Peu de sujets préoccupent autant les investisseurs aujourd’hui que la situation hors norme des taux d’intérêt depuis des années. Ce qui inquiète les investisseurs privés et institutionnels me préoccupe également en tant qu’économiste en chef d’une grande banque. Car les investisseurs se demandent combien de temps la phase d’intérêts négatifs va encore durer et quelles pourraient être les alternatives aux placements à taux fixe.
En janvier 2015, la Banque nationale suisse (BNS) abolissait de façon inattendue le taux plancher de 1,20 franc pour un euro avec l’idée de combattre la force du franc à coup d’intérêts négatifs et d’interventions opportunistes. On espérait alors ne recourir que brièvement à ces mesures monétaires peu orthodoxes et pouvoir y renoncer rapidement. Quatre ans plus tard, l’espoir fait place au pressentiment désagréable qu’il nous faudra peut-être vivre longtemps avec les taux négatifs. Comme la Banque centrale européenne (BCE) ne relèvera une première fois ses taux qu’au premier trimestre de l’an prochain – dans le meilleur des cas – et que la BNS ne peut guère faire le premier pas avant la BCE, il faudra sans doute attendre la fin 2020 pour voir les taux directeurs atteindre ne serait-ce que le niveau zéro. Pour normaliser durablement les taux d’intérêt en Suisse, il faudrait que l’essor économique qui dure déjà depuis dix ans persiste encore au moins trois ans. Or, on peut douter d’une telle évolution au vu des risques géopolitiques actuels.
Le fardeau des taux d’intérêt négatifs
Pendant ce temps, le coût des taux négatifs ne cesse de croître, ce qui entraîne notamment une mauvaise allocation des capitaux sur le marché immobilier : les investisseurs continuent de construire des immeubles de placement, raison pour laquelle les taux de vacance ont déjà significativement augmenté, surtout dans les zones périphériques. En outre, la faiblesse des taux du marché des capitaux met nos institutions de prévoyance en difficulté. De nombreuses caisses de pension ne peuvent plus atteindre les rendements requis pour financer les rentes.
La pesée du rapport coût-bénéfice des taux négatifs semble de plus en plus pencher en défaveur de cet instrument. La BCE a malheureusement laissé passer l’occasion de relever prudemment ses taux d’intérêt il y a une bonne année, alors que la conjoncture tournait à plein régime, notamment en Europe. Et comme l’inquiétude concernant l’état de l’économie mondiale a repris depuis la fin de l’an dernier, il est compréhensible que la BNS redoute de faire sortir les taux d’intérêt de la zone négative avant la BCE dans le contexte actuel, ce qui pourrait précipiter l’envol du franc. Dans le cas le plus défavorable d’une récession mondiale prochaine, l’Europe pourrait connaître une situation à la japonaise, avec des taux d’intérêt proches ou inférieurs à zéro pendant de longues années.
Les investisseurs qui visent le rendement et la sécurité doivent donc se préparer à des temps difficiles. Montrer comment obtenir des rendements raisonnables, moyennant des risques calculables en recourant à des classes d’actifs différentes (titres non cotés en bourse, produits intelligemment structurés), restera donc une composante importante de mon activité.