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Mesurer la pauvreté en Suisse

En 2016, quelque 615 000 personnes étaient touchées par la pauvreté en Suisse. Celles qui n'ont aucune formation postobligatoire, qui vivent dans un ménage monoparental ou dont les membres participent faiblement au marché du travail sont les plus exposées.
Les mères célibataires avec des enfants en bas âge ont le taux de pauvreté le plus important. (Image: Keystone)

L’Office fédéral de la statistique (OFS) utilise plusieurs indicateurs pour mesurer statistiquement la pauvreté en Suisse. Le taux de pauvreté national est complété par le taux de risque de pauvreté, utilisé couramment au niveau international, et le taux de privation matérielle, également défini sur le plan européen (voir encadré). Le taux de pauvreté national se base sur un seuil correspondant au minimum vital social défini dans les lignes directrices pour l’octroi de l’aide sociale de la Conférence suisse d’aide sociale (Csias). Ce taux constitue une base et un ordre de grandeur approprié pour la politique sociale, car le soutien financier octroyé aux personnes ou aux ménages se traduit directement par une réduction mesurable de la pauvreté[1].

En 2016, 7,5 % de la population vivait dans un ménage dont le revenu disponible était inférieur au seuil de pauvreté. Cela signifie qu’une personne sur 13 était concernée. Ce minimum s’établissait à 2247 francs par mois en moyenne pour une personne et à 3981 francs pour deux adultes avec deux enfants. Ce montant doit couvrir les dépenses courantes et les frais de logement[2]. Entre 2007 et 2013, le taux de pauvreté de la population totale est passé de 9,3 % à 5,9 % (voir illustration 1). Depuis 2014, il affiche à nouveau une tendance à la hausse, qui n’est cependant pas statistiquement significative. Il en va de même pour le taux de pauvreté des actifs occupés.

Ill. 1. Évolution du taux de pauvreté en % de la population (2007-2016)


Remarque : suite à des adaptations méthodologiques de la base de données Silc, les valeurs à partir de Silc 2014 ne sont plus directement comparables avec les années précédentes.



Source : OFS, Enquête sur les revenus et les conditions de vie (Silc) / La Vie économique

La formation et l’activité professionnelle protègent de la pauvreté


La pauvreté touche surtout les personnes vivant dans des ménages qui ne comptent aucune personne active occupée, les adultes en âge de travailler vivant seuls et les individus vivant dans un ménage monoparental avec des enfants mineurs (voir illustration 2). Le taux de pauvreté des personnes de nationalité étrangère est aussi nettement plus élevé que celui de la population totale. En outre, la formation achevée la plus élevée joue un rôle prépondérant. Les personnes sans formation postobligatoire connaissent presque deux fois plus souvent la pauvreté que celles d’un niveau supérieur. Celles qui ont un diplôme universitaire ou d’une haute école spécialisée sont les moins touchées. Le taux de pauvreté des personnes de 65 ans et plus est également élevé. Cela dit, ces dernières ont souvent recours à des éléments de patrimoine pour financer leurs dépenses courantes[3]. On ne tient pas compte de la fortune personnelle dans le calcul du taux de pauvreté.

La probabilité qu’une personne soit touchée ou non par la pauvreté dépend largement de la participation du ménage au marché du travail. En effet, l’exercice d’une activité rémunérée est considéré comme le principal moyen de réduire ce risque. Ce constat se vérifie par les statistiques : le taux de pauvreté de la population active occupée est nettement inférieur à celui des personnes non actives occupées de 18 ans et plus. Bien que l’intégration sur le marché du travail représente une protection efficace contre la pauvreté, 3,8 % des actifs occupés, soit 140 000 personnes, étaient touchés par la pauvreté en 2016. On la rencontre davantage chez les actifs occupés lorsque les conditions de l’emploi sont nettement ou tendanciellement moins sûres. Cela concerne notamment les personnes ayant connu des interruptions dans leur carrière professionnelle, engagées sur la base de contrats à durée déterminée, employées dans de petites entreprises ou exerçant seules une activité indépendante. Au sein de ces groupes, le taux de pauvreté atteint jusqu’à 9%.

L’analyse par régions est également pertinente pour l’étude de la pauvreté. Elles présentent, en effet, des différences en termes de potentiel économique et de chances sur le marché du travail. Le taux de pauvreté le plus élevé est au Tessin et le plus bas en Suisse centrale. En général, les régions densément peuplées sont plus susceptibles d’être confrontées à la pauvreté que les zones rurales faiblement peuplées.

Ill. 2. Taux de pauvreté avant et après transferts sociaux, en % de la population (2016)




Remarque : les deux taux de pauvreté sont calculés sur la base du revenu, indépendamment de la fortune éventuelle. Dans le taux de pauvreté avant transferts sociaux, on déduit par exemple du revenu disponible les allocations familiales, les rentes d’invalidité, les réductions de primes d’assurance-maladie, l’aide sociale ou les indemnités journalières de l’assurance-chômage. En revanche, les prestations de vieillesse et de survivants (PC comprises) sont toujours comptées dans le revenu du ménage.

