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La gouvernance suisse de la formation professionnelle est exemplaire

Le système suisse de formation professionnelle repose sur un excellent mécanisme de pilotage. Une étude de l'EPF Zurich s'est appliquée à déterminer comment de bons critères de gouvernance peuvent être transposés dans un pays en développement comme le Népal.

La gouvernance suisse de la formation professionnelle est exemplaire

Une Suissesse est applaudie lors du Concours mondial des métiers Worldskills, à Zurich. (Image: Keystone)

Le système suisse de formation professionnelle suscite un réel intérêt dans le monde. En témoigne la participation très soutenue de nombreux politiciens et entreprises de l’étranger au troisième congrès international de la formation professionnelle qui s’est tenu début juin à Winterthur. Les experts étrangers souhaitent réduire le taux de chômage des jeunes en améliorant la formation professionnelle et en faisant mieux coïncider l’offre et la demande de travail. Reste qu’il n’est pas toujours aisé de transposer des éléments d’un pays à un autre, compte tenu des différences d’ordre juridique, historique, économique et culturel parfois sensibles qui peuvent les séparer.

Le système suisse se distingue par son efficacité, en l’occurrence un faible taux de chômage et des conditions de travail relativement avantageuses. Cela s’explique en grande partie par son mode de gestion (ou gouvernance). En d’autres termes : la collaboration interinstitutionnelle entre les protagonistes de la branche fonctionne et les mécanismes de pilotage fournissent les incitations adéquates.

Nous nous concentrerons ci-dessous sur les systèmes éducatifs suisse, allemand, autrichien et danois, ainsi que sur celui du Népal, pays en développement où les conditions sont aujourd’hui optimales pour tenter d’améliorer le système de formation.

La Suisse dispose depuis 2004 d’un régime de formation professionnelle intégré qui rend possibles de multiples raccordements à des filières subséquentes du système formel de formation. « Intégré » signifie ici qu’un seul office fédéral – le Secrétariat d’État pour la formation, la recherche et l’innovation (Sefri) – est chargé d’encadrer l’ensemble des professions et d’assurer la coordination entre tous les acteurs. Les mécanismes de gouvernance fixés dans la loi de 2004 sur la formation professionnelle (LFPr) comportent des incitations qui favorisent la plus grande efficacité possible. La LFPr, par exemple, régit la collaboration entre la Confédération, les cantons et les organisations du monde du travail.

En Suisse, la concertation est très étroite entre les acteurs du système de formation et de placement[1]. Étant donné que dans de nombreux pays, les compétences décisionnelles sont exclusivement du ressort des autorités éducatives, cette collaboration n’y est pas aussi développée. Il est dès lors d’autant plus difficile d’obtenir un engagement substantiel de la part des entreprises de ces pays. Si les projets pilotes constituent sans aucun doute un acte expérimental important, ils sont insuffisants pour assurer la mise en place d’un système de formation professionnelle durable. Un tel projet nécessite une interaction des parties prenantes à la gouvernance et des mécanismes d’incitation judicieux définis conjointement.

Formations formelle et non formelle


En Suisse, la formation professionnelle formelle est clairement séparée de la formation continue non formelle. La formation professionnelle de base et la formation professionnelle supérieure représentent des cas formels. Les programmes d’insertion au marché du travail, tels que le semestre de motivation ou les cours de courte durée offerts par les offices régionaux de placement, font partie des offres non formelles. Ces dernières sont réglementées depuis 2017 par la loi sur la formation continue.

Une telle clarté ne se retrouve pas dans tous les pays. Les pays en développement font par exemple rarement la distinction, dans le domaine formel, entre les cours de courte durée et les diplômes, ce qui affaiblit le statut de la formation professionnelle. Il s’agit donc de distinguer, parmi leurs programmes, ceux qui méritent le nom de « formation professionnelle » et sont donc reconnus par l’État de ceux qui correspondent à des cours non formels remplissant d’autres fonctions.

