Michael Frank, Directeur de l’Association des entreprises électriques suisses (AES), Aarau
L’Union européenne (UE) est très claire : il n’y aura pas d’accord sur l’électricité sans ouverture complète du marché. On ne sait cependant pas si cet accord se fera, ni quand. Subordonner la libéralisation du marché suisse à cette seule condition serait insuffisant. Certains souhaitent cette ouverture, d’autres la condamnent. Le Conseil fédéral avait déjà proclamé la libéralisation complète en 2009 mais celle-ci, que partiellement appliquée, reste une demi-mesure. La révision de la loi sur l’approvisionnement en électricité doit permettre de décider si une demi-mesure convient pour la Suisse ou s’il faut aller jusqu’au bout du processus.
L’examen de la situation chez nos voisins montre qu’en dépit de marchés libres, des mécanismes de soutien et de gestion ont été instaurés partout, y compris en Allemagne. Une analyse superficielle laisserait certes croire que le marché spot de l’énergie (« energy-only ») fonctionne au sein de l’UE, mais il ne crée pas de signaux de prix et ne stimule donc pas les investissements.
Qu’est-ce que cela signifie pour la Suisse ? L’ouverture du marché ne doit pas être un but en soi. Il s’agit surtout de définir une base qui crée des incitations à investir et, dans ce cadre, de discuter de l’ouverture des marchés. Il faut des signaux de prix qui fonctionnent, et qui pourraient aussi inclure la tarification de la sécurité de l’approvisionnement. Le client aurait ainsi la possibilité de choisir la valeur qu’il donne à un approvisionnement continu.
Il est difficile d’expliquer au consommateur qu’il n’a pas le droit de choisir. Est-ce que j’aimerais qu’on m’impose d’acheter des yogourts à la fraise ou à la framboise chez tel ou tel détaillant ? Ou de biffer de ma liste d’achats le yogourt ananas-menthe que propose la nouvelle laiterie ? Des directives étatiques indiquant où acheter ses aliments de base seraient impensables. Est-ce différent pour l’électricité ? Un marché ouvert stimule l’innovation et encourage à faire des efforts afin d’être et de rester la meilleure adresse pour les consommateurs.
L’avenir sera numérique et décentralisé
L’innovation sera plus que jamais demandée dans le secteur de l’électricité. L’univers énergétique de demain sera plus décentralisé et plus numérique. L’évolution technologique et la numérisation exigeront beaucoup de nous. Elles auront lieu avec ou sans nous et trouveront un moyen de contourner et de saper un marché qui n’est que partiellement libéralisé. Des thèmes comme la consommation propre, la cybersécurité ou la chaîne de blocs (« blockchain ») éroderont la partie encore non libéralisée du marché. Ils contournent aujourd’hui déjà efficacement ses mécanismes. La compétitivité d’un fournisseur se mesurera à la manière dont il relèvera ces défis.
Dans ce contexte, la question est de savoir si l’ouverture complète du marché constitue véritablement le défi majeur ou si elle découle de changements beaucoup plus importants qui se produiront immanquablement. Ces changements exigeront d’autres compétences et d’autres efforts qui nous obligeront à trouver de nouvelles réponses, que cela nous plaise ou non.
Proposition de citation: Frank, Michael (2018). Faut-il un marché de l’électricité ouvert ? La Vie économique, 22. novembre.