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Touristes chinois en Suisse : peu de bénéficiaires

Les groupes de voyageurs venus de Chine dépensent beaucoup d’argent dans certaines destinations en Suisse. Mais seuls quelques prestataires locaux en profitent.
La Schwanenplatz de Lucerne fait partie des étapes touristiques les plus populaires. (Image: Keystone)

Le tourisme international a enregistré une croissance impressionnante au cours des dernières décennies. Si l’on enregistrait 25 millions d’arrivées de voyageurs étrangers à l’échelle mondiale en 1950, ce chiffre a atteint environ 1,3 milliard l’année passée. Selon les extrapolations, il devrait passer à 1,8 milliard d’ici à 2030[1].

La demande de voyages internationaux a particulièrement progressé en Asie, où les revenus ont augmenté. Le marché de provenance chinois illustre bien cette évolution : l’ouverture internationale du marché, la croissance économique et l’amélioration de la situation financière de la population ont entraîné une forte croissance des voyages depuis le changement de millénaire (voir illustration 1).

Ill. 1. Voyages à l’étranger de la population chinoise (2007–2016)




Source : Bureau national des statistiques de Chine (2017) / La Vie économique

La Chine est en tête du classement mondial des dépenses touristiques depuis 2012 : sur le marché du tourisme global, un franc sur cinq environ est désormais dépensé par un voyageur chinois[2]. La demande chinoise devrait continuer de progresser dans un avenir proche, notamment si l’on considère que seuls quelque 10 % des 1,4 milliard de personnes vivant en Chine possèdent actuellement un passeport. Une grande partie des 135 millions de voyages à l’étranger effectués en 2017 par la population chinoise se sont déroulés sur le continent asiatique, les destinations favorites étant les zones administratives spéciales de Hong Kong et de Macao ainsi que les États du Sud-Est asiatique comme la Thaïlande ou l’Indonésie. Un voyage à l’étranger sur dix est à destination de l’Europe[3]. La Suisse capte à peine 1 % des voyages chinois effectués à l’étranger, soit environ 970 000 arrivées par année.

En termes de nuitées, la Chine est désormais le cinquième pays de provenance par ordre d’importance pour le tourisme suisse, derrière le marché domestique, l’Allemagne, les États-Unis et la Grande-Bretagne. Au cours des dix dernières années, les hôtels suisses ont enregistré des taux de croissance annuels à deux chiffres pour les clients chinois (voir illustration 2). Cette évolution est réjouissante, puisque les Chinois sont généralement de grands consommateurs. Seuls les clients des pays du Golfe dépensent encore plus d’argent.

Ill. 2. Nuitées de voyageurs asiatiques en Suisse (2017)




Source : OFS / La Vie économique

Offres forfaitaires appréciées


Contrairement aux voyageurs issus des marchés de provenance traditionnels comme l’Allemagne ou les États-Unis, la majorité des voyageurs chinois visitent la Suisse dans le cadre d’un voyage de groupe à forfait à travers l’Europe. Les raisons de cet engouement pour les voyages à forfait sont multiples. D’une part, les dispositions en matière de visa et des considérations d’ordre économique jouent un rôle : un voyage à forfait est souvent meilleur marché qu’un voyage organisé indépendamment. D’autre part, la plupart des touristes chinois n’ont pas ou que peu d’expérience touristique et leurs connaissances linguistiques sont limitées.

Comme nombre de voyages proposés visent les mêmes attractions, les flux de touristes se concentrent sur certaines destinations. En Suisse, les trois quarts des clients chinois logent dans les régions touristiques de Lucerne, Zurich et Berne. La région de Lucerne revendique presque un tiers des nuitées. Selon certaines estimations, entre 70 et 80 % des voyages de groupe en Europe centrale feraient halte en ville de Lucerne. Les clients chinois semblent apprécier la combinaison du lac, des excursions en montagne et des possibilités d’achats.

L’augmentation du nombre de voyageurs en groupe a été particulièrement forte à la Schwanenplatz de Lucerne, où se trouvent plusieurs magasins d’horlogerie et où s’arrêtent de nombreux autocars. En six ans, ce chiffre a progressé de 0,6 million pour atteindre 1,4 million de voyageurs en 2017[4]. Les achats de montres expliquent dans une large mesure le niveau élevé des dépenses des voyageurs chinois (voir illustration 3)[5].

Ill. 3. Dépenses journalières moyennes par voyageur selon les pays de provenance (2017)




Source : Suisse Tourisme (2018) / La Vie économique

D’un point de vue économique, les Chinois voyageant en groupe et à forfait apportent des impulsions positives en termes de croissance et d’emploi. À la seule Schwanenplatz, le tourisme de groupe a généré l’an dernier une valeur ajoutée totalisant 224 millions de francs et quelque 455 salariés peuvent être associés à ce segment. S’y ajoutent 179 millions de francs gagnés en Suisse centrale (région touristique de Lucerne/lac des Quatre-Cantons). Il en résulte dans la région une création de valeur issue du tourisme de groupe de 403 millions de francs.

