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Plus raisonnable qu’on ne le croyait : la génération Y face à l’épargne

À quelles fins les jeunes adultes épargnent-ils en Suisse ? Outre les voyages, les motifs d’épargne les plus souvent cités sont les réserves pour les temps incertains, les impôts et la prévoyance-vieillesse.
Le voyage constitue le motif d’épargne le plus fréquent de la génération Y. La baie de San Francisco. (Image: Keystone)

Les jeunes adultes sont souvent décrits comme étant peu sérieux, égoïstes, déloyaux et manquant de vision à long terme. Pour la « génération Y » (ou « millenials ») – c’est-à-dire les personnes âgées aujourd’hui de 23 à 37 ans, selon la définition retenue –, le plaisir au travail ainsi qu’un bon équilibre entre vie professionnelle et loisirs importent davantage que le statut, le prestige et, du même coup, l’argent. Disposer d’espaces de liberté et avoir la possibilité de s’épanouir compte plus que les hiérarchies rigides. D’après le « Baromètre de la jeunesse 2016 » de Credit Suisse, le but le plus important de cette génération serait de réaliser ses rêves.

De nombreux membres de la génération Y entament actuellement leur carrière professionnelle et ont atteint l’âge où l’on commence traditionnellement à économiser. Comme cette génération semble moins se préoccuper de son avenir que les précédentes, on peut admettre qu’elle s’en distinguera aussi par ses habitudes d’épargne. Selon la Banque mondiale, les compétences financières, qui affectent entre autres l’épargne, sont moins marquées chez les jeunes adultes. Ainsi la génération Y peine-t-elle à se constituer un patrimoine, selon le dernier « Global wealth report » de Credit Suisse.

Or, les habitudes d’épargne d’une génération ont des effets macroéconomiques. D’une part, elles affectent le système bancaire, pour qui les économies des clients représentent une source de financement importante. D’autre part, économiser signifie renoncer à consommer ou repousser sa consommation à plus tard.

Mais qu’en est-il vraiment de l’épargne de la génération Y en Suisse ? L’Université des sciences appliquées de Zurich (ZHAW) s’est penchée sur la question à travers une enquête[1]. Des mouvements de comptes anonymisés effectués auprès de la Banque cantonale de Zurich (ZKB) ont en outre été analysés.

Le sondage a eu lieu entre février et avril 2018 au moyen d’un questionnaire standardisé. Celui-ci a été envoyé par voie électronique aux étudiants de la ZHAW, par l’intermédiaire du service de conseil en matière d’endettement du canton de Zurich, de Facebook et de l’entourage professionnel et privé des auteurs. Ont été retournées 1903 réponses, dont 1440 en provenance du groupe cible proprement dit, soit les personnes nées entre 1981 et 1995. Ce segment de l’échantillon a fait l’objet d’une évaluation détaillée, les autres cohortes n’étant prises en compte qu’à des fins de comparaison. L’échantillon de la génération Y se compose de 58 % d’hommes et 42 % de femmes. Étant donné les canaux de distribution utilisés, l’étude ne saurait être qualifiée de représentative.

Économiser pour voyager


Les résultats de l’enquête sont surprenants : 82 % des membres de la génération Y utilisent délibérément une partie du revenu librement disponible pour faire des économies et 85 % sont détenteurs d’un compte d’épargne. Seuls 18 % ne veulent ou ne peuvent pas économiser régulièrement en raison de leur situation financière. La comparaison par sexe montre que 86 % des femmes économisent à dessein, contre seulement 78 % des hommes.

Le motif d’épargne le plus souvent cité est le voyage, ce qui coïncide avec la perception générale d’une génération de bons vivants facilement dépensiers (voir illustration 1). En revanche les motifs d’épargne des rangs 2 à 5 comprennent des projets d’économies à long terme : réserves pour les temps incertains, provisions pour des acquisitions majeures, pour la prévoyance-vieillesse et pour les impôts. Sur ces points, les réponses de la génération Y ne diffèrent guère de celles des « baby-boomers » et de la génération X. Même si ces deux derniers groupes mettent la prévoyance-vieillesse en tête de liste, leurs cinq premiers motifs d’épargne sont les mêmes que ceux de génération Y.

Ill. 1. Motifs d’épargne de la génération Y




Remarque : plusieurs réponses possibles, années de naissance 1981 à 1995 (N=1440).

