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Les loyers des nouveaux locataires s’envolent

Dans les centres urbains, et tout particulièrement à Genève, le prix des nouvelles locations atteint parfois presque le double des loyers en cours. En Suisse, en effet, ces derniers ne peuvent être revus à la hausse que dans des conditions spécifiques.

Les loyers des nouveaux locataires s’envolent

Les locataires de longue date sont nombreux à ne pas subir les hausses de loyer. À Genève et à Zurich, ils paient nettement moins que ceux qui aménagent actuellement.

En Suisse, l’augmentation des loyers existants, à savoir des baux en cours, est limitée par le cadre juridique. En général, elle ne peut survenir qu’en cas d’inflation, d’accroissement de coûts d’exploitation spécifiques ou de hausse des taux hypothécaires. Cela signifie que, dans des phases de taux d’intérêt stables ou en baisse et de faible inflation comme actuellement, les loyers en cours ne changent pas.

L’introduction de la libre circulation des personnes, peu après 2000, avait donné un coup de fouet à la demande de logements, en particulier dans les zones à forte concentration urbaine. Les loyers des baux nouvellement conclus ont, dès lors, augmenté. Dans les régions concernées, l’écart qui sépare le prix des nouvelles locations de celui des loyers en cours est allé croissant. Mandaté par le Secrétariat d’État à l’économie (Seco) et l’Office fédéral du logement (OFL), l’institut d’analyse Meta-Sys a étudié les effets que cet écart a sur les prix, la construction de nouveaux logements, les rénovations globales de logements locatifs, ainsi que sur la mobilité des locataires.

D’importantes différences de loyers à Genève


Pour mener à bien cette étude, il a fallu déterminer empiriquement les différences de prix entre les nouvelles locations et les loyers en cours sur les marchés communaux de logements locatifs de 2005 à 2016. Cela s’est fait en comparant, après ajustement de la qualité des données, les prix des nouvelles locations publiées dans les annonces avec les loyers en cours de l’indice suisse des loyers.

Les calculs montrent que, dans des cas extrêmes, l’écart peut aller jusqu’à 70, voire 80 %. C’est dans l’Arc lémanique et dans les régions de Zurich et de Zoug, ainsi que dans certaines zones touristiques que les différences sont les plus marquées. À l’inverse, les écarts de loyers restent modestes (de l’ordre de 10 à 20 %) dans la région de Soleure et dans l’Arc jurassien (voir illustration 1). En analysant ensuite l’activité de construction et la mobilité des locataires dans ces régions diversement touchées par la réglementation des loyers, il devient possible de tirer des conclusions sur l’impact que cette dernière peut avoir.

Ill. 1. Écarts de loyers par région (2016)




Remarque : la carte présente les régions de mobilité spatiale définies par l’Office fédéral de la statistique.

Source : calculs des auteurs, Ad-Scan, Meta-Sys AG / indice des loyers de l’OFS / La Vie économique

Des loyers en hausse stimulent la rénovation


En théorie, il n’y a pas de lien clairement établi entre une réglementation des loyers et le prix des locations sur le marché. On peut toutefois postuler que des immigrants et des personnes qui cherchent à changer de logement dans une région où les habitants déménagent peu disposeront d’une offre restreinte. Comme les logements proposés auront tendance à être octroyés aux personnes dont le pouvoir d’achat est le plus élevé, leur loyer augmentera. Ce lien peut être démontré empiriquement puisque, dans les régions où l’écart des loyers est important, le prix des nouvelles locations (sans tenir compte d’autres facteurs) a augmenté depuis 2005 bien davantage que dans celles où cet écart est plutôt resserré.

Par ailleurs, il n’existe pas non plus de lien direct, en théorie, entre la réglementation des loyers et la construction de nouveaux logements. Les relevés empiriques montrent toutefois clairement un lien indirect, car la hausse des loyers stimule la construction.