Ces deux catégories – formelle et non formelle – se différencient sur des questions normatives fondamentales de pilotage. Les parcours formels sont généralement reconnus par l’État et les critères d’admission et exigences de qualité précisés par la loi. Alors qu’une formation professionnelle de base assure principalement l’accès au marché du travail, le but des cours non formels est de maintenir le niveau des connaissances à jour ou de reprendre pied sur le marché du travail. C’est le cas, par exemple, d’un rattrapage visant à obtenir des qualifications manquantes dans une procédure de reconnaissance des compétences acquises.

Les modèles de gouvernance facilitent l’analyse


Comme les programmes de formation professionnelle sont soumis à de perpétuels changements, il arrive fréquemment que différents ministères et institutions promulguent leurs propres directives. Ce constat historique a parfois pour résultat que des programmes de formation ne sont pas reconnus par le ministère de l’Éducation. Le problème se pose avec acuité dans les domaines de la santé, de l’agriculture, de la sylviculture et du tourisme (dans les pays en développement) ainsi que dans certaines professions liées à la sécurité, comme celle d’installateur-électricien. C’était également le cas en Suisse avant l’entrée en vigueur en 2004 de la loi sur la formation professionnelle : beaucoup de métiers étaient réglementés par diverses autorités fédérales et cantonales.

Ajoutons que là où les programmes de formation sont conçus sur le mode dual, avec une grande partie de l’apprentissage dispensée en entreprise, le ministère de l’Économie dispose fréquemment de certaines compétences en matière de réglementation. C’est par exemple le cas de l’Allemagne.

Ce morcellement ne contribue pas à renforcer la formation professionnelle en tant qu’institution. Il complique aussi la recherche portant sur les résultats. Une étude allemande de 2009 a développé des modèles de gouvernance qui ont été testés pour le Danemark, l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse[2]. Ses auteurs ont conclu que trois des quatre pays disposent de techniques de gestion similaires, mais que seule la Suisse applique depuis 2004 le système du « guichet unique ».

En matière de gestion, l’étude fait une distinction entre le degré d’intégration des groupes d’acteurs concernés, qui est soit fragmenté, soit coordonné, et le mode de pilotage, axé sur les résultats ou les intrants. Il en découle quatre types de pilotage qui ont été identifiés à l’aide de groupes d’experts et d’un questionnaire rempli par les pays considérés.

En Suisse, nous appliquons depuis 2004 une gestion coordonnée axée sur les résultats. Cela signifie que sur le plan fédéral, la responsabilité de toutes les professions est confiée au Sefri. Chaque métier dispose d’un curriculum-cadre et le financement des apprentis est réglé individuellement. Par ailleurs, les quelque 600 organisations du monde du travail opèrent en coordination avec la Confédération et les cantons.

Avant 2004, la gouvernance suisse était fragmentée et axée sur les intrants. Plusieurs offices fédéraux, cantons ou institutions spécifiques se chargeaient de réglementer les métiers. L’apprentissage en entreprise et la formation en école faisaient l’objet de curriculums distincts. Le système de financement était axé sur les intrants et les associations professionnelles étaient organisées en partie à l’échelle nationale, et en partie à l’échelon cantonal.

Hormis la Suisse, le Danemark et l’Autriche pratiquent aussi une gouvernance de type plus ou moins « coordonnée axée sur les résultats ». L’Allemagne met en revanche clairement l’accent sur les intrants et la segmentation. Cela tient au fait que l’Allemagne a donné davantage de compétences éducatives aux Länder dans le dernier amendement constitutionnel.

Une chance pour le Népal


Ces modèles de gouvernance sont importants pour le pilotage des systèmes de formation professionnelle, raison pour laquelle nous développons actuellement à l’EPZ Zurich un instrument d’analyse comparative (« benchmarking ») qui pourra servir à d’autres pays. Étant donné que les pays en développement peuvent bénéficier d’une amélioration de la gouvernance de la formation professionnelle, nous avons étudié ces mécanismes de pilotage l’an dernier au Népal. Le projet nous a donné l’occasion d’adapter et de mesurer les modèles de gouvernance décrits plus haut[3]. Le Népal se prête particulièrement bien à cette démarche, car il est au cœur d’un processus complexe de fédéralisation, dans le cadre duquel la formation professionnelle doit aussi être réorganisée. Dans ces conditions, il est plus facile d’assurer la transition vers un pilotage plus efficient que s’il fallait commencer par persuader tous les ministères de la nécessité d’une réforme exigeant une meilleure coordination.

