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Pas de planification des transports sans aménagement du territoire

Une bonne planification des transports doit aussi considérer l’impact territorial. La Confédération a tenu compte pour la première fois des stratégies d’urbanisation lors de l’évaluation des projets liés à l’aménagement de l’infrastructure ferroviaire.
Les constructions se font là où les connexions au réseau de transport sont bonnes. Des travaux à la gare de Schlieren (ZH) en 2013. (Image: Keystone)

Le fonds d’infrastructure ferroviaire (FIF) a été accepté en 2014 lors de la votation populaire sur le projet de financement et d’aménagement de l’infrastructure ferroviaire (FAIF). La mise en place du FIF, qui constitue la nouvelle base de financement dans ce domaine, a nécessité une adaptation des processus de planification. Celle-ci est désormais continue et revêt la forme d’étapes d’aménagement. Les critères d’appréciation des projets d’infrastructures ont pour leur part été révisés de fond en comble.

L’un des critères d’appréciation concerne l’interdépendance entre l’évolution du trafic et le développement territorial. D’un côté, les infrastructures de transport influencent les structures territoriales et leur développement. Une diminution de la durée des trajets due à l’amélioration de l’offre de transport peut inciter les individus à effectuer de plus grands déplacements[1], car les lieux de résidence et de travail peuvent être plus éloignés l’un de l’autre si les réseaux de transports sont plus performants. Cela vaut aussi pour les lieux d’achat, de formation et de loisirs. Il est donc possible d’étendre également le rayon du marché du travail et de la distribution de marchandises et, partant, d’améliorer la productivité[2]. De l’autre côté, l’emplacement et la desserte des nouveaux centres de développement influencent aussi le mode de transport utilisé. Les gens se déplacent ainsi davantage en transports publics et à pied dans les zones à forte densité de population[3]. Compte tenu de la forte charge déjà absorbée par les infrastructures à certains moments, il convient d’accorder une attention particulière aux corrélations entre le développement territorial et l’évolution du trafic.

Les stratégies d’urbanisation intégrées dans la réflexion


Une plus grande importance sera désormais accordée aux aspects territoriaux lors de l’appréciation des projets pour l’étape d’aménagement 2035 (EA 2035) et toutes les étapes d’aménagement de l’infrastructure ferroviaire qui suivront. Comme pour les projets d’agglomération de la Confédération, on tient non seulement compte des effets directs (comme l’emprise au sol d’un tracé), mais aussi des impacts à moyen et long termes sur les relations spatiales lors de l’appréciation des grands projets nationaux. L’impact territorial joue donc un rôle déterminant, en plus de critères comme la réduction des goulets d’étranglement ou la monétisation du rapport coûts-utilité. Il s’agit déjà d’un acquis important dans l’optique d’une meilleure coordination entre aménagement du territoire et planification des transports. La pondération des goulets d’étranglement et du rapport coût-utilité demeure néanmoins plus forte que celle des critères spatiaux.

L’Office fédéral du développement territorial (ARE) a élaboré la méthodologie et examiné en collaboration avec l’Office fédéral des transports (OFT) si les divers projets étaient conformes aux objectifs de développement fixés dans le Projet de territoire Suisse. L’ARE en a évalué les effets aux niveaux national, régional et local dans le but de mettre en lien l’offre de transports avec le développement territorial recherché. L’appréciation sous l’angle de l’aménagement du territoire fonctionne de la même manière pour le développement du réseau des routes nationales, domaine dans lequel l’ARE collabore avec l’Office fédéral des routes (Ofrou).

Le Projet de territoire Suisse utilisé comme base


Pour pouvoir évaluer si le développement des transports et de l’urbanisation s’effectue de manière ordonnée à l’échelon régional, l’ARE a élaboré une carte conceptuelle systématique dans le cadre de l’EA 2035. Celle-ci se concentre surtout sur le contenu du Projet de territoire Suisse (en particulier sur la structure des centres et des agglomérations) et met l’accent sur la stratégie d’offre du trafic ferroviaire voyageurs. Cette carte s’appuie également sur les programmes de développement régionaux et cantonaux et reflète les plans directeurs cantonaux. Elle met en évidence différents types d’espaces pertinents dans l’appréciation des projets d’infrastructures. Ces espaces vont des zones urbaines centrales aux espaces ruraux (voir illustration). Ils montrent grossièrement la structure, l’extension et la densité des espaces métropolitains et urbains, leur périphérie, les axes de développement, ainsi que les petits centres situés en dehors des espaces d’agglomération. La carte indique également les régions touristiques et les paysages qui subissent une forte pression de l’urbanisation ainsi que ceux où la prudence est de mise dans la planification, compte tenu de la sensibilité des aspects liés à l’aménagement du territoire.

La carte montre donc quel type de structure d’urbanisation est souhaitable et à quel endroit. Afin d’atteindre une telle structure, il s’agit de choisir une stratégie d’offre qui en tienne compte pour le trafic voyageurs et marchandises. La manière dont le territoire doit être développé est brièvement exposée pour chaque type d’espace dans le cadre d’une stratégie d’urbanisation. Dans le cas de Bâle (représenté sur la carte), la ville devrait être reliée aux autres centres métropolitains avec une cadence au quart d’heure pour le trafic grandes lignes. Les vallées du pied nord du Jura situées dans les espaces d’agglomération, comme Liestal, devraient en principe être desservies avec une cadence au quart d’heure, contre une cadence à la demi-heure dans les corridors de développement.

