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Les freins à la réglementation ne sont pas la panacée

Certains politiciens demandent l’instauration de freins à la réglementation afin de limiter le foisonnement réglementaire. Dans un rapport, le Conseil fédéral a passé en revue différents modèles, sans pour autant mettre au jour des solutions simples.
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Les accidents sont souvent associés à des vides juridiques. Un incendie à Coire. (Image: Keystone)

Le « flot de réglementations » limite la liberté des entreprises et des citoyens, génère des coûts toujours plus élevés pour les entreprises et menace ainsi la compétitivité. C’est du moins le discours de nombreux représentants des milieux politiques et économiques, qui évoquent souvent l’image du fonctionnaire trop zélé, dépeignent les organisations internationales comme des monstres bureaucratiques ou rejettent la faute sur les groupes d’intérêts au Parlement.

Parallèlement, chaque crise sociale ou chaque accident est immédiatement associé à un vide juridique ou à un manque de contrôle étatique. Ainsi, après l’incendie en novembre dernier d’un immeuble à Soleure qui a coûté la vie à plusieurs personnes, des politiciens ont demandé que les détecteurs de fumée soient rendus obligatoires dans toute la Suisse. Les appels à renforcer la réglementation et le contrôle de l’État ont également fusé à la suite du scandale sur les implants médicaux qu’a provoqué la révélation des « Implant Files ».

Un consensus de principe se dégage, du moins dans le camp bourgeois, sur les méfaits d’une trop grande densité normative et sur la volonté d’endiguer le « raz-de-marée réglementaire ». Le développement du stock normatif ces dernières années porte pourtant à croire que les membres de l’exécutif et du législatif succombent toujours à la tentation de la réglementation.

Afin de combattre cette « légiférite aiguë », des politiciens et des associations demandent depuis plusieurs années l’introduction de freins à la réglementation. En décembre dernier, le Conseil fédéral a présenté dans un rapport un état des lieux des variantes possibles[1].

Plusieurs modèles sont envisageables


Les freins à la réglementation peuvent être classés en trois catégories. Dans les modèles budgétaires, une sorte de « budget affecté à la réglementation » est mis en place et fixe ce faisant des objectifs quantitatifs. Ces règles peuvent être plus ou moins strictes et prévoir par exemple simplement la présentation d’un rapport, voire entraîner jusqu’au blocage de projets. On compte notamment dans cette catégorie les objectifs budgétaires ou de réduction, ainsi que la règle du « un pour un » (« one in, one out »), selon laquelle chaque nouvelle norme doit être compensée par la suppression d’une norme comparable.

Les règles portant sur le processus législatif forment une deuxième catégorie : elles relèvent les obstacles à franchir dans la procédure législative pour les réglementations coûteuses et doivent ainsi freiner l’activité réglementaire. En font partie l’exigence d’une majorité qualifiée, le droit de veto du Parlement sur les ordonnances et la législation limitée dans le temps (« sunset legislation »).

La troisième catégorie comprend des instruments au service de la transparence, tels que l’analyse d’impact de la réglementation (AIR), les mesures des coûts de la réglementation ou les évaluations ex post. Ils ont pour objectif de permettre aux décideurs de fonder leurs décisions sur une base factuelle, de mettre en lumière les coûts et d’avoir ainsi un effet de frein sur la réglementation.

Les coûts indirects sont difficiles à mesurer


Le volume toujours croissant du stock normatif[2] n’est peut-être pas réjouissant, mais il est a priori inoffensif en soi ; ce sont les conséquences de ces textes sur les citoyens et les entreprises qui comptent, et en particulier les charges qui pèsent sur les entreprises. Or, dès lors que l’on veut réduire ces charges au moyen d’un frein à la réglementation, un indicateur adéquat se révèle indispensable. Le plus utilisé est celui des coûts directs de la réglementation, vu que ceux-ci sont relativement faciles à saisir et à estimer (voir illustration). Cette approche restreinte s’avère toutefois problématique, étant donné qu’elle fait abstraction d’indicateurs importants comme les coûts indirects pour les entreprises, les coûts pour l’État et les citoyens ainsi que l’utilité de la réglementation elle-même. Dans le pire des cas, une telle approche peut même aboutir à un frein à la réglementation qui fait baisser les coûts directs, mais amène à une réglementation dans l’ensemble moins bonne et moins efficace.

Catégories de coûts et d’utilité des réglementations




Source : Seco / La Vie économique

Outre la difficulté d’estimer la charge que génère une disposition, la demande d’instaurer un frein à la réglementation soulève d’autres questions : comment procéder dans le cas d’une initiative populaire ? Et comment traiter les normes qui transposent le droit supérieur ?

Des effets collatéraux sont inévitables


Les freins à la réglementation peuvent en outre s’accompagner d’effets collatéraux et générer des incitations négatives, relève le rapport du Conseil fédéral. C’est le cas par exemple lorsque les lois manquent volontairement de précision afin que la définition détaillée des dispositions entraînant des coûts élevés n’intervienne qu’au niveau de l’ordonnance ou de l’exécution cantonale, ce qui ne va pas dans le sens des freins à la réglementation. On courrait aussi le risque, en particulier dans le cas d’instruments rigides, que soient présentés des « paquets » de projets ficelés suivant des considérations tacticiennes en vue de contourner les règles. Il est également concevable que les freins à la réglementation soient utilisés pour bloquer des projets de réglementation impopulaires.

En résumé, l’efficacité d’un remède dépend aussi du foyer supposé de la maladie. Cela signifie qu’en matière de frein à la réglementation, un instrument doit être adapté aux causes de la prolifération normative pour être efficace. Dans les faits, les impulsions en matière de nouvelles réglementations ont des origines très diverses et un grand nombre d’acteurs sont impliqués dans l’élaboration d’une nouvelle loi. Il est donc difficile de désigner de manière univoque le coupable du foisonnement réglementaire. Par conséquent, les freins à la réglementation peuvent s’inscrire à tous les échelons de l’État fédéral, tant au niveau exécutif que législatif.

Il n’y a pas de panacée contre la « légiférite aiguë ». Si l’efficacité de nombreux instruments reste incertaine, leurs effets collatéraux s’annoncent considérables, sans oublier la charge administrative qu’impliquerait leur application, d’autant plus lourde que les règles sont strictes.

Deux points semblent toutefois incontestables : premièrement, la transparence des coûts est une condition préalable à toute réglementation, y compris à une règle stricte de frein à la réglementation ; deuxièmement, l’autodiscipline de tous les acteurs est indispensable pour limiter le fardeau réglementaire. Comme il est difficile de concevoir des mécanismes de mise en œuvre efficaces dans le système suisse, il incombe aux pouvoirs exécutif et législatif de s’attaquer efficacement à la problématique de la réglementation, même s’ils doivent pour cela s’accommoder de certaines limitations de leur marge de manœuvre.

  1. Conseil fédéral (2018). Frein à la réglementation : possibilités et limites de différents modèles et approches. Rapport en réponse au postulat Caroni 15.3421. []
  2. Mesuré au nombre de pages du recueil systématique du droit fédéral (RS). []

Proposition de citation: Holl, Annetta (2019). Les freins à la réglementation ne sont pas la panacée. La Vie économique, 19. février.