il de façon satisfaisante les formes de travail innovantes qui présentent un potentiel de croissance et permet-il de maintenir une qualité élevée ? La réglementation du marché du travail en Suisse se caractérise par une grande capacité d’adaptation. Jusqu’ici, elle a contribué à relever les défis les plus divers. Le phénomène relativement récent du télétravail, par exemple, n’exige pas de nouvelles dispositions légales.
Compte tenu de la dynamique actuelle, il convient de mentionner que le droit du travail permet différentes formes de flexibilité tout en garantissant une protection adéquate. Il existe par ailleurs des instruments ciblés visant notamment à protéger la santé et à lutter contre le travail au noir. En outre, la révision actuelle de la loi fédérale sur la protection des données intègre davantage celles relatives à l’employé et à l’employeur. Par ailleurs, le Parlement débat en ce moment d’une éventuelle adaptation de la loi sur le travail à la flexibilité actuelle de l’emploi.
Les partenaires sociaux, qui sont aujourd’hui associés à tous les domaines principaux du marché du travail, jouent un rôle clé dans sa réglementation structurelle. Il existe ainsi des organes tripartites pour définir les contenus de la formation professionnelle et traiter les questions d’aménagement des horaires, d’assurance-chômage et d’observation du marché du travail. Le Conseil fédéral estime que les partenaires sociaux doivent continuer à jouer ce rôle. Si les emplois liés aux plateformes, qui se caractérisent par des rapports de travail courts et donc aux contours plutôt flous, devaient se généraliser, il conviendrait notamment de clarifier dans quelle mesure des modifications juridiques sont nécessaires pour préserver les intérêts des travailleurs.
Par ailleurs, la distinction entre activités salariée et indépendante soulève plusieurs interrogations, que ce soit en matière de droit des assurances sociales ou de droit du travail. Indépendamment des procédures judiciaires en cours à ce sujet, il est indiqué de réfléchir sur quelques questions d’ordre général. Au niveau international, un intense débat porte sur les fondements de la distinction stricte entre salariat et activité indépendante, ainsi que sur la nécessité de la faire perdurer. Il convient d’examiner comment les dispositions actuelles de la législation sur les assurances sociales, par exemple, peuvent être assouplies pour favoriser l’émergence de nouvelles formes de travail, sans pour autant entraîner une précarisation des travailleurs ni un transfert des charges sur la collectivité.
Quels défis pour les assurances sociales ?
Les nouvelles possibilités d’automatisation et la transformation des méthodes de travail posent la question des conséquences que les mutations structurelles liées à la numérisation peuvent avoir sur le système de sécurité sociale. Comme le montrent de récentes analyses, les principaux défis que celui-ci doit affronter, notamment la prévoyance vieillesse, résident dans le vieillissement de la population et non dans le développement technologique.
Pour l’instant, le système de sécurité sociale ne semble pas avoir souffert de la numérisation. Ni l’évolution du chômage ni celle du nombre des bénéficiaires de l’aide sociale n’indiquent que les assurances sociales doivent faire face à une charge supérieure en raison des mutations en cours. Ce serait plutôt l’inverse, puisque la croissance de l’emploi et des salaires durant la dernière décennie a gonflé les cotisations sociales. Il n’est pas possible de prévoir en détail les conséquences futures de la numérisation et des autres moteurs du changement structurel sur le système de sécurité sociale — pas plus que sur l’évolution de l’emploi. Dans ce contexte, la capacité d’adaptation des régimes différenciés d’assurances sociales a joué un rôle déterminant jusqu’ici.
Dans l’ensemble, la Suisse se trouve dans une situation exceptionnellement favorable pour relever avec succès le défi dues mutations structurelles. Pour l’instant, il n’y a pas lieu de réformer la législation. Il faut plutôt adapter le contenu des formations aux nouvelles exigences et développer ponctuellement les conditions-cadres. Il convient également de surveiller de près l’évolution des rapports de travail et des conditions dans lesquelles se déroule l’activité, tout en s’assurant que la législation en vigueur réponde toujours aux besoins réels.
- Conséquences de la numérisation sur l’emploi et les conditions de travail : opportunités et risques, rapport du Conseil fédéral du 8 novembre 2017. []
- Voir l’article de Michael Mattmann, Ursula Walther, Julian Frank et Michael Marti (Ecoplan) dans ce numéro. []
- Voir l’article de Johannes Mure et de Barbara Montereale dans ce numéro. []
Proposition de citation: Degen, Katharina; Jud Huwiler, Ursina (2017). Numérisation et marché du travail : la Suisse est sur la bonne voie. La Vie économique, 21. décembre.