La structure de la population évoluera profondément dans les années et décennies à venir. Le vieillissement démographique, qui modifie la structure d’âge, se fera particulièrement sentir dans les pays industrialisés, mais également, avec un certain décalage, dans de nombreux pays émergents. L’Office fédéral de la statistique (OFS) estime ainsi que le rapport de dépendance des personnes âgées (soit la part des personnes de plus de 64 ans comparée à celle des 20–64 ans) passera en Suisse de 30 % en 2017 à 48 % en 2045.
Cette évolution aura également des conséquences sur la structure des économies nationales, étant donné que l’âge influence la demande des consommateurs : les préférences, les besoins et le revenu disponible évoluent au fil de l’existence, de sorte que la consommation globale des ménages se déplacera vers les branches écoulant des produits davantage demandés par les ménages âgés que par les plus jeunes. Dans ce contexte, le Secrétariat d’État à l’économie (Seco) a commandé une étude afin d’identifier les effets futurs de l’évolution démographique sur la structure de l’économie suisse[1]. Caractérisée par sa petite taille et son ouverture, cette dernière dépend non seulement de la demande intérieure, mais aussi de la demande sur les marchés d’exportation.
Le vieillissement en Suisse et à l’étranger change la donne
La littérature scientifique internationale montre que l’évolution démographique devrait généralement entraîner une hausse des dépenses de consommation dans les groupes de produits liés à la santé, au logement et à l’énergie, alors qu’un phénomène inverse est attendu dans les transports, la formation et l’habillement[2]. La plupart des études ne cherchent cependant pas à établir de corrélation entre les dépenses de consommation (demande) et la valeur ajoutée des branches (offre), à l’exception d’une analyse réalisée pour le Portugal, qui montre par exemple que l’industrie chimique et pharmaceutique ainsi que les domaines de la santé et de l’action sociale tireront parti du vieillissement de la population[3]. En outre, la majorité des travaux de recherche ne tiennent compte que de la demande intérieure. Or, la demande extérieure – et par conséquent l’évolution démographique à l’étranger – devrait également jouer un rôle important pour la Suisse, fortement intégrée à l’économie mondiale.
Une recherche inédite a permis de combler cette lacune afin d’estimer les effets de l’évolution démographique sur la structure de l’économie suisse. Cette structure a été analysée sur la base des parts de la valeur ajoutée de chaque branche économique, en tenant compte de l’évolution démographique en Suisse et à l’étranger.
La part des plus de 64 ans bondit
Les statistiques détaillées de l’OFS permettent de quantifier la relation entre l’âge et la structure de consommation des ménages suisses. Une analyse économétrique a permis d’analyser le lien de dépendance entre la demande d’exportation et la structure par âge. Une simulation de la structure de l’économie à l’horizon 2060 a ensuite été réalisée en tenant compte des imbrications entre les différents secteurs (voir encadré). Les scénarios de l’OFS et des Nations Unies ont servi de base pour déterminer les futures structures par âge. Ces scénarios montrent que ces pyramides changeront considérablement (voir tableau) : la part des plus de 64 ans augmentera nettement.
Scénarios de l’évolution de la population en Suisse (2012–2060)
2012 | 2045 | 2060 | |
Selon la structure par âge : | |||
< 20 ans | 22 % | 20 % | 20 % |
20–64 ans | 61 % | 55 % | 53 % |
65–80 ans | 13 % | 17 % | 18 % |
> 80 ans | 4 % | 8 % | 9 % |
Selon le type de ménage : | |||
Ménages d’une personne | 35 % | 38 % | 38 % |
Couples sans enfants | 29 % | 29 % | 29 % |
Familles | 29 % | 26 % | 25 % |
Autres ménages | 7 % | 8 % | 8 % |
Remarque : la population résidante permanente vivant dans des ménages privés en Suisse forme l’univers de base.
