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L’eau, source de développement durable et de paix

Les enjeux liés à l’eau dépassent les frontières nationales et impliquent tous les pays riverains des ressources hydriques. La Suisse s’engage afin de trouver des solutions équilibrées qui puissent créer le maximum de valeur, notamment en Asie centrale.

L’eau, source de développement durable et de paix

L’irrigation des champs en amont a provoqué l’assèchement de la mer d’Aral. Un ancien port à Moynaq, en Ouzbékistan. (Image: Alamy)

Vous êtes en 2051, la neige se fait rare et les précipitations beaucoup plus irrégulières. Vous siégez au sein du conseil communal d’une commune alpine, par exemple en Suisse, pour trancher la question suivante : quel usage de l’eau du barrage situé sur le territoire de la commune crée le plus de valeur ?

  1. alimenter de nouveaux hôtels qui amèneront de l’emploi ;
  2. produire de l’électricité renouvelable en hiver ;
  3. irriguer les vignobles et abreuver le bétail durant l’été ;
  4. garder une réserve incendie ;
  5. protéger les deux villes en aval contre les crues ;
  6. attirer les touristes par la beauté naturelle de la rivière en aval du barrage.


Cet exercice de futurologie proche, très concret, vous l’avez peut-être fait en visitant l’exposition « Notre eau » en 2017 au musée alpin de Berne. Vous vous seriez vite rendu compte que les intérêts sont conflictuels autour d’une ressource unique : l’eau. Il est ainsi nécessaire de trouver une vision commune de développement économique durable, de faire des arbitrages et de négocier des compromis. Vous auriez aussi compris que les enjeux ne s’arrêtent pas aux frontières de votre commune, mais sont le fait du bassin de la rivière et impliquent tous ses riverains. La coopération devient donc un maître mot pour partager coûts et bénéfices.

Les fleuves ne s’arrêtent pas aux frontières


Si un cadre légal existe aujourd’hui en Suisse et en Europe pour négocier des solutions équilibrées – comme la Convention du Rhin ou celle du Danube –, de tels mécanismes ne sont de loin pas une évidence pour les 3 milliards de personnes qui dépendent de ressources en eau douce, réparties entre plusieurs pays. Dans le monde, pas moins de 153 pays se partagent 60 % des rivières, lacs ou aquifères qui servent non seulement à la production d’eau potable, d’énergie, de nourriture ou de biens industriels, mais fournissent également des services à l’écosystème et constituent parfois des voies navigables commerciales vitales.

La clé du succès pour assurer prospérité et stabilité réside dans la gestion intégrée des ressources hydriques au niveau d’un bassin, au-delà des frontières. L’Agenda 2030 des Nations-Unies pour le développement durable formule clairement cet objectif : le point 6.5 vise ainsi à « mettre en œuvre une gestion intégrée des ressources en eau à tous les niveaux, y compris au moyen de la coopération transfrontalière selon ce qu’il convient ». Or, un rapport publié en 2018[1] fait état de progrès très limités sur ces points dans un contexte de compétition croissante pour les ressources hydriques dans les 15 à 30 ans à venir. Cette absence de progrès est un facteur limitant important, car l’eau est un élément critique pour la réalisation d’autres objectifs de développement durable (ODD) tout aussi fondamentaux comme l’augmentation de la part d’énergie renouvelable, l’accroissement de la résilience aux catastrophes naturelles et le développement de l’agriculture durable, sans oublier l’accès à l’eau potable[2]. La Suisse contribue à relever le défi de la gestion systémique des ressources hydriques transfrontalières en tant qu’actrice présente sur le plan de la coopération internationale dans le domaine de l’eau.

La mer d’Aral est à sec


L’Asie centrale constitue un parfait exemple pour illustrer ces enjeux majeurs et l’approche choisie par la Suisse : l’eau est en effet au cœur de la coopération suisse (Secrétariat d’État à l’économie Seco, Direction du développement et de la coopération DDC, aide humanitaire AH) au Kirghizstan, au Tadjikistan et en Ouzbékistan depuis plus de 25 ans. En effet, cette région semi-aride est confrontée à l’immense défi de gérer les ressources hydriques de deux bassins majeurs : celui du fleuve Amou-Daria, long de 2580 kilomètres et partagé par cinq pays (Afghanistan, Tadjikistan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Turkménistan), et celui du fleuve Syr-Daria, qui traverse trois pays (Kirghizistan, Ouzbékistan, Kazakhstan) sur 2200 kilomètres (voir illustration). La surexploitation de l’eau à des fins agricoles a provoqué l’assèchement de la mer d’Aral, située aux confins du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan et dans laquelle se jettent les deux fleuves.

Carte schématique du bassin de la mer d’Aral




Remarque : la largeur des fleuves Amou-Daria et Syr-Daria ne fait pas référence à leur débit, qui devient de plus en plus faible à mesure qu’ils s’approchent de la mer d’Aral.

