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Le report de la libéralisation du marché de l’électricité engendre des coûts tant pour les consommateurs que pour les fournisseurs.
Patrick Dümmler, Responsable de recherche «Suisse ouverte» et membre de la direction, Avenir Suisse, Zurich

Prise de position

Depuis 2014, soit cinq ans après l’ouverture du marché pour les gros consommateurs en 2009, les ménages et les petites entreprises devraient pouvoir choisir leur fournisseur d’électricité. Mais le Conseil fédéral n’a pas tenu la promesse faite il y a plus de dix ans : environ la moitié de la quantité de courant produite est toujours écoulée en régime de monopole, ce qui signifie que les petits consommateurs sont liés à leur fournisseur local.

L’une des explications consiste à dire que la pression sur les prix de l’électricité en Europe, et par conséquent en Suisse, était forte en raison de la récession économique qui a suivi la crise financière. Les producteurs suisses étaient alors heureux de pouvoir vendre au moins la moitié de la quantité produite, non seulement en couvrant leurs frais, mais aussi en dégageant un bénéfice. Les victimes sont les millions de ménages et de petits entrepreneurs du pays.

La division du marché de l’électricité incite les fournisseurs à une démarche créative : le courant acheté à un prix avantageux est souvent fourni aux seuls gros clients, car la concurrence oblige à se battre pour les acquérir. Le courant souvent plus cher qu’ils produisent eux-mêmes est vendu aux petits clients dans le cadre du monopole. Le Tribunal fédéral avait pourtant sanctionné ces agissements il y a quelques années, mais des actions politiques sont en cours pour créer les bases légales de cette pratique commerciale.

Le double rôle des cantons

L’analyse de la structure de propriété des plus importants producteurs suisses d’électricité montre qu’ils appartiennent presque tous à des cantons ou à des communes. Du côté des consommateurs, le soupçon demeure sur le double rôle politique des cantons, à la fois propriétaires et législateurs, qui a ralenti plutôt qu’accéléré l’ouverture complète du marché.

Les « années perdues » depuis 2014 ont un autre effet économique négatif : contrairement aux pays européens, où les marchés de l’électricité sont ouverts à tous les consommateurs depuis des années, les fournisseurs suisses n’ont développé de nouvelles solutions en faveur des clients que de manière isolée. La numérisation n’arrive pas jusqu’aux petits clients et le manque de concurrence rend les investissements des fournisseurs peu attrayants en termes d’économie d’entreprise.

Cette situation n’est satisfaisante ni pour les consommateurs d’électricité souverains ni pour les fournisseurs d’électricité eux-mêmes. Ce manque dans le développement des produits conduit à un retard en matière d’innovation par rapport aux fournisseurs étrangers qui possèdent déjà de longues années d’expérience dans le segment des petits clients. Plus l’ouverture du marché sera retardée en Suisse, plus l’avantage compétitif des concurrents étrangers sera important.

Du point de vue économique, la libéralisation complète du marché de l’électricité est le mot d’ordre du moment. Elle devrait se concrétiser rapidement et, si nécessaire, indépendamment des autres réformes du marché de l’électricité.

Proposition de citation: Patrick Dümmler (2018). Prise de position: Une ouverture du marché tardive. La Vie économique, 22 novembre.