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Les indicateurs avancés sont des outils précieux

Les prévisions économiques se fondent en grande partie sur des indicateurs avancés, particulièrement importants en période de crise.
Quel est le niveau des stocks ? Les prévisions conjoncturelles se basent sur des données économiques. (Image: Keystone)

Depuis 2009, les prévisions de la Confédération concernant le produit intérieur brut (PIB) de l’année en cours affichent un écart d’environ 0,4 point de pourcentage avec les chiffres définitifs[1]. Pourquoi les prévisions comportent-elles toujours une marge d’erreur ?

Plusieurs facteurs rendent la tâche des prévisionnistes particulièrement ardue. Tout d’abord, les décisions politiques et leurs conséquences sont souvent difficiles à anticiper. Idem pour certains événements ponctuels, comme l’éclatement de bulles immobilières. Ensuite, les statistiques relatives à l’évolution conjoncturelle ne sont connues qu’avec un certain décalage : la collecte et l’évaluation des données à grande échelle sont un processus complexe qui demande du temps. Enfin, une fois publiés, les chiffres restent marqués par une certaine incertitude, qui diminue toutefois progressivement : les révisions a posteriori font partie du quotidien des prévisionnistes.

Des prévisions indispensables malgré tout


Faudrait-il tout simplement se passer des prévisions conjoncturelles, étant donné leur inexactitude ? Bien sûr que non. Sans elles, il serait impossible (ou du moins très compliqué) d’assurer une planification efficace dans de multiples domaines.

En matière de politique économique, les estimations et les prévisions conjoncturelles sont indispensables à toute planification. Les budgets et les plans financiers de la Confédération se fondent ainsi largement sur les prévisions du PIB, en raison du lien étroit qui existe entre recettes fiscales et croissance économique[2]. Si anticiper l’évolution de la conjoncture s’avère particulièrement difficile en cas de retournement économique ou en période de crise, c’est justement dans ces situations que ces prévisions sont essentielles. On l’a vu lors de la crise économique et financière de 2008 : le Conseil fédéral s’est appuyé sur les pronostics du Groupe d’experts pour les prévisions conjoncturelles afin de décider de l’opportunité de mesures de relance, ce qui, avec le recul, s’est avéré la bonne stratégie[3].

Quant à la Banque nationale suisse (BNS), elle ne pourrait mener sa politique monétaire aussi efficacement qu’aujourd’hui sans recourir aux prévisions sur l’évolution de la conjoncture et de l’inflation[4].

La solution n’est donc pas de renoncer aux prévisions, mais d’avoir conscience de leurs limites. Les risques inhérents aux prévisions[5] doivent être analysés et communiqués. On peut aussi, le cas échéant, travailler avec plusieurs scénarios esquissant différentes évolutions possibles.

La rapidité, un élément clé


Les données économiques sont la matière première de toute évaluation de la conjoncture. Elles doivent refléter la situation économique de façon complète et fiable. Leur publication devrait donc être aussi rapide et fréquente que possible. Les comptes nationaux et les statistiques de l’emploi revêtent à cet égard une importance particulière, car ils offrent une vue d’ensemble de la situation des différents secteurs économiques, des ménages et des travailleurs.

Reste la question du délai de publication. En Suisse (comme dans les pays de l’Union européenne), les comptes nationaux ne paraissent par exemple qu’un peu plus de deux mois après la fin du trimestre, les statistiques de base étant disponibles relativement tard. Les chiffres d’affaires de l’industrie suisse et les statistiques de l’emploi ne sont ainsi connus que huit semaines après la fin du trimestre. Les comptes nationaux, qui intègrent ces éléments dans leurs calculs, paraissent quelques jours plus tard.

Plusieurs pays réalisent des « estimations flash » du PIB ou de l’emploi dans les 30 à 45 jours qui suivent la fin du trimestre. Sur le principe, cela serait envisageable en Suisse. Mais comme certaines données essentielles sont disponibles plus tard qu’ailleurs, elles devraient faire l’objet d’une extrapolation, ce qui rendrait les estimations flash encore plus approximatives.

Pour toutes ces raisons, les chiffres du PIB pour le troisième trimestre ne sont par exemple calculés et publiés que fin novembre. Des délais de parution similaires pour de nombreuses données économiques compliquent les prévisions, un peu comme si l’on devait annoncer la météo de demain sans connaître le temps qu’il fait aujourd’hui.

« Vrais » indicateurs avancés ou indicateurs « coïncidents » ?


Pour contourner cet obstacle, l’analyse conjoncturelle fait appel aux indicateurs avancés. Ces données précoces permettent d’anticiper l’évolution de certaines variables économiques cibles. Il s’agit toutefois distinguer les « vrais » indicateurs avancés, qui annoncent l’évolution future d’une variable, des indicateurs « coïncidents », qui reflètent l’évolution simultanée d’une variable, mais sont publiés avant cette dernière. Parmi les indicateurs coïncidents, l’indice du climat de consommation paraît par exemple dès le milieu du trimestre et donne des indications sur la dynamique conjoncturelle plusieurs mois avant que les chiffres officiels du PIB ne soient connus. Ces vingt dernières années, le coefficient de corrélation contemporaine entre cet indice et le PIB s’est élevé à 0,5 (0 équivalant à une absence de corrélation et 1 à une corrélation maximale).

Les « vrais » indicateurs avancés sont ceux qui affichent la plus forte corrélation avec l’évolution de la variable cible au trimestre suivant. Les entrées de commandes, l’une des composantes de l’indice PMI des directeurs d’achat pour l’industrie, affichent par exemple une corrélation de 0,54 avec le PIB du trimestre suivant lors du dernier mois du trimestre.

