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Le vieillissement influence la balance des transactions courantes

Les pays présentant des excédents élevés de la balance des transactions courantes sont parfois critiqués. La corrélation avec le vieillissement de leur population n’est en revanche guère évoquée.

Le vieillissement influence la balance des transactions courantes

La jeune population du Mexique produit actuellement encore un déficit de sa balance des transactions courantes, mais la situation pourrait bientôt changer. Une œuvre d’art à la frontière entre le Mexique et les États-Unis. (Image: Keystone)

Le monde vit un changement démographique. De nombreux pays connaissent une modification sans précédent de la structure d’âge, même si elle se produit très lentement. On observe des tendances de développement à la fois mondiales et spécifiques aux pays. Le vieillissement de la société constitue la principale tendance mondiale : l’espérance de vie augmente partout, alors que le taux de natalité baisse. Il s’ensuit un changement radical de la structure d’âge : la part des jeunes ne cesse de reculer alors que celle des personnes âgées croît rapidement.

Voilà pour la tendance mondiale. Pourtant, les évolutions concrètes diffèrent selon les pays. Dans de nombreux pays industrialisés, l’espérance de vie est très élevée et le taux de natalité bas, ce qui a induit un vieillissement de la population déjà très marqué. Les statistiques sur la population des Nations Unies montrent que l’âge médian est déjà d’environ 45 ans dans beaucoup de pays industrialisés importants. Le processus de vieillissement est en revanche moins prononcé dans un grand nombre de pays émergents, car l’espérance de vie y est plus basse et le taux de natalité reste élevé, même s’il recule. À quelques exceptions près, l’âge médian y est d’environ 30 ans. Il est toutefois plus élevé en Russie ou en Chine. Les différences entre les pays industrialisés et les pays émergents montrent que si le processus de vieillissement concerne le monde entier, il ne progresse pas au même rythme.

Un grand nombre d’épargnants favorise l’excédent


Le changement démographique a des répercussions macroéconomiques considérables. Les débats portent le plus souvent sur le marché du travail, notamment sur l’élévation de l’âge de la retraite. On analyse plus rarement ce que ce changement signifie pour l’évolution des soldes de la balance des transactions courantes (BTC). Ces derniers révèlent la différence macroéconomique entre l’épargne et les investissements. Par conséquent, le changement démographique peut également avoir une influence sur la BTC par ces deux canaux. Si le comportement d’épargne dépend fortement de l’âge, des études empiriques ont également établi à plusieurs reprises qu’une corrélation significative existe entre le comportement d’investissement et la structure d’âge d’un pays. Dans l’ensemble, on constate toutefois que la structure démographique exerce une plus grande influence sur l’épargne. Le changement démographique influence donc surtout la BTC via l’épargne.

Le « modèle du cycle de vie » sert de base théorique pour analyser l’influence de la structure d’âge sur l’épargne nationale. Selon ce modèle, les individus cherchent à lisser – c’est-à-dire à maintenir constante – leur consommation tout au long de leur vie, même si leurs revenus varient parfois fortement. Pour maintenir un niveau de consommation constant, ils épargnent ou désépargnent au cours des différentes phases de la vie. Les revenus des jeunes ont tendance à être relativement faibles et ces derniers financent leur consommation en contractant des crédits. Grâce à la hausse de leurs revenus, les personnes d’âge moyen peuvent ensuite se constituer un patrimoine qu’elles dépenseront à l’âge de la retraite.

La structure d’âge actuelle de nombreux pays industrialisés, avec une grande part de personnes d’âge moyen, contribue ainsi à une épargne nationale élevée. Un déplacement de la structure d’âge vers une grande proportion de retraités qui puisent dans leur patrimoine devrait par conséquent entraîner un recul de l’épargne nationale. Dans une économie fermée, cette baisse de l’épargne serait accompagnée d’un repli des investissements. Dans une économie ouverte, épargne et investissements sont découplés. Si l’épargne nationale est plus élevée que les investissements nationaux, une part de l’épargne est investie à l’étranger : il en résulte un excédent de la BTC. À l’inverse, des investissements nationaux peuvent également être financés par de l’épargne étrangère si l’épargne nationale est trop faible, ce qui se traduit alors par un déficit de la BTC.

Les pays industrialisés thésaurisent


Une série d’études a examiné de manière empirique la corrélation entre la démographie et la BTC. La majorité d’entre elles utilisent comme indicateur le ratio de dépendance économique, qui correspond au rapport entre la population inactive (personnes de moins de 15 ans et de plus de 64 ans) et la population active (âgée de 15 à 64 ans). Toutefois, cet indicateur agrège les informations et ne prend pas suffisamment en compte la relation existante entre la structure d’âge et les comportements d’épargne et d’investissement, qui varient pourtant fortement au cours du cycle de vie.

Une mesure détaillée de la structure démographique est nécessaire afin de mieux montrer la relation entre démographie et BTC. Une possibilité consiste à représenter la structure d’âge d’une population sous la forme d’un polynôme de différents groupes d’âge[1]. Le polynôme permet ainsi d’estimer l’influence de la démographie sur la BTC pour l’ensemble de la pyramide des âges. Concrètement, on calcule un modèle de régression dans lequel le solde de la BTC est régressé sur une série de variables explicatives qui contiennent différents facteurs d’influence ainsi que le polynôme de la structure d’âge.

