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Comment l’offre de logements réagit-elle aux variations de prix ?

Lorsque les loyers et le prix de l’immobilier augmentent, l’offre s’accroît elle aussi et rétablit l’équilibre avec la demande. Ça, c’est la théorie. En effet, dans bon nombre d’endroits, le manque de place et la réglementation en matière d’aménagement du territoire empêchent la création de logements.
Il existe encore des terrains constructibles à la campagne. L'offre de logements y réagit particulièrement fortement à la montée des loyers.

Le prix des logements, qu’ils soient en location ou en propriété, a fortement augmenté en Suisse ces dix dernières années. Entre 2005 et 2015, les loyers au mètre carré ont progressé de 14,8 % et les prix de vente du mètre carré de 38,1 % (voir illustration 1). Les raisons de cette forte hausse sont nombreuses et les analyses mettent souvent en avant les facteurs influençant la demande[1]. Il s’agit notamment de la croissance démographique, de la croissance globale de l’économie et des revenus, des faibles taux hypothécaires et de la hausse de la demande dans les centres urbains.

Ill. 1. Loyers et prix de vente des logements en Suisse (2005–2015)




Source : Meta-Sys / La Vie économique

L’offre est toutefois un facteur tout aussi déterminant dans l’évolution des prix : tant que la croissance de la demande peut facilement être compensée par de nouveaux logements, la hausse des prix reste modeste. Par contre, si l’offre est rigide et que même la hausse des prix du logement ne la fait pas augmenter, un accroissement modéré de la demande suffira à faire flamber les prix.

L’élasticité-prix de l’offre immobilière


L’élasticité-prix de l’offre illustre la variation du parc immobilier (en %) lorsque les prix augmentent de 1 %. Elle permet de mesurer la réaction de l’offre en cas de hausse du prix. Si elle est supérieure à 1, on dit que l’offre est élastique ; dans le cas contraire, on dit qu’elle est inélastique. L’élasticité-prix de l’offre est une valeur importante pour déterminer la manière dont une future hausse de la demande influera sur les prix locaux.

L’élasticité-prix de l’offre permet en outre de prédire les effets de politiques visant à encourager l’accession à la propriété du logement et des programmes de soutien géographiquement ciblés. L’encouragement fiscal à la propriété du logement dans les régions où l’offre est inélastique entraîne par exemple une forte hausse des prix, mais seulement une faible augmentation du taux de propriété du logement. L’élasticité-prix de l’offre joue également un rôle déterminant lorsqu’on analyse les effets de répartition des politiques de soutien économique et l’impact des investissements publics sur la hausse des prix locaux de l’immobilier. Pourtant, il n’existe à ce jour que peu d’études empiriques quantifiant l’élasticité-prix de l’offre en Suisse et examinant les facteurs qui l’influencent.

Le marché locatif est plus élastique que celui du logement en propriété


À la demande du Secrétariat d’État à l’économie (Seco) et de l’Office fédéral du logement (OFL), le « Center for Regional Economic Development » (Cred) de l’université de Berne a quantifié l’élasticité-prix de l’offre immobilière[2]. L’étude se fonde sur des informations relatives à l’offre et au prix des logements entre 2005 et 2015. Sur cette base, nous avons calculé des moyennes pour des petites surfaces (2 x 2 kilomètres). Nous avons ensuite évalué l’évolution de l’offre globale de logements (locatifs et en propriété) en fonction des modifications soit des loyers (élasticité de l’offre en fonction des loyers), soit du prix des logements en propriété (élasticité de l’offre en fonction du prix de vente).

Les résultats montrent que l’élasticité moyenne de l’offre en fonction des loyers avoisinait 1,6 entre 2005 et 2015. En d’autres termes, une augmentation des loyers de 10 % entraîne, à long terme, une hausse de 16 % de l’offre globale de logements. La réaction est nettement moins marquée en cas de modification du prix des logements en propriété : une hausse de 10 % entraîne, à long terme, une augmentation de seulement 5 % de l’offre globale, ce qui correspond à une élasticité de l’offre en fonction du prix de vente de 0,5.