Parmi les indicateurs avancés usuels, beaucoup sont issus d’enquêtes destinées à mesurer la confiance, dont les données sont faciles à récolter et à compiler. C’est notamment le cas de l’indice PMI, de l’indice du climat de consommation et des enquêtes conjoncturelles du KOF. Il faut cependant faire preuve d’une certaine prudence dans l’interprétation de ces indicateurs, qui peuvent être influencés par des appréciations erronées ou des fluctuations de moral ne correspondant pas nécessairement à l’évolution réelle de la conjoncture. Quant à savoir si le degré de confiance que suggèrent ces indicateurs se traduit ensuite dans les données quantitatives réelles, la question reste ouverte. C’est notamment pour cette raison que les résultats des enquêtes de confiance sont considérés comme des données qualitatives dites « molles » (voir encadré).

Une dimension psychologique


Le rapport entre les enquêtes de confiance et la conjoncture peut évoluer. Ainsi, l’indice PMI Industrie est considéré comme un bon indicateur de la dynamique de ce secteur et de la dynamique de l’économie en général, compte tenu du poids de cette branche. Or, la part du secteur manufacturier tend à reculer avec les changements structurels en cours, ce qui pourrait en partie expliquer pourquoi la corrélation observée entre le PIB et l’indice PMI Industrie – ainsi que d’autres indicateurs de confiance[6] – a elle aussi commencé à s’affaiblir (voir illustration).

Corrélation PMI–PIB et part de l’industrie au PIB (sur 8 ans)




PMI : moyenne trimestrielle des valeurs mensuelles. PIB : taux de croissance trimestriel.

Source : Credit Suisse et procure.ch, Seco / La Vie économique

Les perceptions évoluent également : il est probable que les sujets interrogés aujourd’hui considèrent comme « bonnes » une croissance économique plus faible ou une marche des affaires moins favorable que celles qui prévalaient dans les années 1980. Entre hier et aujourd’hui, la réaction des sondés face à une croissance de 2 % n’est a priori plus la même, et il s’agit d’en tenir compte lors de l’interprétation des résultats.

Au-delà des enquêtes de confiance, toute une série d’autres données quantitatives dites « dures » sont disponibles assez rapidement, voire immédiatement, et peuvent donc servir d’indicateurs avancés. Pensons par exemple aux données administratives comme les statistiques du transport de marchandises compilées chaque mois, à d’autres relevés mensuels comme les chiffres d’affaires du commerce de détail ou aux variables financières (souvent disponibles immédiatement).

Les recherches Google au service des prévisions


Pour obtenir un tableau d’ensemble cohérent à partir de la masse d’informations issues des enquêtes de confiance et des autres indicateurs avancés, la plupart des pays développés ont élaboré des indicateurs composites qui les agrègent à l’aide de méthodes statistiques pointues. Le plus connu de ces indices globaux est sans doute le baromètre conjoncturel du KOF.

Par ailleurs, les données quantitatives tirées d’Internet gagnent toujours plus en importance. Une étude menée aux États-Unis a ainsi montré qu’il était possible de prédire avec davantage de précision l’évolution du taux de natalité en analysant la fréquence des recherches Google incluant les mots clés « maternité » ou « grossesse »[7]. Les flux de données sur Internet ouvrent donc de nouvelles perspectives en matière de prévisions.

En résumé, les indicateurs avancés se révèlent des outils extrêmement précieux. S’il faut rester prudent lors de leur interprétation – les tendances qu’ils laissent entrevoir ne se concrétisant pas forcément –, ils ont l’avantage de rendre plus rapidement disponibles les informations indispensables aux analyses et prévisions conjoncturelles.

  1. Chiffre calculé depuis 2009 sur la base des prévisions du PIB pour l’année en cours publiées en mars. []
  2. Martínez (2018). []
  3. Bonanomi (2012), Brunetti (2009). []
  4. Lenz et Zanetti (2018). []
  5. Un risque inhérent aux prévisions est un événement dont la survenue impliquerait une adaptation des prévisions. []
  6. Gayer et Marc (2018). []
  7. Billari et al. (2013). []

Bibliographie

Bibliographie

Proposition de citation: Ronald Indergand (2019). Les indicateurs avancés sont des outils précieux. La Vie économique, 22 octobre.

Données qualitatives « molles » et données quantitatives « dures »

Dans la pratique, on fait souvent la distinction entre données qualitatives (« soft data ») et quantitatives (« hard data »). Les premières se fondent sur des appréciations qualitatives et subjectives qui sont quantifiées, puis généralement agrégées sous forme d’indice. Elles ne permettent cependant pas d’obtenir des chiffres précis. À titre d’exemple, l’enquête sur le climat de consommation comporte une question sur la situation financière des ménages, pour laquelle plusieurs réponses types sont proposées (« s’est considérablement améliorée », « s’est légèrement améliorée », etc.). Quel que soit le soin avec lequel les ménages répondent à cette question, il reste impossible d’en tirer des données chiffrées sur leur situation financière. Les données quantitatives sont quant à elles des valeurs concrètes obtenues à partir de sources fiables selon une méthodologie rigoureuse, et donc en principe vérifiables. Prenons les statistiques de la circulation des marchandises : établies par l’Administration fédérale des douanes à l’issue d’une enquête exhaustive et standardisée, elles se présentent sous la forme de données quantifiées précisément en francs et en kilogrammes.