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La Suisse : une « marque » et des pôles de compétitivité reconnus

L’image que renvoie le pays ou la région a une importance fondamentale dans le choix des entreprises à la recherche d’un site d’implantation. La Suisse et ses pôles de compétitivité sont donc autant de « marques » à valoriser.

La Suisse : une « marque » et des pôles de compétitivité reconnus

Un pôle d'innovation biotechnologique s'est développé dans la région lémanique. Visite du président portugais Marcelo Rebelo de Sousa (à droite). (Image: Keystone)

De nombreuses analyses s’intéressent à l’attrait que suscitent les territoires auprès des entreprises. Les classements auxquels elles aboutissent se focalisent principalement sur les conditions-cadres ou sur la fiscalité. Rares sont celles qui étudient poids que l’image des territoires peut avoir dans un processus de décision. Depuis quelques années pourtant, de plus en plus de stratégies de promotion s’appuient sur des dimensions intangibles pour attirer des entrepreneurs et des investisseurs. Considérant que le territoire peut s’apparenter à une marque, un domaine scientifique en émergence – appelé « place branding » – s’intéresse à ces questions.

La forte mobilité des entreprises a intensifié la compétition que se livrent les différents sites à travers le monde pour attirer des emplois à haute valeur ajoutée. Afin de convaincre les investisseurs, les responsables de la promotion économique développent des argumentaires solides et répertorient en détail les atouts de leur territoire. Outre les aspects objectifs et mesurables, les décideurs sont également sensibles à la réputation d’un site ou d’un pays.

La promotion économique multiniveaux de la Suisse


Les activités de promotion économique de la Confédération revêtent un caractère subsidiaire, les compétences en ce domaine relevant principalement des cantons. Parmi les divers domaines couverts, la promotion au niveau fédéral a pour but de présenter les atouts du pays aux investisseurs étrangers. Dans ce cadre, la Confédération a mandaté une association à but non lucratif de droit privé nommée Switzerland Global Enterprise (S-GE) et coopère étroitement avec les cantons.

Alors que S-GE informe les investisseurs étrangers sur les avantages qu’offre la Suisse, les compétences passent aux mains des cantons lorsque sont abordées les modalités d’une implantation éventuelle. Le processus implique un niveau de collaboration important entre les cantons la Confédération. En outre, quatre agences de promotion économique intercantonales agissent au niveau international : Greater Geneva Bern area (GGBa), Greater Zurich Area, St.GallenBodenseeArea et BaselArea.swiss. Lorsqu’une entreprise étrangère manifeste son intérêt auprès de S-GE, le projet d’investissement est remis à ces quatre agences et aux 26 cantons qui peuvent chacun, indépendamment, envoyer un dossier à l’entreprise intéressée[1].

Un canton est promu à l’international à la fois sous l’égide de la Suisse, comme partie intégrante d’un espace intercantonal, et comme territoire à part entière. Prenons le cas du canton de Vaud : il est promu comme appartenant à la Suisse par S-GE, à la Suisse occidentale par le GGBa et comme entité indépendante par le service de promotion économique cantonal. Les notoriétés de Lausanne, Capitale olympique, et de Genève sont, en outre, autant d’amorces qui redirigent l’investisseur potentiel vers la région ciblée. Une partie du canton de Vaud est en effet intégrée à l’agglomération du Grand Genève et le slogan touristique du canton n’est autre que Vaud Lake Geneva Region. En outre, les autorités affichent depuis quelques années la volonté de développer leur propre image à travers la marque territoriale VAUD dans le dessein de promouvoir de manière intersectorielle l’ensemble du canton.