Problèmes d’acceptation au sein de la population


L’augmentation des voyages en groupe a aussi ses zones d’ombre. La concentration spatio-temporelle des flux de touristes aux alentours de la Schwanenplatz crée des goulets d’étranglement et, par conséquent, des problèmes d’acceptation parmi la population locale. Un examen plus attentif révèle également que le tourisme de groupe entraîne une forte concentration de la création de valeur. Ainsi, sur les 224 millions de francs générés à la Schwanenplatz, 196 millions sont attribuables au commerce de détail de montres et de bijoux, la gastronomie ne captant qu’un million de francs.

Comment l’industrie du tourisme peut-elle relever de tels défis ? Une possibilité consiste à aborder de manière ciblée, en Asie, les personnes qui souhaitent voyager seules ou en petit groupe. Hypothèse : les voyageurs individuels respectent moins les directives d’un organisateur, ils séjournent plus longtemps au même endroit et recherchent des attractions à l’écart des principaux centres d’intérêt. Cela se traduit par une répartition plus large de la création de valeur et par une dissociation bienvenue des flux touristiques dans l’espace et dans le temps.

L’organisation nationale de marketing Suisse Tourisme estime que les voyageurs individuels représentent environ un tiers des hôtes chinois. Ces indications doivent toutefois être considérées avec prudence, puisque les données significatives font défaut. Des études actuelles estiment que le comportement en voyage de la plupart des voyageurs individuels chinois ne diverge que légèrement de celui de leurs compatriotes voyageant en groupe. Cette observation s’applique en particulier aux voyageurs qui visitent la Suisse pour la première fois dans le cadre d’un séjour en Europe.

Viser les voyageurs individuels


Comment s’occuper désormais du marché de provenance asiatique compte tenu des problèmes croissants d’acceptation de voyageurs en groupe en Suisse ? Il convient premièrement de sécuriser la forte création de valeur asiatique déjà mentionnée, en particulier celle des groupes chinois. L’objectif est de capter l’attention de groupes restreints de voyageurs aisés, qui passent la nuit dans la destination et qui profitent d’offres supplémentaires, en leur adressant des offres ad hoc. Les effets externes négatifs pourraient en outre être minimisés grâce à une gestion locale des flux de touristes et à une meilleure répartition temporelle des charges de pointe.

La diversification de la structure de la clientèle en provenance des marchés asiatiques constitue un autre axe de développement. À cet égard, la priorité doit être accordée à la part croissante des voyageurs chinois individuels. Des connaissances approfondies du marché touristique individuel chinois sont pour cela nécessaires. Elles sont actuellement insuffisantes. Pour développer des modèles d’affaires durables, il est impératif de répartir plus largement la création de valeur afin qu’un nombre croissant de prestataires en bénéficient et que les conséquences négatives puissent être minimisées.

  1. OMT (2011). []
  2. OMT (2017). []
  3. CET (2016). []
  4. Hanser Consulting (2018). []
  5. Suisse Tourisme (2018). []

Bibliographie

  • Commission européenne du tourisme CET (2016). Tourism flows from China to the European Union : Current state and future developments. Preparatory report for the 2018 EU China tourism year, Office des publications de l’Union européenne, Luxembourg.
  • Hanser Consulting (2018). Gruppentourismus in Luzern : Analyse der volkswirtschaftlichen Bedeutung, Zurich.
  • Suisse Tourisme (2018). Monitoring du Tourisme Suisse 2017, Zurich.
  • Organisation mondiale du tourisme OMT (2011). Tourism Towards 2030 : Global Overview, Madrid.
  • Organisation mondiale du tourisme OMT (2017). Penetrating the Chinese Outbound Tourism Market – Successful Practices and Solutions. Organisation mondiale du tourisme (OMT).

Bibliographie

  • Commission européenne du tourisme CET (2016). Tourism flows from China to the European Union : Current state and future developments. Preparatory report for the 2018 EU China tourism year, Office des publications de l’Union européenne, Luxembourg.
  • Hanser Consulting (2018). Gruppentourismus in Luzern : Analyse der volkswirtschaftlichen Bedeutung, Zurich.
  • Suisse Tourisme (2018). Monitoring du Tourisme Suisse 2017, Zurich.
  • Organisation mondiale du tourisme OMT (2011). Tourism Towards 2030 : Global Overview, Madrid.
  • Organisation mondiale du tourisme OMT (2017). Penetrating the Chinese Outbound Tourism Market – Successful Practices and Solutions. Organisation mondiale du tourisme (OMT).

Proposition de citation: Jürg Stettler ; Lukas Huck ; (2018). Touristes chinois en Suisse : peu de bénéficiaires. La Vie économique, 20 décembre.