En comparaison internationale, le marché immobilier suisse se situe dans la zone médiane. Les études comparables à notre analyse sur le plan méthodologique estiment que l’élasticité moyenne de l’offre en fonction du prix de vente se situe à 1,54 pour les États-Unis et à 0,33 pour la France[3]. Il ressort d’une étude de l’OCDE sur 21 pays que l’élasticité de l’offre en fonction du prix de vente varie de 0,15 en Suisse à 2,01 aux États-Unis[4]. Il n’existe à ce jour pas d’analyses internationales sur l’élasticité de l’offre en fonction des loyers.

L’offre en logements est la moins élastique à Genève


Notre modèle empirique permet également de déterminer l’élasticité-prix de l’offre au niveau régional. Si l’on considère les cantons suisses, l’élasticité en fonction des loyers va de 0,66 à 2,17. Celle en fonction du prix de vente va de 0,25 à 0,59. Les cantons de Bâle-Ville et de Zurich présentent l’offre la moins élastique, Fribourg et le Jura affichant les chiffres les plus élevés. L’ordre des cantons est fondamentalement le même pour ce qui est des prix de la location et de la propriété. À l’échelon des communes, c’est à Genève que l’offre est la plus inélastique, avec 0,2 pour le marché de la location et 0,11 pour celui de la propriété. L’offre la plus élastique est enregistrée par la commune valaisanne de Zwischbergen, avec 2,49 pour les locations et 0,64 pour les logements en propriété. C’est dans les régions les plus densément construites autour de Bâle, Genève et Zurich que l’on observe la plus faible élasticité-prix de l’offre. Cette dernière est élevée dans les régions plutôt rurales, par exemple dans les cantons de Fribourg, du Jura et d’Appenzell Rhodes-Intérieures (voir illustrations 2 et 3).

Ill. 2. Élasticité de l’offre de logements en fonction des loyers


Ill. 3. Élasticité de l’offre de logements en fonction du prix de vente




Remarque : les couleurs représentent les quintiles de la répartition. Chaque groupe contient 20 % des élasticités de l’offre de logements recensées. Rouge : élasticité faible ; vert : élasticité élevée.

Source : Büchler, Ehrlich et Schöni (2017) / La Vie économique

L’élasticité (à la fois en fonction des loyers et des prix de vente) de l’offre régionale est tributaire de plusieurs facteurs. Étant donné que les régions densément construites n’ont plus guère de terrains constructibles, l’offre doit principalement être développée par voie de densification. Ceci se traduit par des coûts de construction relativement élevés et donc une offre inélastique. Par ailleurs, toutes les régions ne sont pas aussi facilement constructibles les unes que les autres pour des raisons topographiques (présence de fortes pentes, de plans d’eau et de terrains rocheux, p. ex.). Le cadre réglementaire est, lui aussi, un facteur déterminant de l’élasticité-prix de l’offre. En effet, les décisions de l’aménagement du territoire influencent l’offre de logements. Il en va ainsi du zonage – planification, périmètres inconstructibles et protégés (forêts, parcs, etc.) – et des coefficients d’utilisation.

Non seulement les zones libres sont plus fréquentes dans les régions rurales, mais le contexte politico-économique y facilite généralement la transformation des zones agricoles en zones constructibles. Les oppositions potentielles à l’accroissement du coefficient maximal d’utilisation des espaces constructibles ou à la modification du plan de zone des dernières surfaces libres sont nettement plus fortes au sein de zones déjà construites.

Les réglementations influence l’élasticité


Une analyse de régression permet d’examiner l’influence de ces facteurs géographiques et réglementaires décisifs pour l’élasticité de l’offre. Pour illustrer leur impact, nous avons calculé, pour un site donné, l’élasticité selon que son importance est faible (25e percentile) ou élevée (75e percentile). Un seul facteur décisif est modifié à la fois, toutes les autres valeurs étant définies en fonction de la moyenne observée.

