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Les robots mettent l’économie et le droit en ébullition

L’emploi croissant de véhicules automatisés, de drones civils ou de robots industriels collaboratifs soulève des questions juridiques. Qui est par exemple responsable en cas d‘accident impliquant des robots ? Selon des experts, une solution pourrait être ce que l’on nomme la « personnalité électronique ».
Qui est responsable lors d'un accident impliquant un véhicule entièrement automatisé ? La question n'est pas tranchée. Navette Smart sans chauffeur, à Sion.

Dans tous les domaines de l’existence, les robots avancent à grands pas. Ils prennent la forme de mécaniques industrielles, de drones, de véhicules automatisés, d’assistants personnels, de robots chirurgicaux, etc. Selon la définition courante, les robots sont des appareils mécaniques dotés de trois propriétés essentielles :

  1. Ils peuvent percevoir le monde alentour (« sense »).
  2. Ils peuvent traiter leurs perceptions en analysant les données (« think »).
  3. En tant qu’objets matériels, ils peuvent exercer des fonctions à impact physique (« act »).


Les logiciels purs dépourvus d’impact physique ne sont donc pas de la robotique, même si les médias, anglophones en particulier, parlent souvent de robots, alors qu’ils veulent désigner des logiciels. Les juristes se penchent de plus en plus sur la question. Le « droit de la robotique » a pour objet le traitement juridique des affaires impliquant des robots.

Les robots dans l’industrie 4.0


Dans l’industrie, on utilise des robots comme le Yumi d’ABB. Il s’agit d’un engin polyvalent et accessible destiné à la production ; il est convivial et se laisse par exemple programmer facilement pour le travail à la chaîne. Dans les secteurs de la logistique et des transports, les robots jouent aussi un rôle important. À Oftringen (AG), au centre logistique de la Poste suisse, le « Yellow Cube » décharge les vendeurs en ligne – par exemple les magasins de mode – de toutes les opérations logistiques, du stockage à la gestion des retours en passant par l’emballage et l’expédition. Les paquets peuvent désormais être livrés avec des drones. En Suisse, quelque 20 000 d’entre eux sont déjà utilisés à des fins civiles. Quant aux véhicules autonomes, ils révolutionneront non seulement les déplacements des personnes, mais également le transport des marchandises.

Dans le secteur tertiaire, les robots assisteront de plus en plus les humains dans les hôtels, les restaurants ou le commerce de détail. On les emploie aussi toujours plus fréquemment dans le secteur de la santé pour absorber les conséquences de l’évolution démographique. Une application importante est par exemple l’exosquelette, un corset moulant qui aide un patient à se déplacer ou assume même ses gestes. Vêtu d’un tel automate, l’homme peut soulever plus de poids, marcher plus longtemps ou marcher malgré une blessure à la moelle épinière. Les exosquelettes connaissent aussi des applications industrielles, par exemple sur les chantiers.

Des notions juridiques dépassées ?


On pourrait discuter à l’infini des avantages et des inconvénients de cette révolution technologique. Il n’en reste pas moins que des recherches parallèles sont indispensables. De nombreuses questions se posent en effet dans les domaines juridiques les plus variés.

Ainsi, le droit public des autorisations sera concerné le jour où l’on introduira des véhicules fortement – voire entièrement – automatisés. Ceux-ci contredisent en effet l’image d’un conducteur attentif et engagé, un concept ancré dans le droit national et international. Ils ne sont donc pas aptes à l’homologation pour le moment. Selon le libellé choisi, la révision de la Convention de Vienne sur la circulation routière, qui date de 1968, pourrait résoudre cette contradiction et favoriser la percée des véhicules automatisés. La réglementation du droit aérien devra aussi être examinée et revue quant à l’utilisation des drones civils.

L’admission de véhicules automatisés sur les routes pose de nouvelles questions juridiques, comme la responsabilité pénale en cas d’utilisation des systèmes informatisés. Qui est responsable si quelque chose tourne mal ? Qui punir si un véhicule entièrement automatisé écrase un enfant ? La notion juridique axée sur le seul conducteur atteint ici ses limites, car la machine elle-même n’a pas de « capacité pénale ». L’homme ne conduisant plus, l’on ne peut pas lui imputer l’accident. Ici, il faudra examiner sérieusement si et comment la nécessité sociale d’une sanction peut être satisfaite en cas d’accident mortel.

