Un employé du fabricant de dispositifs médicaux Gomina examine une lame de scie à os. En Suisse, environ 700 fabricants et sous-traitants actifs dans le secteur sont touchés par des exigences plus élevées. (Image: Keystone)
Les produits de technique médicale sont d’une grande importance non seulement pour les services de santé, mais également pour l’économie suisse : quelque 59 000 personnes travaillent dans cette branche, soit plus de 1 % de la population active du pays. Le secteur croît en outre fortement et est très innovant.
À la suite de plusieurs incidents liés à des dispositifs médicaux défectueux, contrefaits ou mal utilisés, l’UE a décidé de remanier de fond en comble son cadre juridique, l’objectif étant d’améliorer la sécurité des patients. À cet effet, les exigences en matière de sécurité des produits ont été adaptées à l’état de la technique, et les zones grises ainsi que les lacunes de la législation ont été supprimées. Ce remaniement a débouché sur l’adoption le 5 avril 2017 de deux nouveaux règlements UE relatifs aux dispositifs médicaux par le Parlement européen : le règlement relatif aux dispositifs médicaux (MDR, pour « medical devices regulation ») et le règlement relatif aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro (IVDR, pour « in vitro diagnostic medical devices regulation »).
La Suisse possédait jusqu’alors une réglementation équivalente à celle de l’Union européenne (UE). Le Conseil fédéral entend désormais adapter la loi sur les produits thérapeutiques (LPTh) et la loi relative à la recherche sur l’être humain (LRH), afin d’éviter un vide réglementaire. Quel est donc l’impact d’une telle adaptation ?
Une protection accrue de la santé
L’adaptation de la réglementation suisse à celle de l’UE doit améliorer la protection de la vie et de la santé de la population suisse dans la même mesure qu’à l’intérieur de l’UE. Une multitude de mesures sont prévues à cette fin. Ainsi, les produits soumis à certification seront désormais plus nombreux. Il s’agit en particulier des logiciels, des articles de laboratoire et de produits esthétiques sans fonction médicale tels que les lentilles de contact non correctrices. En outre, divers dispositifs médicaux seront classés dans une catégorie de risque supérieure et de ce fait soumis à des exigences plus sévères. Par ailleurs, les fabricants devront satisfaire à des exigences plus élevées s’agissant de la preuve clinique de leurs produits et documenter plus complètement la surveillance de ces derniers à partir de leur commercialisation. L’évaluation de la conformité des produits à haut risque, comme les cathéters cardiaques, sera contrôlée par un groupe d’experts au niveau de l’UE avant que ces produits ne soient mis sur le marché. De plus, les autorités européennes compétentes coopèreront encore plus étroitement pour surveiller efficacement le marché et déceler rapidement les cas problématiques.
Dans l’ensemble, ces mesures doivent permettre autant que possible d’empêcher les produits défectueux de parvenir sur le marché et d’identifier plus rapidement les entreprises douteuses. Simultanément, les patients doivent bénéficier d’une plus grande transparence grâce à la banque de données paneuropéenne des dispositifs médicaux « Eudamed » et à la « carte d’implant ».
Coûts et utilité de la révision
L’harmonisation de la réglementation suisse avec celle de l’UE ne bénéficie pas qu’aux seuls patients et consommateurs : une majorité d’acteurs économique se prononce également en sa faveur[1]. De fait, l’accès facilité au marché intérieur de l’UE pour la branche des techniques médicales, tel qu’il existe aujourd’hui grâce aux accords bilatéraux, ne sera maintenu que si l’équivalence des régimes juridiques reste garantie. Ce point est crucial pour la branche : en 2016, les exportations représentaient environ trois quarts du chiffre d’affaires. La moitié environ des exportations étaient destinées aux pays de l’UE et de l’Association européenne de libre-échange (AELE).
Pourtant, la révision législative a aussi un prix pour les entreprises, les collectivités publiques, et peut-être pour les patients et les consommateurs. Les auteures ont étudié les coûts probables dans le cadre d’une analyse d’impact de la réglementation (AIR).
Sous la nouvelle réglementation, les quelque 700 fabricants et sous-traitants établis en Suisse sont confrontés à des exigences nettement plus élevées que par le passé. Les coûts supplémentaires nécessaires à la mise en œuvre de la nouvelle réglementation au terme de la phase transitoire totaliseront environ 525 millions de francs par an, selon une estimation approximative réalisée dans le cadre de l’AIR. D’une part, les entreprises devront créer près d’un millier de postes à plein temps supplémentaires dans les domaines de la réglementation, de la conformité (« compliance ») et de la preuve clinique, ce qui correspond à des coûts de personnel estimés à 175 millions de francs par an. D’autre part, des coûts spécifiques aux produits de quelque 350 millions par an surviendront dans les domaines du développement, de la certification et de la surveillance du marché (voir illustration).