La promotion économique multiniveaux de la Confédération, de Genève et de Lausanne




Source : SG-E, GGBa, canton de Vaud / La Vie économique

Des facteurs clés pour les chefs d’entreprise


Une étude menée à l’aide d’une analyse de mesures conjointes et d’entretiens semi-directifs a été réalisée auprès de chefs d’entreprise ayant choisi de s’installer dans le canton de Vaud entre 2010 et 2016[2]. Il en résulte que les facteurs qui les ont décidés sont notamment la fiscalité, la flexibilité du droit du travail, le potentiel en termes de marché et la protection de la propriété intellectuelle. Les sondés ont, ensuite, été amenés à effectuer des choix parmi des territoires choisis en fonction de ces facteurs. Dans une phase ultérieure, les mêmes configurations de territoires sont présentées, mais certaines sont labellisées comme se situant dans le canton de Vaud, en Suisse. Cette méthode permet de mesurer le poids respectif des facteurs d’attractivité jugés importants par rapport à une décision d’implantation, ainsi que la manière dont l’image du canton et celle du pays influencent la décision.

Une trentaine d’entretiens ont au total été menés. Les domaines figurant dans l’échantillon reflètent les priorités des autorités politiques cantonales, tels que les technologies propres et l’énergie, les sciences de la vie, les services, l’ingénierie et l’industrie de précision, le sport international, les technologies de l’information et de la communication, la finance et le négoce de matières premières.

Trois enseignements principaux se dégagent des résultats. Tout d’abord, plus des deux tiers des managers interrogés sont influencés par l’image du territoire, considérant que le nom du lieu renseigne sur certains facteurs d’attractivité : c’est ce que l’on peut nommer un « effet résumé ». La mention du canton de Vaud indique selon eux que des conditions spécifiques sont remplies. En comparaison internationale, ils associent la région à une qualité de vie élevée, un système politique stable, une main-d’œuvre de qualité et des infrastructures efficientes. Ensuite, l’analyse fait ressortir deux tendances : les décideurs d’entreprises sont sensibles à la fois à la « marque Suisse » et à la réputation de certains des pôles de compétitivité (« clusters ») du pays.

« Marque Suisse » et pôles de compétitivité


La grande majorité des chefs d’entreprise interrogés perçoivent le territoire comme un large espace sans limites clairement définies. Dans notre cas, il équivaut à la Suisse romande ou à la région lémanique.

Ils considèrent que le rayonnement de la région provient en partie de la notoriété de ses villes et principalement de la réputation du pays. Ce dernier projette une image de haute qualité, utile aux activités de l’entreprise (effet « Made in »). Il suggère des conditions de vie avantageuses et une stabilité politique. En outre, l’argument selon lequel la Suisse incarne une terre d’innovation convainc grâce à la présence de pôles de compétitivité spécifiques. Ceux-ci génèrent des investissements importants en termes de recherche et de développement. Cependant, cet argument ne paraît pas directement lié à l’image de la Suisse. Pour se distinguer des nombreux pays qui se profilent comme leaders en matière d’innovation, il s’avère donc crucial de mettre en avant des facteurs spécifiques et d’offrir des avantages déterminants plutôt que de se reposer sur une image globalement positive.

L’analyse révèle que les facteurs d’attractivité objectifs et tangibles sont les plus importants dans le choix d’un lieu d’implantation. Bien que les conditions offertes aux entreprises puissent différer d’un canton à l’autre dans le contexte du fédéralisme suisse, les managers s’estiment influencés par des critères qui dépassent les frontières cantonales. La comparaison internationale des sites potentiels d’implantation s’avère en effet plus pertinente sous l’angle de la performance des pôles de compétitivité que des différences entre cantons.

Ainsi, la perception des entrepreneurs et investisseurs interrogés témoigne de la pertinence d’un double positionnement, d’un côté global (« nation branding ») et de l’autre spécifique à un domaine d’activités (« cluster branding »). Cette perception contredit les stratégies de promotion économique actuelles qui se focalisent sur des échelons politico-institutionnels tels que le canton, alors qu’ils sont peu pertinents d’un point de vue fonctionnel.

Pistes d’amélioration


Sur la base de cette étude, et dans le prolongement d’autres travaux sur le sujet[3], nous formulons les recommandations qui suivent.