Si l’on augmente les mesures réglementaires qui déterminent l’étendue des zones protégées du 25e au 75e percentile, l’élasticité de l’offre en fonction des loyers (des prix de vente) diminue d’environ 22 % (15 %). La diminution en élasticité est un peu moindre, s’inscrivant dans une fourchette allant de 6 % à 21 % (1 % à 11 %), dans le cadre des mesures réglementaires influant sur le type de construction et la densité des constructions. Il apparaît donc que les contraintes réglementaires intensives et extensives pèsent plus sur l’élasticité de l’offre en fonction des loyers qu’en fonction des prix de vente. Dans le cas des restrictions topographiques, la diminution de l’élasticité de l’offre varie entre 4 % et 11 % (2 % à 8 %) lorsque l’on passe d’un niveau de contrainte faible à un niveau plus élevé.

Comme il ressort de l’étude, l’offre de logements réagit différemment aux variations de prix. Globalement, la réaction est plus forte dans les communes et cantons ruraux qu’urbains. On observe le même phénomène pour le prix des locations par rapport au prix des logements en propriété. Dans une économie prospère, la politique économique et l’aménagement du territoire doivent donc soupeser les intérêts entre développement territorial restrictif et croissance des loyers et des prix de vente.

  1. Degen et Fischer (2017), Häcki (2016) et Drechsel et Funk (2017). []
  2. Büchler, Ehrlich et Schöni (2017). []
  3. Saiz (2010) ainsi que Chapelle et Eyméoud (2017). []
  4. Caldera et Johansson (2013). Cette étude ne reposant pas sur la même méthodologie, les résultats ne sont pas directement comparables. []

Bibliographie

  • Büchler S., von Ehrlich M. et Schöni O., On the Responsiveness of Housing Development to Rent and Price Changes  : Evidence from Switzerland, 2017.
  • Caldera A. et Johansson Å., « The price responsiveness of housing supply in OECD countries », Journal of Housing Economics, 22(3), 2013, pp. 231-249.
  • Chapelle G. et Eyméoud J.-B., The Cost of agglomeration and the housing supply elasticity : The extensive and intensive margin housing supply elasticities, Sciences Po mimeo, 2017.
  • Degen K. et Fischer A., « Immigration and Swiss House Prices », Swiss Journal of Economics and Statistics, 153(1), 2017, pp. 15-36.
  • Drechsel D. et Funk A. K., « Time-varying and Regional Dynamics in Swiss Housing Markets », Swiss Journal of Economics and Statistics, 153(1), 2017, pp. 37-72.
  • Häcki D., « Einwanderung und der Immobilienmarkt in der Schweiz », Swiss Real Estate Journal, 13, 2016, pp. 20-25.
  • Saiz A., « The Geographic Determinants of Housing Supply », Quarterly Journal of Economics, 125(3), 2010, pp. 1253-1296.

Bibliographie

  • Büchler S., von Ehrlich M. et Schöni O., On the Responsiveness of Housing Development to Rent and Price Changes  : Evidence from Switzerland, 2017.
  • Caldera A. et Johansson Å., « The price responsiveness of housing supply in OECD countries », Journal of Housing Economics, 22(3), 2013, pp. 231-249.
  • Chapelle G. et Eyméoud J.-B., The Cost of agglomeration and the housing supply elasticity : The extensive and intensive margin housing supply elasticities, Sciences Po mimeo, 2017.
  • Degen K. et Fischer A., « Immigration and Swiss House Prices », Swiss Journal of Economics and Statistics, 153(1), 2017, pp. 15-36.
  • Drechsel D. et Funk A. K., « Time-varying and Regional Dynamics in Swiss Housing Markets », Swiss Journal of Economics and Statistics, 153(1), 2017, pp. 37-72.
  • Häcki D., « Einwanderung und der Immobilienmarkt in der Schweiz », Swiss Real Estate Journal, 13, 2016, pp. 20-25.
  • Saiz A., « The Geographic Determinants of Housing Supply », Quarterly Journal of Economics, 125(3), 2010, pp. 1253-1296.

Proposition de citation: Maximilian von Ehrlich ; Olivier Schöni ; Simon Büchler ; (2018). Comment l’offre de logements réagit-elle aux variations de prix . La Vie économique, 19 février.