Source : Fiorito et Schweizer (2018) / La Vie économique

Outre la volonté d’économiser et le motif d’épargne, il est aussi intéressant de savoir combien la génération Y met de côté dans chaque catégorie. L’illustration 2 montre la répartition des montants économisés mensuellement pour les six raisons les plus souvent citées. Quel que soit le motif d’épargne invoqué, la fourchette la plus fréquente des économies mensuelles est de 50 à 200 francs (abstraction faite des réponses « jamais » et « occasionnellement »). Pour les voyages et les réserves pour les temps incertains, ainsi que pour les acquisitions majeures, la proportion d’épargnants qui économisent des montants importants décline relativement rapidement. L’évolution est moins extrême pour les impôts et la prévoyance-vieillesse.

Ill. 2. Montant mensuel par motif d’épargne




Remarque : années de naissance 1981 à 1995 (N=1440).

Source : Fiorito et Schweizer (2018) / La Vie économique

Hommes et femmes économisent différemment


Comme d’autres avant elles, la génération Y fait preuve de comportements différenciés face à l’épargne. Pour les biens de consommation ou pour des objets moins concrets comme les voyages ou les réserves, elle économise des montants relativement constants. Mais pour l’épargne à plus long terme liée à l’investissement, comme la prévoyance-vieillesse ou l’acquisition d’un logement propre, les montants varient davantage, probablement en fonction des possibilités financières de chacun.

La comparaison par sexe et motif d’épargne révèle des différences. Plus de la moitié des femmes mettent de côté des montants de 50 francs et plus par mois pour les temps incertains ; chez les hommes, ce taux est nettement inférieur à 50 %. En revanche, presque la moitié des hommes de la génération Y épargnent au moins 50 francs pour leur prévoyance-vieillesse, et presque un tiers d’entre eux dépassent les 200 francs. Chez les femmes, ces taux ne sont respectivement que de 35 % et 17 %.

Le niveau actuel des intérêts a étonnamment peu d’influence sur l’épargne de la génération Y. Ainsi, 74 % des participants à l’enquête déclarent que leur épargne n’en dépend pas. Parmi les 26 % qui y sont sensibles, environ deux tiers (60 %) affirment qu’ils ne changeraient pas leurs habitudes d’épargne si les taux continuaient à baisser. Dans ce dernier scénario, seuls 23 % des membres du groupe sensible aux intérêts envisageraient de changer de forme d’épargne, par exemple en s’intéressant aux placements en bourse. On note là aussi une différence selon le sexe : alors que seul un cinquième des femmes fait dépendre ses habitudes d’épargne du niveau des taux d’intérêt, la proportion est de plus d’un tiers chez les hommes.

Plus de la moitié des membres de la génération Y interrogés s’est déjà préoccupée de sa prévoyance-vieillesse privée, et un quart compte le faire prochainement. Une large majorité des sondés (87 %) est d’avis que de plus en plus de retraités seront pauvres en l’absence de prévoyance privée. Si deux tiers des hommes interrogés se sont déjà préoccupés de leur prévoyance privée et qu’environ 60 % cotisent au troisième pilier, ces chiffres sont bien inférieurs parmi les femmes. Seule la moitié d’entre elles se sont préoccupées de leur prévoyance-vieillesse et 45 % disposent d’une prévoyance privée. Ce résultat est d’autant plus intéressant que 55 % des hommes interrogés avouent leur crainte de ne toucher qu’une faible rente à la retraite, contre 75 % des femmes.

Les objectifs d’épargne se traduisent en actes


En résumé, on peut constater que l’épargne a incontestablement de l’importance pour la génération Y et que ses membres poursuivent également des objectifs d’épargne concrets et à long terme. Pour valider ces constats, la seconde partie du projet de recherche consistait en une analyse des mouvements de comptes d’un segment de portefeuilles gérés par la ZKB dans l’idée de les comparer aux résultats de l’enquête. Les deux jeux de données étant anonymisés, il n’a pas été possible d’établir un lien entre tel participant à l’enquête et tel client de la banque. Au niveau agrégé, les transferts des comptes-salaires aux comptes-épargnes confirment les résultats de l’enquête. Ainsi, non seulement une forte majorité de la génération Y s’intéresse à l’épargne, mais elle le traduit aussi en actes.

  1. Étude réalisée pour la Banque cantonale de Zurich dans le cadre d’un travail de bachelor. Les résultats détaillés ne seront pas publiés. []

Proposition de citation: Alessandra Fiorito ; Andreas Schweizer ; (2018). Plus raisonnable qu’on ne le croyait : la génération Y face à l’épargne. La Vie économique, 20 décembre.