Source : OFS, Enquête sur les revenus et les conditions de vie (Silc) 2016 / La Vie économique

La pauvreté est majoritairement de courte durée


Les statistiques permettent également de savoir combien de temps les personnes se retrouvent en situation de pauvreté. De 2013 à 2016, 12,3 % de la population résidante de Suisse, soit une personne sur huit, a été touchée au moins une fois par ce phénomène (voir illustration 3). Sur quatre ans, on compte donc nettement plus de personnes touchées par la pauvreté que ne le laisse apparaître le taux annuel. Pour la plupart d’entre elles, il s’agit d’une expérience passagère : 7,7 % de la population l’ont vécu une année sur quatre, 2,5 % deux années sur quatre, 1,2 % trois années sur quatre et 0,9 % pendant les quatre années considérées. La majeure partie des personnes touchées a donc retrouvé assez rapidement un revenu la ramenant au-dessus du seuil de pauvreté. Une personne touchée sur cinq environ a toutefois subi cette situation pendant au moins trois ans, se retrouvant ainsi particulièrement exposée au risque d’exclusion sociale.

Personnes touchées par la pauvreté au cours d’une période de quatre ans (2013-2016), en % de la population




Exemple de lecture : 7,7 % de la population ont été touchés par la pauvreté au cours d’une seule des quatre années considérées et 0,9 % l’ont été durant les quatre années.

Source : OFS, Enquête sur les revenus et les conditions de vie (Silc) / La Vie économique

Dans ce contexte, le taux de pauvreté avant transferts sociaux est également intéressant (voir illustration 2). Il mesure la part de la population qui serait touchée par la pauvreté si aucun autre transfert social (comme les allocations familiales, les rentes d’invalidité, les réductions de primes d’assurance-maladie, l’aide sociale ou les indemnités journalières de l’assurance-chômage) n’était versé. Il s’avère que ces prestations en Suisse contribuent de manière essentielle à prévenir la pauvreté en termes de revenu. Sans les transferts sociaux, 1,3 million de personnes, soit 16 % de la population suisse, seraient considérées comme pauvres. Le taux de pauvreté régulier, qui inclut tous les transferts dans le revenu, était plus de deux fois plus bas (7,5 %). Dans plus de la moitié des cas, les transferts sociaux ont ainsi complété le revenu du ménage et l’on fait passer au-dessus du seuil de pauvreté. Il n’est cependant pas rare que la situation financière reste tendue malgré les transferts sociaux, ceux-ci ne permettant souvent d’élever le revenu que légèrement au-dessus du seuil de pauvreté.

Les transferts sociaux permettent de réduire considérablement le taux de pauvreté des ménages avec enfants (en particulier des personnes vivant dans un ménage monoparental), des actifs non occupés et des personnes de nationalité étrangère originaires de pays extra-européens. Ces groupes demeurent cependant nettement plus exposés à la pauvreté que le reste de la population, même après les transferts. Ces derniers n’ont pratiquement pas d’influence sur la structure de la population pauvre. Un bas niveau de formation et une intégration insuffisante sur le marché du travail représentent les principaux facteurs de risque de pauvreté en Suisse, avant comme après les transferts sociaux.

  1. C’est pourquoi ces indicateurs font également partie du Rapport social statistique suisse de l’OFS et servent de base au Programme national de prévention et de lutte contre la pauvreté. []
  2. Les frais d’assurance maladie obligatoire sont déjà déduits lors du calcul du revenu disponible. Le taux de pauvreté ne tient pas compte d’une éventuelle fortune. []
  3. OFS 2014. []

Bibliographie

  • Office fédéral de la statistique (OFS), La pauvreté des personnes âgées, Neuchâtel, 2014.
  • Office fédéral de la statistique (OFS), Rapport social statistique suisse 2015. Neuchâtel, 2015.


Conseil fédéral, Résultats du Programme national de prévention et de lutte contre la pauvreté 2014-2018. Rapport du Conseil fédéral sur le Programme national et donnant suite à la motion 14.3890 Groupe socialiste du 25 septembre 2014, 18 avril 2018.


Bibliographie

  • Office fédéral de la statistique (OFS), La pauvreté des personnes âgées, Neuchâtel, 2014.
  • Office fédéral de la statistique (OFS), Rapport social statistique suisse 2015. Neuchâtel, 2015.


Conseil fédéral, Résultats du Programme national de prévention et de lutte contre la pauvreté 2014-2018. Rapport du Conseil fédéral sur le Programme national et donnant suite à la motion 14.3890 Groupe socialiste du 25 septembre 2014, 18 avril 2018.

Proposition de citation: Tom Priester ; Martina Guggisberg ; (2018). Mesurer la pauvreté en Suisse. La Vie économique, 17 septembre.

La Suisse bien placée au niveau européen

Pour comparer la situation de la Suisse avec celle d’autres pays, on considère le taux de risque de pauvreté, notion couramment employée à l’échelon international. En 2016, ce taux était de 14,7 % en Suisse, soit, comme les années précédentes, au-dessous de la moyenne de l’Union européenne (17,3 %). Cet indicateur est cependant moins pertinent que le taux de pauvreté pour mesurer les effets de la lutte contre la pauvreté. Il dépend directement du niveau moyen de prospérité d’un pays et constitue davantage une mesure de l’inégalité des revenus que du niveau de vie réel. Pour ce qui est des ressources matérielles, la Suisse occupe l’une des premières places au classement européen : le taux de privation matérielle, qui traduit l’absence, pour des raisons financières, d’au moins trois éléments parmi neuf, était de 5,3 % en Suisse, un chiffre est nettement inférieur à la moyenne européenne de 15,7 %.