Ami ou ennemi ? La cheffe de communication de l'entreprise Aldebaran enserre le robot Pepper.
Le développement de la robotisation et de l’intelligence artificielle conduit à anticiper les profondes mutations que subira le marché du travail dans les décennies à venir. De la disparition de l’emploi au creusement des inégalités de revenus, différents scénarios sont envisagés, qui appellent à la mise en place de nouvelles politiques économiques. Certains proposent ainsi de taxer les robots de nouvelle génération dotés d’intelligence artificielle. L’idée serait notamment de ralentir la diffusion de la robotique pour permettre à la société de s’adapter aux changements, de maintenir la compétitivité du travail humain en augmentant les coûts d’utilisation de ces nouvelles technologies, ou de remplacer les revenus fiscaux perdus suite à la disparition d’emplois[1].
Le débat portant sur la forme et l’ampleur des mutations du marché de l’emploi est nourri et contradictoire[2]. Notre intention n’est pas ici d’y contribuer ni de le synthétiser, mais de discuter de la pertinence d’une taxation des robots. L’attention se concentre actuellement sur la forme ou les modes d’application que celle–ci pourrait revêtir. Or, si cette question présente des difficultés considérables, il en est d’autres aussi importantes : de quelle nature serait cette taxe ? quels seraient ses effets potentiels ? et quelle pertinence aurait-elle au regard d’autres impôts existants ?
Imposer le capital productif ?
Taxer les robots, c’est imposer le capital productif. Cette solution est considérée comme moins satisfaisante au plan économique que la taxation des revenus ou de la consommation, car elle renchérit l’investissement et réduit donc l’incitation à investir. Cela se répercute sur la formation de capital productif et la croissance économique qui s’en trouvent freinées. Ce n’est pas le seul problème : il faut ajouter le coût fiscal que génère une telle méthode et son coût administratif. Pour minimiser le surcoût économique, un impôt doit être neutre et ne pas peser sur les décisions des contribuables. Il ne devrait ainsi pas modifier les choix des entreprises quant à la forme juridique à adopter, aux projets d’investissements et aux formes de financement. Dans le cas contraire, l’impôt devient une source de distorsions, liées aux comportements d’optimisation des contribuables. L’allocation des ressources ne dépend plus seulement des critères économiques, mais également des incitations fiscales.
Il faudrait, dans un premier temps, définir la notion de robot d’un point de vue fiscal. Concrètement, cela consiste à distinguer différentes catégories de capital, suivant qu’elles soient imposables ou non. Des entreprises produisant les mêmes biens pourraient donc être considérées différemment sur le plan fiscal en fonction de leur choix technologiques. Cela les inciterait à investir dans les technologies les moins fiscalisées, au détriment des plus efficientes. Une perte de productivité s’ensuivrait qui compromettrait l’assiette fiscale. Il en serait de même si les entreprises, se sentant trop corsetées par la nouvelle fiscalité, décidaient de délocaliser leurs investissements à l’étranger.
La fiscalité permet d’orienter les comportements et les choix des entreprises. C’est le cas lorsque les décisions économiques de certaines entreprises se doublent d’externalités négatives trop élevées pour la société. Taxer les robots permettrait ainsi de réduire les inégalités de revenus que ces derniers engendreraient. Le surcoût qui pèserait sur cette technologie soutiendrait la compétitivité et les salaires des travailleurs susceptibles d’être remplacés. Les bénéfices sociaux d’une telle politique doivent cependant être rapportés à son coût, essentiellement ceux engendrés par les gains d’efficience perdus. Il faut aussi les comparer aux coûts et bénéfices générés par d’autres instruments fiscaux susceptibles d’atteindre le même résultat. Une étude récente portant sur les États-Unis[3] évalue l’efficacité d’une taxe sur les robots destinée à réduire les inégalités de revenu. Le bénéfice serait faible, alors que la perte d’efficacité économique serait importante. Les inégalités engendrées par la robotisation pourraient être réduites à moindres coûts en adaptant la fiscalité sur le revenu ou même en effectuant des transferts directs à certaines catégories de travailleurs.
Le coût de l’impôt sera partiellement à la charge des travailleurs
Au-delà de l’analyse du coût global d’un impôt, il est aussi nécessaire de comprendre qui, in fine, en supportera la charge.
Alors que les craintes portent en général sur la disparition d’un grand nombre d’emplois, il semble que l’automatisation concerne essentiellement les activités ou les tâches elles-mêmes[4]. La majorité des emplois ne devraient donc pas disparaître, mais se transformer. Les robots assumeraient ainsi un rôle complémentaire dans le processus de production. En limiter le nombre aurait ainsi pour effet de freiner la croissance de la productivité du travail. L’évolution des salaires lui étant liée[5], une partie du coût économique de l’impôt serait alors à la charge des travailleurs.