Source : calculs des auteurs / OFS : Statpop, scénarios de l’évolution de la population et des ménages / La Vie économique
Les services proches de l’État parmi les gagnants
La simulation réalisée permet de déterminer l’influence de l’évolution démographique sur la demande intérieure et, par conséquent, sur la structure économique pour la période allant de 2012 à 2060, en supposant que d’autres variables (progrès techniques, etc.) restent constantes. Les résultats obtenus montrent que le vieillissement a surtout un effet favorable sur les branches de services proches de l’État et tournées vers le marché intérieur : la contribution du secteur de la santé à la valeur ajoutée de l’ensemble de l’économie passerait ainsi de 5,1 % en 2012 (année de base) à 6,7 % en 2060 (voir illustration 1) ; celle de l’hébergement et de l’action sociale augmenterait de 1,8 point de pourcentage durant la même période, la demande de services fournis par les établissements médico-sociaux progressant clairement. À titre de comparaison, 1 % de la valeur ajoutée totale de l’économie suisse équivalait à environ 6 milliards de francs en 2012. À l’inverse, certains domaines du secteur tertiaire (commerce automobile ou de détail, immobilier et logement, commerce de gros, services financiers) feraient les frais de cette évolution. Le vieillissement n’a toutefois qu’une influence marginale sur les parts de la valeur ajoutée de la plupart des branches.
Ill. 1. Effet du vieillissement jusqu’en 2060 en Suisse sur les parts de la valeur ajoutée
Remarque : les secteurs pour lesquels cet effet est inférieur à 0,1 point de pourcentage ne sont pas représentés.
Source : calculs des auteurs / OFS : EBM, scénarios de l’évolution de la population et des ménages, autres statistiques / La Vie économique
La pharma bénéficie du vieillissement à l’étranger
Dans le cas d’une économie ouverte comme celle de la Suisse, la question de l’effet du vieillissement à l’étranger sur les branches économiques se pose indéniablement. L’analyse montre que les exportations de produits pharmaceutiques bondiront de plus de 80 % jusqu’en 2060. À l’inverse, ce vieillissement provoquera un effondrement des exportations suisses dans les services financiers (-40 %), les services économiques et techniques ainsi que le textile et l’habillement (-35 % chacun).
L’évolution enregistrée par les exportations modifie également la contribution des différentes branches à la création de valeur totale de l’économie suisse. Selon la simulation effectuée, la part de l’industrie pharmaceutique progressera de quelque 2,8 points de pourcentage, passant de 4,2 % en 2014 à 7 % en 2060 (voir illustration 2). Les services financiers (-1 point de pourcentage) de même que les services économiques et techniques (-0,6 point de pourcentage) enregistreront en revanche un recul marqué. Enfin, le vieillissement à l’étranger aura peu d’effets sur la part de la valeur ajoutée du secteur du textile et de l’habillement en raison de la très faible importance de ce dernier pour l’économie suisse. En résumé, une grande partie de l’économie helvétique ne ressentira guère les effets du vieillissement à l’étranger.
Ill. 2. Effets de l’évolution démographique mondiale jusqu’en 2060 sur les parts de la valeur ajoutée des branches suisses
Remarque : les secteurs pour lesquels cet effet est inférieur à 0,1 point de pourcentage ne sont pas représentés. L’illustration représente la variation par rapport à la contribution de 2014 (année de base).
Source : calculs des auteurs sur la base des données Wiod et des données des Nations Unies concernant les rapports de dépendance des personnes âgées / La Vie économique
Enjeux politiques
Les résultats de l’étude montrent que les transformations de la pyramide des âges redistribueront les cartes parmi les secteurs de l’économie suisse : ce sont en particulier la santé, l’hébergement et l’action sociale ainsi que l’industrie pharmaceutique qui tireront leur épingle du jeu. En instaurant des conditions-cadres institutionnelles adéquates projetées sur le long terme, la politique économique peut contribuer à une adaptation harmonieuse de l’économie suisse à cette nouvelle donne. Elle devra s’atteler à plusieurs chantiers, notamment à la politique de formation et du marché du travail, car la hausse de la demande dans ces branches induira un besoin croissant en spécialistes dans certaines professions. Le domaine de la santé et de l’action sociale constitue un autre chantier, en raison surtout du risque d’explosion des dépenses publiques de santé et de soins.
Les « effets démographiques » abordés ici ne représentent qu’une part limitée du changement structurel de l’ensemble de l’économie, qui devra se superposer à d’autres développements comme le progrès technique, les imbrications internationales ou les mutations du marché du travail.