Source : Seco, DDC / Simplymaps.de / La Vie économique

Aujourd’hui plus que jamais, l’accès à l’eau est déterminant pour les pays riverains, pour leur développement économique et leur propre stabilité, sous la pression démographique et celle du changement climatique. Une étude économique[3] a montré que l’absence d’action et de coopération constructive entre pays riverains coûte, directement ou indirectement, au moins 4,5 milliards de dollars par an à la région.

L’initiative « Blue Peace »


C’est pourquoi l’engagement de la coopération suisse, avec une vision de développement économique durable, a évolué vers une perspective régionale de bassins et de soutien aux pays riverains dans leur gestion commune de l’eau. C’est ainsi qu’est née l’initiative « Blue Peace Central Asia » (BPCA, Paix bleue Asie centrale). Cet outil est à la fois diplomatique – fondé sur les compétences traditionnelles de médiateur de la Suisse – et opérationnel, puisqu’il propose l’expertise de la Suisse en matière de gestion d’eaux transfrontalières et d’exploitation commune d’équipements sur les cours d’eau partagés avec ses voisins, ainsi que son expérience de la région.

Aujourd’hui, BPCA vise à fédérer les États d’Asie centrale autour de « l’eau comme facteur essentiel pour le développement économique durable de la région », en soulignant qu’il est temps de passer de la « constatation du coût de l’inaction » à la « concrétisation des bénéfices partagés de l’action ». BPCA s’articule autour de trois composantes :

  1. le volet diplomatique et de politique sectorielle cherche à soutenir les États riverains dans leur dialogue pour gérer de manière intégrée les bassins des grandes rivières ;
  2. le volet opérationnel a pour but de contribuer à l’établissement de données fiables concernant la qualité et la quantité d’eau disponibles, qui constituent la base de la confiance entre riverains. Il a également pour objectif de soutenir le développement d’infrastructures procurant une valeur ajoutée transfrontalière ;
  3. le volet jeunesse vise à sensibiliser les jeunes générations aux différents enjeux environnementaux et socioéconomiques de l’eau le long des rivières.


Si BPCA permet de donner un cadre politique à l’ensemble de la coopération suisse dans le domaine de l’eau en Asie Centrale en y conférant une dimension régionale, il s’appuie aussi fortement sur les programmes bilatéraux existant au Kirghizstan, au Tadjikistan et en Ouzbékistan, en particulier pour sa composante opérationnelle. Le Seco soutient ainsi, conjointement avec l’Union européenne (UE), le programme de développement pour l’énergie et l’eau en Asie centrale (CAEWDEP), mis en œuvre par la Banque mondiale (voir encadré). La DDC finance également des programmes pour renforcer la gestion nationale des ressources hydriques (NWRM) dans les trois pays. Dans le domaine des investissements d’infrastructures, les politiques des institutions multilatérales sont très liées à celles de leurs États partenaires, et il y a peu d’appétit pour intégrer la complexité d’un ouvrage à implication transfrontalière. C’est peut-être dans ce cas que les dons comme source de financement sont utiles pour réduire la perception du risque de l’investissement ou pour faire le premier pas ; ils constituent probablement une niche pour les acteurs bilatéraux.

Si l’intention est noble et l’ambition élevée – à savoir viser une meilleure résilience de l’Asie centrale et son développement économique durable –, il faut savoir rester modeste. Les progrès dépendent en effet fondamentalement de la confiance entre riverains, qui ne peut se décréter, et des influences extérieures sur cette région aux confins de l’Orient et de l’Occident, maillon essentiel des ancienne et nouvelle Routes de la soie. Le rôle de la Suisse dans cette région est donc très certainement perçu bien au-delà des frontières physiques de l’Asie Centrale.

  1. ONU (2018), Sustainable Development Goal 6 – Synthesis report on water and sanitation 2018, chapitre II/E (pp 75-86), New York. []
  2. ODD 7.2, 13.1, 2.4 et 6.1[]
  3. Adelphi et Carec (2017), Rethinking water in Central Asia – the costs of inaction and benefits of water cooperation, Almaty. []

Proposition de citation: Guy Bonvin (2019). L’eau, source de développement durable et de paix. La Vie économique, 22 mai.

Programme de développement pour l’énergie et l’eau en Asie centrale

Les réseaux d’eau et d’énergie de l’Asie centrale sont indissociables, mais insuffisamment coordonnés. Pour faire face à cette situation, le Programme de développement pour l’énergie et l’eau en Asie centrale (CAEWDP) cherche à renforcer les conditions-cadres en Afghanistan, au Kazakhstan, au Kirghizistan, au Tadjikistan, au Turkménistan et en Ouzbékistan. Soutenu par le Secrétariat d’État à l’économie (Seco), ce programme mis en œuvre par la Banque mondiale aide les gouvernements à développer des institutions efficaces. Il fournit notamment des connaissances spécifiques, effectue des analyses de faisabilité et examine les projets prévus sous l’angle de leur durabilité environnementale et sociale. Des plateformes encouragent en outre le dialogue régional basé sur des données objectives. Des concours d’idées stimulent les échanges entre de jeunes experts en hydrologie. Le CAEWDP coordonne étroitement ses activités avec d’autres partenaires de développement et complète les activités de l’initiative « Blue Peace » en Asie centrale (BPCA).