Cette limitation des gains de productivité ralentirait, en outre, les baisses de prix potentielles dont pourraient profiter les consommateurs. Ils verseraient donc indirectement leur écot à cet impôt.
Ne pas désavantager la Suisse
Les développements précédents sont à replacer dans le cadre de la concurrence fiscale internationale, dont la dynamique pourrait être renforcée par la numérisation de l’économie. Une fiscalité des entreprises attractive est essentielle pour la Suisse, petite économie ouverte sur le monde. La charge fiscale globale effective doit demeurer à un faible niveau, en particulier pour les branches économiques les plus mobiles.
Il est de plus probable que le développement de la robotisation et de la numérisation de l’économie marquera fortement l’organisation des chaînes de valeur mondiales, dans lesquelles la Suisse est fortement intégrée. L’adoption des nouvelles technologies pourrait diminuer l’attrait d’une fragmentation internationale de la production[6]. Une part croissante de la demande de biens intermédiaires et finals pourrait ainsi provenir de la production intérieure. Cela permettrait aux biens manufacturés fabriqués dans les économies développées de recouvrer leur compétitivité, ce qui réduirait les délocalisations. Cet aspect doit être considéré attentivement avant de penser à freiner l’adoption des nouvelles technologies en rendant leur emploi plus coûteux.
Des mutations structurelles interviendront dans un avenir plus ou moins proche en raison de l’évolution rapide de la technologie. Elles se manifesteront au niveau de la production, tant en ce qui concerne les techniques que de son organisation internationale. Les gains de productivité pourraient être importants, mais ils s’accompagneront de coûts de transition, économiques et sociaux. Il s’agira alors de recourir à des outils fiscaux efficaces et compétitifs pour profiter des chances qui s’offriront, maintenir le dynamisme de la place économique ainsi que la prospérité du pays.
Bibliographie
- Abbot R et Bogenschneider B., « Should Robots Pay Taxes? Tax Policy in the Age of Automation? », Harvard Law & Policy Review, à paraître cette année.
- Guerreiro J., Rebelo S. et Teles P., Should Robots be Taxed ?, NBER Working Papers n° 23806, National Bureau of Economic Research, 2017.
- Conseil fédéral, Conséquences de la numérisation sur l’emploi et les conditions de travail : opportunités et risques. Rapport du Conseil fédéral donnant suite aux postulats 15.3854 Reynard du 16 septembre 2015 et 17.3222 Derder du 17 mars 2017, Berne, 8 novembre 2017.
- De Backer K. et Flaig D., « The future of global value chains: Business as usual or ‘a new normal’ ?, Direction de la Science, de la technologie et de l’innovation de l’OCDE, document n° 41, Publications de l’OCDE, Paris, 2017.
- Gates Bill, « The robot that takes your job should pay taxes », Quartz magazine, 17 février 2017.
- Meager N. et Speckesser S., Wages, productivity and employment: A review of theory and international data, European Employment Observatory Thematic expert ad-hoc paper, 2011.
- Oberson Xavier, « Taxing robots? From the Emergence of an Electronic Ability to Pay to a Tax on Robots or the Use of Robots ». World Tax Journal, n° 2, mai 2017.
- OCDE, Automation and Independent Work in a Digital Economy, Policy Brief on the Future of Work, Publications de l’OCDE, Paris, 2016.
Bibliographie
- Abbot R et Bogenschneider B., « Should Robots Pay Taxes? Tax Policy in the Age of Automation? », Harvard Law & Policy Review, à paraître cette année.
- Guerreiro J., Rebelo S. et Teles P., Should Robots be Taxed ?, NBER Working Papers n° 23806, National Bureau of Economic Research, 2017.
- Conseil fédéral, Conséquences de la numérisation sur l’emploi et les conditions de travail : opportunités et risques. Rapport du Conseil fédéral donnant suite aux postulats 15.3854 Reynard du 16 septembre 2015 et 17.3222 Derder du 17 mars 2017, Berne, 8 novembre 2017.
- De Backer K. et Flaig D., « The future of global value chains: Business as usual or ‘a new normal’ ?, Direction de la Science, de la technologie et de l’innovation de l’OCDE, document n° 41, Publications de l’OCDE, Paris, 2017.
- Gates Bill, « The robot that takes your job should pay taxes », Quartz magazine, 17 février 2017.
- Meager N. et Speckesser S., Wages, productivity and employment: A review of theory and international data, European Employment Observatory Thematic expert ad-hoc paper, 2011.
- Oberson Xavier, « Taxing robots? From the Emergence of an Electronic Ability to Pay to a Tax on Robots or the Use of Robots ». World Tax Journal, n° 2, mai 2017.
- OCDE, Automation and Independent Work in a Digital Economy, Policy Brief on the Future of Work, Publications de l’OCDE, Paris, 2016.
Proposition de citation: Schnyder, Simon (2017). Taxer les robots n’est pas une bonne idée. La Vie économique, 21. décembre.