Enfin, l’étude révèle que la réglementation a un effet positif sur les rénovations globales. Du point de vue strictement juridique, le loyer initial peut certes être contesté lors de la conclusion d’une nouvelle location. Toutefois, le bailleur a généralement la possibilité d’imposer des hausses de loyer correspondant aux prix du marché lorsqu’il remet en location des logements après avoir procédé à leur rénovation globale[1]. Bien que, dans le cadre de l’analyse, l’augmentation de loyer après rénovation n’ait pas été connue, il apparaît que le nombre de rénovations globales s’est accru dans les régions où l’écart de loyers est prononcé. Par contre, l’étude n’a pas permis de vérifier l’hypothèse selon laquelle la réglementation des loyers incite les propriétaires à rénover leurs logements locatifs en vue de les transformer en propriétés par étages.

Moins de déménagements


Lorsque, dans une région donnée, les loyers en cours sont nettement plus avantageux que ceux mis sur le marché, un déménagement peut avoir des conséquences financières importantes. Cela constitue une entrave à la mobilité. La durée de location devrait donc y être supérieure à la moyenne, quitte à ce que le logement soit d’une taille inadaptée, et les déménagements moindres.

Chaque année, 5000 ménages du Panel suisse de ménages sont interrogés à ce sujet. L’analyse de leurs réponses révèle empiriquement que l’écart de loyers a une influence importante sur leur mobilité. S’il se creuse, la durée de location moyenne et la probabilité d’occuper un logement inapproprié s’élèvent (il convient de noter que la réglementation des loyers tend plutôt à favoriser des logements trop petits). La probabilité d’occuper un logement inadapté augmente parallèlement à l’ampleur des écarts de loyers. Elle diminue lorsque le revenu du ménage augmente (voir illustration 2).

Ill. 2. Probabilité moyenne d’occuper un logement de taille inadaptée en fonction de l’écart de loyers et du niveau de revenu




Remarque : les chiffres se réfèrent à un ménage de quatre personnes.

Source : estimation Meta-Sys AG / Panel suisse de ménages / La Vie économique

La réglementation influe sur le comportement économique


Il ressort de l’étude que la réglementation suisse des loyers influence fortement les choix économiques des ménages. Qu’en serait-il en l’absence de toute réglementation ? Les loyers en cours resteraient-ils quand même nettement inférieurs à ceux des nouvelles locations ? Étant donné que la plupart des États comparables disposent eux aussi d’une réglementation des loyers, il existe peu d’exemples susceptibles d’apporter un début de réponse. Une enquête portant sur la situation aux États-Unis[2] aboutit, toutefois, à la conclusion que le potentiel de hausse des loyers existants est exploité avec un certain retard.

Le marché suisse des objets de luxe comprenant plus de six pièces, qui n’est pas réglementé, fournit de son côté quelques indices. Une enquête menée auprès de cinquante bailleurs proposant ce type de logements montre que les loyers en cours ne sont pas totalement adaptés aux prix du marché, ce dernier étant extrêmement concurrentiel. La part doit être faite entre la perspective de rendement et les avantages qu’apporte une location stable, sans vacances ni fluctuations. On peut donc supposer que même si le marché était complètement libéralisé, il subsisterait un certain écart de loyers. Celui-ci serait, cependant, bien plus faible qu’avec la réglementation actuelle.

L’étude le montre : les effets théoriques d’une réglementation des loyers se vérifient empiriquement dans une large mesure. Ils se manifestent surtout dans les régions où l’écart de loyers est très prononcé, en particulier dans les villes, où la proportion de locataires est aussi très élevée. Toutefois, en raison du peu de réserves utilisables, l’adaptation de l’offre reste aussi limitée. Une réglementation qui aurait pour effet de réduire l’écart de loyers pourrait aider à stabiliser le marché locatif. Actuellement, un tel changement concernant les locataires à long terme ne devrait s’observer que dans quelques régions. Lorsque les taux d’intérêt remonteront, ils toucheront les loyers en cours, ce qui réduira les écarts. Comme le taux de vacance augmente, le moment semble approprié pour revoir la réglementation en vigueur.

  1. Dans de nombreux cantons, la possibilité de contester le loyer est encore renforcée par l’obligation faite au bailleur d’employer une formule officielle qui informe le nouveau locataire du loyer précédent. []
  2. Randal J. Verbrugge et Joshua Gallin, A Theory of Sticky Rents – Search and Bargaining with Incomplete Information, Federal Reserve Bank of Cleveland, Working Paper 17/05, 2017. []

Proposition de citation: Daniel Sager (2018). Les loyers des nouveaux locataires s’envolent. La Vie économique, 26 février.