Tout d’abord, une meilleure collaboration entre les différentes agences de promotion économique – fédérale, cantonales, intercantonales – clarifierait la communication. Certains chefs d’entreprise apprécient une certaine compétition à même de stimuler la compétitivité. La majorité d’entre eux estiment, toutefois, que la multitude des démarches et des organismes brouille le message, constatant que « la Suisse, c’est en fait 26 pays différents » (citation d’entretien). La plupart des identités visuelles des agences de promotion économique cantonales et intercantonales font déjà référence à la Suisse, notamment à travers la présence de la croix blanche sur fond rouge dans leur logo. Ne serait-il pas pertinent de concevoir une stratégie nationale pour capitaliser davantage sur la « Swissness » ?

Outre les agences intercantonales, des plateformes sectorielles témoignent d’une collaboration entre les cantons. En Suisse occidentale, BioAlps, Alp ICT, Micronarc et CleantechAlps contribuent par exemple à l’émergence de pôles supracantonaux. Cependant, les actions collectives restent peu ambitieuses et les cantons paraissent réticents à déléguer leurs compétences à des structures communes. Le projet de développement économique autour du domaine de la santé en Suisse romande nommé Health Valley possède par exemple un fort potentiel, pour l’heure sous-exploité. Son lien avec les plateformes existantes reste flou et les possibilités de synergies avec d’autres pôles réputés comme la BioValley de la région bâloise n’ont sans doute pas été explorées. Par ailleurs, la Watch Valley, projet fédérateur de l’industrie horlogère helvétique, se résume actuellement à un itinéraire touristique malgré son grand potentiel économique.

Au niveau national, le Switzerland Innovation Park s’annonce prometteur. Cette nouvelle plateforme mettant en contact les universités et les hautes écoles avec les entreprises pourrait en effet stimuler les synergies entre les divers pôles d’innovation. La place économique suisse pourrait alors être promue à l’international comme un tout avant que soient mis en avant les avantages compétitifs de chaque région et pôle de compétitivité.

Ainsi, la promotion économique exogène suisse devrait cibler le pays en lui-même et les différents pôles de compétitivité supracantonaux. Une approche pragmatique harmonisée au niveau national et détachée de la logique politico-institutionnelle cantonale aurait l’avantage de répondre au besoin de différenciation sectorielle pour attirer les entreprises tout en profitant de la force de la « marque Suisse ».

  1. Monnier (2015). []
  2. Cette étude s’inscrit dans le cadre de la thèse de doctorat de l’auteur soutenue à l’Idheap. []
  3. Voir Rufer et Wagner (2015) et von Stokar et al. (2014). []

Bibliographie

  • Monnier P. D., Promotion économique de la Suisse occidentale : radiographie sans complaisance, Genève, 2015, Slatkine.
  • Rufer R., et Wagner A., « La promotion de la place économique dans une perspective internationale », La Vie économique, 3/4-2015, p.4ss.
  • von Stokar T., Vettori A., Zandonella R., Scherer R., Zumbusch K. et Schoenenberger A., Evaluation nationale Standortpromotion Schweiz, sur mandat du Seco. Zurich, 2014, Infras / université de Saint-Gall / Eco’Diagnostic.

Bibliographie

  • Monnier P. D., Promotion économique de la Suisse occidentale : radiographie sans complaisance, Genève, 2015, Slatkine.
  • Rufer R., et Wagner A., « La promotion de la place économique dans une perspective internationale », La Vie économique, 3/4-2015, p.4ss.
  • von Stokar T., Vettori A., Zandonella R., Scherer R., Zumbusch K. et Schoenenberger A., Evaluation nationale Standortpromotion Schweiz, sur mandat du Seco. Zurich, 2014, Infras / université de Saint-Gall / Eco’Diagnostic.

Proposition de citation: Renaud Vuignier (2018). La Suisse : une « marque » et des pôles de compétitivité reconnus. La Vie économique, 25 juin.