Comme nous l’avons expliqué précédemment, les relations entre les infrastructures de transport et le développement territorial sont étroites et interdépendantes. Une offre de transport adéquate doit en tenir compte en assurant une desserte suffisante des espaces ruraux plutôt périphériques, tout en veillant à ce que les nouvelles offres d’infrastructures n’accentuent pas la tendance au mitage. Cet aspect est particulièrement important pour la ceinture extérieure des agglomérations et pour les espaces situés entre les grandes zones à forte concentration urbaine.

La carte permet de déterminer si l’impact global d’un projet est compatible avec les objectifs de développement territorial de la Confédération. Elle n’est cependant pas établie à l’échelon des parcelles et ne tient pas compte du périmètre des communes, des agglomérations ou des cantons. Elle donne plutôt une vision régionale de la situation. Elle sert ainsi de base de discussion pour les échanges avec les cantons et les régions de planification.

Secteur nord-ouest de la Suisse : base d’évaluation territoriale EA 2035




Source : Office fédéral des transports / La Vie économique

Forte croissance des transports publics


Pour pouvoir évaluer l’adéquation des prochaines étapes d’aménagement routier et ferroviaire, il faut également tenir compte de l’évolution du trafic à long terme. Les perspectives d’évolution du trafic élaborées par l’ARE proposent divers scénarios d’évolution possibles pour le système global des transports[4], dont les principaux facteurs d’influence sont les infrastructures de transport, l’évolution démographique et conjoncturelle, le comportement de mobilité, les nouvelles technologies, les offres de mobilité et la politique des transports.

Les dernières perspectives d’évolution du trafic établies pour l’horizon 2040 révèlent que les infrastructures de transport vont atteindre leurs limites : elles doivent être exploitées plus efficacement et réaménagées. Selon cette projection, la croissance du trafic voyageurs et marchandises évoluera différemment sur la route et le rail. Il y aura également des différences régionales. Selon le scénario de référence tablant sur une évolution et des tendances de fond inchangées, le trafic des voyageurs en transports publics augmentera de 51 % par rapport à 2010.

À l’heure où les débats sur la politique des transports tournent essentiellement autour de la numérisation de la mobilité, on aurait tort d’oublier que la coordination entre les structures d’urbanisation et les infrastructures de transport demeure un levier central du pilotage de la demande de transports. L’ARE a donc élaboré plusieurs scénarios fondés sur des développements urbains différents. Outre l’aménagement du territoire, les hypothèses concernant la politique des transports et le comportement en matière de mobilité varient également. Les perspectives soulignent l’importance des structures d’urbanisation. Ainsi, pour une structure urbaine compacte bénéficiant d’une politique favorable aux transports publics, on peut tabler d’ici à 2040 sur environ 7 milliards de voyageurs-kilomètres de moins que dans le scénario de référence, qui prévoit 145 milliards de voyageurs-kilomètres. À l’inverse, si le mitage augmente et que la mobilité individuelle est prioritaire, il faut s’attendre à 11 % de véhicules-kilomètres en plus, avec une part des transports publics à l’ensemble du trafic fléchissant de 5 %.

Les interdépendances doivent être prises en compte


Pour pouvoir donner une appréciation aussi complète que possible des projets d’envergure nationale, il est important d’en analyser les effets sur le territoire. On peut donc se réjouir que cela ait été fait pour l’EA 2035. La Confédération s’est dotée de plusieurs instruments de modélisation du trafic voyageurs et marchandises ainsi que de l’utilisation du territoire[5]. Les étapes d’aménagement des infrastructures ferroviaires et routières ainsi que les perspectives d’évolution du trafic devront à l’avenir être examinées systématiquement à l’aide de ces instruments. L’ARE mène actuellement une analyse à long terme de ce type dans le cadre du monitoring de l’axe du Saint-Gothard[6] (période 2015–2027). Il s’agit d’examiner l’impact des nouvelles infrastructures de transport créées le long de l’axe du Saint-Gothard – tunnels de base du Saint-Gothard et du Ceneri, nouvelle gare cantonale d’Altdorf, corridor de 4 mètres – sur le trafic marchandises et voyageurs, sur les structures territoriales et sur l’environnement.

D’autres modèles quantitatifs sont nécessaires pour pouvoir analyser les interdépendances complexes entre les différents modes de transports et entre le développement territorial et la mobilité, mais aussi pour évaluer les évolutions technologiques rendues possibles par la numérisation. Il faut accorder davantage d’importance à l’appréciation intégrée, modélisée et simultanée de l’évolution du trafic. Le rapport « Mieux coordonner l’aménagement du territoire et la planification des transports » établi en réponse au postulat Vogler formule des recommandations en ce sens et les premiers mandats ont été octroyés[7].

  1. Voir OFS / ARE (2017). []
  2. Voir à ce propos Aschauer (1989) ainsi que Banister et Berechmann (2000). []
  3. Voir ARE (2018). []
  4. Informations complémentaires disponibles sur www.are.admin.ch. []
  5. Voir ARE (2017). []
  6. Voir ARE (2017b). []
  7. Voir Conseil fédéral (2018). []

Bibliographie

Bibliographie

Proposition de citation: Martin Tschopp ; Andreas Justen ; Nicole A. Mathys ; (2019). Pas de planification des transports sans aménagement du territoire. La Vie économique, 25 février.