Il faut toutefois partir du principe qu’une large part de ces coûts surviendrait de toute manière, car la plupart des fabricants et sous-traitants suisses sont orientés vers l’exportation et doivent demander une certification conforme aux règlements européens MDR et IVDR pour leurs produits afin de pouvoir continuer d’exporter vers l’UE. Ils subiraient donc les conséquences financières précédemment décrites même si la Suisse n’adaptait pas sa réglementation. Si notre pays introduisait une réglementation totalement autonome, les entreprises suisses exportatrices devraient l’appliquer en plus de la réglementation de l’UE. Cela entraînerait des frais supplémentaires pour ces dernières.
Les collectivités publiques devront elles aussi assumer des coûts : pour l’autorité d’exécution Swissmedic, qui exerce la surveillance des dispositifs médicaux commercialisés en Suisse et des organismes suisses d’évaluation de la conformité, la nouvelle réglementation selon l’AIR entraînera un coût d’exécution supplémentaire d’environ 5,3 millions de francs par an. Cette autorité doit créer, selon les estimations, environ 27 postes à plein temps supplémentaires pour accomplir les tâches nouvelles et approfondies exigées par la réglementation.
Besoin en personnel et coûts supplémentaires annuels générés par la nouvelle réglementation (dès 2020)
* Coûts annuels en état stable (« steady state ») après la fin de la phase transitoire. Seuls les fabricants et les sous-traitants de composants concernés par la réglementation ont été pris en compte.
** Estimation des coûts selon le manuel « Check-up de la réglementation ». Une part des coûts supplémentaires pourrait être répercutée à titre d’émoluments sur les organismes d’évaluation de la conformité, dans une mesure encore inconnue.
Source : calculs propres d’Ecoplan / La Vie économique
Parallèlement aux avantages pour la protection de la santé et des consommateurs, la nouvelle réglementation comporte aussi certains risques pour les patients et les consommateurs. On craint par exemple que les certificats de certains produits ne puissent pas être renouvelés à temps durant la phase transitoire et que, en raison des exigences plus élevées, des pénuries puissent aussi survenir ultérieurement pour certains produits et groupes de patients.
Effets macroéconomiques
Outre les coûts présentés ci-dessus, divers effets macroéconomiques sont probables : si l’accès facilité au marché intérieur de l’UE est maintenu, l’attractivité de la place économique suisse en Europe restera garantie pour les technologies médicales. Les besoins accrus de spécialistes entraîneront une croissance de l’emploi dans la branche tout en y amplifiant la pénurie de main-d’œuvre qualifiée. En outre, la branche connaîtra probablement dans toute l’Europe un ajustement de la structure des entreprises, puisque le coût accru de la réglementation frappe plus fortement les PME que les grandes entreprises. Enfin, le renforcement de la réglementation tend à influencer négativement l’innovation et la productivité du travail dans la branche.
À moyen ou long terme, la Suisse ne pourra pas maintenir la réglementation actuelle. Celle-ci repose sur les directives européennes en vigueur jusqu’ici, qui ne s’appliquent plus depuis que l’UE a adopté les nouveaux règlements MDR et IVDR. Le Département fédéral de l’intérieur (DFI) a examiné deux alternatives envisageables en vue d’une réglementation autonome de la Suisse avant de les rejeter, car respectivement irréaliste et trop chère. Par conséquent, si la Suisse souhaite accroître la sécurité des patients et obtenir également l’accès facilité au marché intérieur de l’UE pour la branche des dispositifs médicaux, la seule voie praticable consiste à s’accommoder des coûts causés par la révision législative.
- Voir à ce propos la prise de position de Peter Studer dans ce dossier. []
Bibliographie
Ecoplan/Axxos (2018). Analyse d’impact de la réglementation (AIR) portant sur la révision du droit des dispositifs médicaux. Rapport final sur mandat de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et du Secrétariat d’État à l’économie (Seco).
Bibliographie
Ecoplan/Axxos (2018). Analyse d’impact de la réglementation (AIR) portant sur la révision du droit des dispositifs médicaux. Rapport final sur mandat de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et du Secrétariat d’État à l’économie (Seco).
Proposition de citation: Werner, Sarah; Walther, Ursula (2018). La protection de la santé et les chances d’exportation ont un prix. La Vie économique, 13. décembre.