En cas d’emploi de robots auto-apprenants et capables de décisions, les questions de responsabilité civile sont incontournables. Qui est responsable si le robot apprend mal ou prend une décision erronée ? La capacité de ces machines à apprendre et à décider rend l’imputation des dommages difficile. C’est pourquoi il faut inventer de nouveaux modèles pour régler la question. On peut notamment concevoir des systèmes basés sur l’analogie, l’introduction d’une responsabilité pour mise en danger ou des modèles prudentiels. La création d’un statut juridique pour les robots, à savoir la « personnalité électronique », est de plus en plus discutée. L’adoption d’une telle capacité juridique, droit d’actionner compris, chargerait les robots eux-mêmes de droits et de devoirs. Ils pourraient en conséquence engager leur propre fortune et seraient justiciables. Les personnalités électroniques individuelles devraient être consignées dans un registre spécifique. De la sorte, les personnes concernées pourraient notamment prendre connaissance du montant de la responsabilité civile de tel ou tel robot. Le devoir de s’enregistrer pourrait être couplé à une obligation de s’assurer. L’aménagement pratique de ces dispositions pose naturellement quelques questions. À partir de quel degré d’autonomie un robot est-il qualifié pour la personnalité électronique et comment est-il censé constituer une fortune ? Si cette discussion est encore de la musique d’avenir, elle pourrait devenir un sujet d’actualité avec le progrès technique.

Le Parlement de l’UE a émis en février dernier des recommandations concernant les règles de droit civil relatives à la robotique et chargé la Commission européenne d’élaborer un projet de législation sur les questions de responsabilité civile. Il a proposé les pistes mentionnées plus haut, y compris et particulièrement l’introduction de la personnalité électronique. Il faudra cependant encore quelque temps jusqu’à l’approbation d’une directive européenne sur les robots.

Abus potentiels en matière de protection des données


La protection des données est un autre défi généré par les robots. Les craintes liées à la perte de la sphère privée ne sont pas nouvelles. Cependant, les robots lui confèrent une dimension nouvelle, car ils disposent de divers capteurs qui enregistrent toutes les données fournies, les stockent et peuvent les diffuser grâce à l’Internet des objets. Leur aspect humain ou animal peut aussi faciliter les relations, si bien que les robots ont accès aux sphères les plus intimes des individus et peuvent fureter sans problème grâce à leur mobilité. Le potentiel d’abus est considérable. La collecte innocente et automatique de données, par exemple dans les véhicules autonomes, représente déjà un risque en soi. Tant au sein de l’UE qu’en Suisse, le droit de la protection des données est actuellement en voie de révision. Les réserves concernant la sphère privée lors du recours aux mégadonnées (« big data »), à la robotique et à l’intelligence artificielle sont prises en compte dans les travaux en cours. Elles font, en outre, l’objet de recherches. C’est le cas, par exemple, du projet « Big Brother dans les entreprises suisses ? Données, sphère privée et confiance au lieu de travail », lequel s’insère dans le Programme national de recherche « Big Data » du FNS.

Dans le monde du travail, les robots sont actuellement omniprésents. Il y a plusieurs possibilités de les employer dans les services du personnel, depuis l’engagement jusqu’à la fin des rapports de travail. En tant que supérieurs hiérarchiques, les robots peuvent donner des ordres aux travailleurs. Sous le régime juridique actuel, un tel chef ne saurait encore prononcer un licenciement, faute de capacité juridique et de droit d’actionner. Dans les entreprises, l’incapacité juridique actuelle des robots oblige donc une personne à assumer la responsabilité de l’emploi et des ordres donnés. La direction peut tout au plus se décharger de cette responsabilité en exigeant réparation de la part des programmateurs de la machine. La sécurité est un autre aspect essentiel de l’emploi de robots sur le lieu de travail : il faut éviter les accidents professionnels et prévenir les litiges concomitants en matière de responsabilité. À cet effet, de nouvelles normes sont en voie d’élaboration au niveau national (Association suisse de normalisation SNV, par exemple) et international (ISO).

L’arrivée des robots – dans le cadre de l’industrie 4.0 et au-delà – s’accompagne de nombreuses questions juridiques passionnantes. Chaque progrès technologique soulève de nouveaux problèmes juridiques. Le législateur devra se demander s’il faut adapter les bases légales ou créer de nouvelles réglementations. Sur ce point, on devrait cependant faire preuve de prudence et attendre qu’il soit évident que de nouvelles lois et réglementations sont vraiment nécessaires. La numérisation et la robotique sont aussi source de chances immenses. Cela dit, une chose est claire : il nous faut réfléchir sérieusement dès aujourd’hui aux questions abordées ici, car leur pertinence croîtra au fur et à mesure que les robots deviendront plus intelligents.

Proposition de citation: Isabelle Wildhaber ; Melinda Lohmann ; (2017). Les robots mettent l’économie et le droit en ébullition. La Vie économique, 21 décembre.