Dans une économie linéaire, une entreprise doit vendre autant de produits que possible pour maximiser son chiffre d’affaires. Le fabricant est donc souvent désavantagé s’il commercialise des produits pérennes, facilement recyclables ou réparables : ceux-ci n’apportent quasiment pas d’avantages économiques directs au fabricant.
Pour de nombreux entrepreneurs, boucler les cycles des matériaux s’avère peu attractif et a parfois même des conséquences négatives. Cette logique explique pourquoi de nombreux biens encore valorisables finissent prématurément à la poubelle, gonflant ainsi l’industrie des déchets. Or, l’économie circulaire est possible, et même intéressante d’un point de vue économique.
Bien plus que du recyclage
L’économie circulaire est souvent assimilée à un « système de recyclage augmenté ». Il s’agit d’une vision réductrice, car le recyclage porte uniquement sur le cycle des matériaux et ne représente qu’une petite partie des potentialités offertes par l’économie circulaire. Dans un système circulaire, des matériaux réutilisables sans perte de qualité sont choisis déjà au niveau de la production. La dévalorisation des ressources (phénomène dit de « downcycling ») à travers la perte de qualité des matériaux au fil de leur réutilisation est ainsi évitée : les produits doivent être démontables et les matériaux sont assemblés de manière à pouvoir être dissociés. Une réflexion logistique sur la recyclabilité des matériaux devrait en outre être intégrée dès le début du processus de production.
Le bouclage du cycle de vie des produits est un principe fondateur de l’économie circulaire et contient un fort potentiel de création de valeur. En effet, plus l’utilisation des produits se prolonge, plus l’efficacité des ressources est élevée. Dans cette optique, les produits et leurs composants doivent être conçus pour durer et être modulables afin de permettre leur mise à niveau et leur réusinage (« remanufacturing »). Ainsi, Caterpillar a conçu les blocs-moteurs de ses machines de chantier pour au moins deux autres cycles d’utilisation. En outre, la maintenance et la réparation doivent être simples. Ces principes de conception sont connus depuis des décennies sous le nom d’« écoconception ». Mais comment gagner de l’argent au-delà de la niche « éco » ? Comment promouvoir les cycles de production fermés ? Il existe de nombreuses pistes, qui vont bien au-delà du recyclage.
Des tapis à louer
Rien n’est possible sans un bon modèle commercial. Si un fabricant investit uniquement dans l’écoconception, il crée une valeur ajoutée qui n’intervient en général qu’ultérieurement dans la chaîne de valeur. Ce n’est pas lui qui profitera de cette écoconception et de cette facilité de réparation, mais le propriétaire, le technicien de service et le recycleur. Les conséquences sont évidentes : comme les fabricants qui misent sur ce modèle de vente ne profitent pas du retour commercial direct de l’écoconception, les investissements en la matière sont difficiles à défendre d’un point de vue économique. Le succès de l’écoconception passe par des incitations économiques et une nouvelle manière de penser. Les nouveaux modèles de l’économie circulaire répondent à ces deux critères.
L’entreprise néerlandaise Desso/Tarkett fait figure de pionnière en la matière. Cette société fabrique des tapis à partir de matériaux dissociables et a également participé à la mise au point du processus de recyclage. Les matériaux peuvent ainsi être réintroduits dans le cycle de production pour la fabrication du tapis suivant. L’entreprise a en outre instauré un modèle de location (voir illustration) : elle ne vend pas ses tapis, mais les loue et les reprend pour les recycler après cinq à sept ans, au terme du contrat de location. Desso ne cède donc pas la propriété du tapis et dispose ainsi d’un stock permanent de matières premières chez le client. En recyclant ses propres tapis, l’entreprise réalise des économies sur l’achat des matériaux, ce qui la rend bien plus indépendante face à la volatilité des prix des matières premières et lui permet de mieux planifier les coûts des intrants.
Autre exemple : l’entreprise Signify, qui était à l’origine le département « Lighting » du fabricant d’électronique Philips. Cette société propose un modèle de prestation baptisé « Circular Lighting » (voir illustration). Le client définit uniquement l’intensité lumineuse et la surface à éclairer. Les luminaires, leur disposition, le montage, l’entretien et les coûts d’électricité sont pris en charge par Signify. Grâce à une organisation optimale de l’éclairage, au choix de luminaires et à l’installation de détecteurs de présence, Signify parvient à réduire la consommation d’électricité jusqu’à 70 %. Cette optimisation profite directement à Signify, et indirectement au client, qui bénéficie comparativement d’une solution globalement meilleur marché que s’il devait assumer complètement l’achat et l’exploitation des luminaires.
Potentiels directs de création de valeur dans un modèle d’économie circulaire
Source : Rytec SA / La Vie économique
Ces deux exemples montrent que les produits répondant aux exigences de l’écoconception présentent un intérêt économique pour le fabricant lorsque le modèle commercial est axé sur le caractère renouvelable et l’adéquation des valeurs résiduelles. Celui qui met en location un produit est par essence intéressé à ce que ce produit soit pérenne et réparable. En termes de logique entrepreneuriale, le fabricant investira donc dans l’écoconception. De nouveaux produits écoefficaces arrivent alors sur le marché, ce qui stimule le déploiement l’écoconception et le développement de l’économie circulaire. Et cela simplement parce que les modèles de location et de prestation associent succès économique et écoconception. Voilà pourquoi le Réseau suisse pour l’efficacité des ressources (Reffnet), financé par la Confédération, propose gratuitement aux entreprises helvétiques une analyse de potentiel à la lumière des principes de l’économie circulaire[1].
- Davantage d’informations sur reffnet.ch ou directement auprès des experts Reffnet de Rytec. []