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La Suisse est prête à relever le défi de la numérisation

L’Union européenne veut créer un marché intérieur numérique qui combine les marchés nationaux en une structure unique. La Suisse doit avoir l’œil sur ce projet communautaire afin de ne pas perdre le contact.
Il est désormais possible de téléphoner au même tarif dans tous les pays de l’Union européenne : le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker. (Image: Keystone)

C’est l’un des objectifs les plus importants de la Commission européenne actuelle dirigée par Jean-Claude Juncker : établir un marché unique numérique au sein de l’Union européenne (UE) afin que l’économie et la société exploitent pleinement les avantages de la transformation numérique et que l’Europe préserve sa compétitivité. En mai 2015, la Commission européenne a présenté pour la première fois sa stratégie pour un marché unique numérique (MUN). Le plan est ambitieux : la Commission européenne vise l’élimination progressive des obstacles réglementaires au commerce électronique et la mise en place d’une infrastructure numérique commune pour tous les États membres.

Éviter les cavaliers seuls nationaux


La stratégie comprend en substance des actions ciblées qui reposent sur trois piliers (voir illustration). Le premier pilier a pour but d’améliorer l’accès des entreprises et des consommateurs aux biens et services numériques. Il implique notamment la modernisation du droit d’auteur. Le deuxième pilier vise à optimiser les conditions-cadres afin d’encourager les investissements et de promouvoir des conditions de concurrence transparentes. La cybersécurité revêt à cet égard une importance déterminante. Troisièmement, le potentiel de croissance de l’économie numérique doit être pleinement exploité, notamment par la promotion de la cyberadministration. Aux fins de l’application de ces mesures, la Commission européenne a présenté 29 propositions législatives et 37 initiatives politiques. Certaines de ces réglementations sont encore en cours de négociation au Parlement européen et au Conseil de l’UE, alors que d’autres ont déjà été adoptées voire mises en œuvre.

Quelques-unes de ces réglementations ont également donné lieu à des discussions en Suisse. Les frais d’itinérance ont par exemple été abolis à l’intérieur de l’UE : depuis juin 2017, ces frais ne sont plus facturés aux citoyens de l’UE lorsqu’ils utilisent leur téléphone portable dans un autre pays de l’UE. En outre, des services de musique et de vidéo en ligne tels que Netflix, Sky ou Spotify sont disponibles au sein de l’UE depuis avril 2018. Par ailleurs, le blocage géographique injustifié est interdit depuis décembre 2018. Cette disposition vise à empêcher les discriminations fondées sur la nationalité ou sur le lieu de résidence. Il arrivait auparavant que des contenus soient bloqués dans certains pays de l’UE et que les utilisateurs soient redirigés vers des sites plus coûteux. Cette pratique est désormais interdite. On ne sait pas encore dans quelle mesure la stratégie MUN permettra d’accroître l’innovation et la prospérité au sein de l’UE. Mais quelles seront les répercussions des mesures prises par l’UE sur la Suisse ?

Domaines prioritaires et thèmes du marché unique numérique européen




Source : Seco / La Vie économique

Des conséquences difficiles à estimer pour la Suisse


La Suisse entretient des liens étroits avec l’espace économique européen, bien qu’elle ne fasse pas partie du marché unique. La suppression d’obstacles réglementaires à l’intérieur de l’UE peut compliquer l’accès au marché pour des entreprises de pays tiers comme la Suisse ou les empêcher de bénéficier du démantèlement des obstacles au commerce au même titre que leurs concurrents européens.

Dans le cadre de la stratégie « Suisse numérique », un groupe de coordination interne à la Confédération a été créé afin de suivre d’un œil critique et en temps utile l’évolution de la situation au sein de l’UE. Ce groupe est composé de représentants de l’Office fédéral de la communication (Ofcom), de la Direction des affaires européennes (DAE), de la Mission suisse à Bruxelles, du Secrétariat d’État à l’économie (Seco) et de l’unité de pilotage informatique de la Confédération (Upic). Il analyse depuis septembre 2016 les conséquences possibles du MUN pour la Suisse en collaboration avec les services fédéraux concernés. Il doit en particulier évaluer les possibilités et les avantages potentiels pour la Suisse qui découlent des réglementations de l’UE.

Les travaux du groupe de coordination et une analyse approfondie à l’intention du Conseil fédéral[1] montrent que la Suisse a identifié très tôt la nécessité d’agir en lien avec le MUN et pris les mesures nécessaires. Les analyses montrent que la stratégie MUN couvre des thématiques très diversifiées. Les domaines d’action diffèrent également en ce qui concerne leur caractère juridiquement contraignant et leur degré de transposition dans la législation. Il n’est donc guère possible de qualifier les effets du MUN sur la Suisse dans le cadre d’une évaluation globale. Les diverses mesures requièrent plutôt une analyse individuelle, comme cela sera le cas dans les pages suivantes de ce dossier.

La Suisse parfois plus avancée que l’UE


Les travaux en cours de la Confédération sont aussi diversifiés que la stratégie MUN. D’une part, plusieurs modifications de la législation ayant trait au MUN sont actuellement examinées par le Parlement. Les révisions en cours de la loi sur les télécommunications et de la loi sur le droit d’auteur montrent que des mesures réglementaires ont été prises à un stade précoce et, dans certains cas, avant même l’annonce de la stratégie MUN.

D’autre part, la Suisse s’engage activement dans de nombreux groupes d’experts européens et dans des projets de numérisation importants, que ce soit dans le domaine de la cybersécurité, de l’informatique « en nuage » au service de la science ou des centres de calcul à haute performance. L’analyse du Conseil fédéral montre en outre que de nombreuses prescriptions et réglementations suisses ayant trait au MUN sont largement équivalentes à celles de l’UE, notamment en ce qui concerne le droit des cartels ou la sécurité informatique et des réseaux. Enfin, la Suisse est même plus avancée que l’UE dans certains domaines numériques, comme les fréquences 5G de téléphonie mobile. Celles-ci ont déjà été attribuées en Suisse alors que la procédure s’échelonnera vraisemblablement sur plusieurs années dans les pays de l’UE.

Suivre de près l’évolution de la situation


La Suisse a déjà identifié les effets prévisibles du MUN et les couvre largement. La stratégie MUN n’est toutefois pas un ensemble de règles rigide et pourrait à l’avenir être complétée par d’autres mesures.

À quoi faut-il donc s’attendre dans un proche avenir ? Il n’est pour l’heure pas possible de préjuger de l’issue du processus législatif européen, car les propositions de directives et de règlements doivent encore être approuvées par le Parlement européen et par le Conseil de l’UE. En outre, les élections européennes auront lieu en mai 2019, ce qui devrait retarder de plusieurs mois les activités des institutions communautaires. La majorité des mesures réglementaires liées au MUN devraient déployer leurs effets dès 2020. Le Groupe de coordination « Suisse numérique » continuera toutefois de suivre de près l’évolution de la situation avec les services fédéraux compétents afin que la Suisse puisse exploiter les possibilités offertes par le MUN et coordonner à temps les mesures nécessaires.

  1. Voir Conseil fédéral (2018), Marché unique numérique européen : conséquences pour la Suisse, communiqué de presse du 7 décembre 2018. []

Proposition de citation: Marco Eichenberger (2019). La Suisse est prête à relever le défi de la numérisation. La Vie économique, 23 avril.