Nous avons enquêté pour savoir comment les experts évaluent la situation aujourd’hui et en 2030 (voir illustration). À l’heure actuelle, les activités de formation professionnelle et les programmes d’intégration au marché du travail non formels au Népal ne sont pas traités séparément et sont dispersés entre 17 ministères. Les experts qualifient donc le régime actuel de « fragmenté et axé sur les intrants ». L’avenir doit faire place à plus d’uniformité. Le Népal vise un haut degré de coordination axé sur les résultats, qu’il veut inscrire dans sa nouvelle loi sur la formation professionnelle.

Modèles de gouvernance de la formation professionnelle dans les pays étudiés


RENOLDFR

Remarque : l’axe horizontal exprime le degré d’intégration des acteurs, de 1 (faible) à 10 (élevé). L’axe vertical montre l’orientation du mécanisme d’incitation, de 1 (résultats) à 10 (intrants).

Source : Rauner et Wittig (2009), ainsi que Renold et Caves (2017), représentation Renold / La Vie économique

En résumé, la fédéralisation de l’éducation et la refonte associée du système de formation professionnelle au Népal offrent à ce pays une chance unique de redéfinir les mécanismes de pilotage. Il s’agit, par exemple, de déterminer le nombre de ministères qui seront chargés à l’avenir de réglementer la formation professionnelle ou de prévoir les mesures d’incitation à mettre en place pour que les entreprises puissent participer pleinement à la formation. Notre étude a déjà eu des effets bénéfiques : dans le nouveau gouvernement national, par exemple, seul le ministère de l’Éducation est désormais compétent en matière de formation professionnelle.

Nous développons en permanence notre instrument d’analyse comparative afin qu’il puisse être utilisé dans d’autres pays. Le but est de pouvoir étudier un jour, à l’échelle mondiale, les corrélations entre l’efficacité des systèmes de formation professionnelle et les modèles de gouvernance.

 

  1. Renold et Bolli (2016). []
  2. Renold et Bolli (2016). []
  3. Rauner et Wittig (2009). []

Les pays en développement ne peuvent que profiter d'une amélioration de leur système de formation. Cours d'électronique au Népal.


Bibliographie

  • Rauner Felix et Wittig Wolfgang Arno, Steuerung der beruflichen Bildung im internationalen Vergleich, Gütersloh, 2009, Bertelsmann Stiftung.
  • Renold Ursula et Bolli Thomas, « Formation professionnelle : la recette du succès suisse», La Vie économique, 12-2016.
  • Renold Ursula et Caves Katherine M., « Constitutional Reform and its Impact on TVET Governance in Nepal. A report in support of developing understanding and finding the way forward for federalizing the TVET sector in Nepal A report in support of developing understanding and finding the way forward for federalizing the TVET sector in Nepal ». KOF Studies, n° 89, avril 2017.

Bibliographie

  • Rauner Felix et Wittig Wolfgang Arno, Steuerung der beruflichen Bildung im internationalen Vergleich, Gütersloh, 2009, Bertelsmann Stiftung.
  • Renold Ursula et Bolli Thomas, « Formation professionnelle : la recette du succès suisse», La Vie économique, 12-2016.
  • Renold Ursula et Caves Katherine M., « Constitutional Reform and its Impact on TVET Governance in Nepal. A report in support of developing understanding and finding the way forward for federalizing the TVET sector in Nepal A report in support of developing understanding and finding the way forward for federalizing the TVET sector in Nepal ». KOF Studies, n° 89, avril 2017.

Proposition de citation: Ursula Renold (2018). La gouvernance suisse de la formation professionnelle est exemplaire. La Vie économique, 25 juin.