Les résultats d’une telle estimation réalisée pour 49 pays sur une période allant de 1970 à 2016 indiquent que la structure démographique d’un pays est un facteur d’influence important de la BTC. Concrètement, il apparaît que le fait que la population compte une part relativement importante de personnes âgées de 45 à 64 ans contribue à un excédent de la BTC (voir illustration 1). Les pays dont la structure de population est caractérisée par un nombre de représentants de cette tranche d’âge comparativement élevé et par une faible proportion de personnes jeunes ou âgées présentent donc plutôt un excédent de la BTC. Lors de l’interprétation des coefficients, il convient de noter qu’il s’agit de l’influence partielle des différentes cohortes sur la BTC. La somme pondérée des coefficients permet quant à elle d’obtenir l’influence complète d’une structure d’âge sur la BTC. La part d’une cohorte d’âges dans la population totale sert de pondération.

L’estimation montre ainsi l’impact de la structure démographique actuelle sur la BTC. Conclusion : la structure d’âge actuelle de nombreux pays industrialisés où l’âge médian est d’environ 45 ans contribue aux excédents de la BTC. Autrement dit, une grande partie de la population des pays industrialisés se trouve actuellement en phase de constitution de patrimoine.

Ill. 1. Influence estimée de différents groupes d’âge sur la balance des transactions courantes




Remarque : le graphique montre les effets moyens d’un seul groupe d’âge sur la balance des transactions courantes (rapportée au PIB) pour un échantillon de 49 pays entre 1970 et 2016. Un coefficient de 0,26 pour la cohorte des 55–59 ans indique que la balance des transactions courantes (rapportée au PIB) augmente de 0,26 point de pourcentage si cette cohorte d’âges progresse d’un point de pourcentage par rapport à la population totale.

Source : Gerigk, Rinawi et Wicht (2018) / La Vie économique

Quand les excédents deviennent des déficits


Une population vieillissante devrait également influencer la future évolution de la BTC. Théoriquement, cela signifie pour la plupart des pays industrialisés qu’une grande part de la population sera à l’avenir en phase de désépargne : les épargnants d’aujourd’hui seront les désépargnants de demain. Il en va autrement dans de nombreux pays émergents où un nombre proportionnellement plus élevé d’individus économiseront à l’avenir, eu égard à l’évolution démographique.

Le vieillissement de la population a des conséquences, comme le montrent des projections empiriques sur la future relation entre démographie et BTC : dans les pays industrialisés comptant une population proportionnellement âgée, la démographie n’aura un impact positif sur la BTC que jusqu’en 2035 environ. La structure démographique contribue aujourd’hui pour près de 1,6 point de pourcentage à l’excédent de la BTC (rapportée au produit intérieur brut) dans les cinq pays comptant en moyenne la population la plus âgée dans la série de données. Concrètement, la Suisse affichait en 2018 un excédent de près de 70 milliards de francs, soit environ 10 % du PIB. En prenant ce 1,6 point de pourcentage comme valeur de comparaison, la structure démographique permet d’expliquer un sixième de l’excédent.

Lorsque la part des personnes âgées connaîtra une forte progression aux alentours de 2035, la part de la population qui puisera dans ses économies augmentera, ce qui tendra à réduire le solde de la BTC. À la condition que tous les autres facteurs d’influence restent égaux, on peut donc tabler ces prochaines décennies sur un net recul de l’épargne.

La situation est inverse dans les pays émergents qui présentent une population relativement jeune. La démographie y a pour l’instant un impact négatif sur la BTC et contribue pour quelque 0,7 point de pourcentage au déficit de la BTC (rapporté au PIB) pour les cinq pays comptant en moyenne la population la plus jeune. Ces pays doivent donc pour le moment accueillir des capitaux étrangers pour financer les investissements. Cet impact négatif se réduira progressivement, et cet effet deviendra même positif dès le milieu des années 2020 (voir illustration 2).

Ill. 2. Influence de la démographie sur la balance des transactions courantes (BTC) au fil du temps, selon la structure d’âge des pays (1970–2060)




Exemple de lecture : le graphique montre que la structure démographique des pays dont la population est âgée contribuera encore en moyenne pour un peu moins de 1,6 point de pourcentage à l’excédent de la balance des transactions courantes (rapporté au PIB) en 2020. En 2060, la structure d’âge de ces pays pourra expliquer 2,2 points de pourcentage du déficit de la balance des transactions courantes.

Source : Gerigk, Rinawi et Wicht (2018) / La Vie économique

Les excédents seront nécessaires dans un avenir proche


Le vieillissement de la population constitue un grand défi, en particulier pour de nombreux pays industrialisés. Il entraînera notamment un recul du nombre de personnes actives, ce qui pourrait peser sur les systèmes sociaux et ralentir la croissance économique. Il serait temporairement possible de contrer ce recul en augmentant l’activité lucrative des femmes. L’immigration de main-d’œuvre pourrait également alléger la charge. La population immigrante vieillit toutefois elle aussi, de sorte que l’effet de rajeunissement potentiel n’est que temporaire. Une élévation de l’âge de la retraite pourrait constituer une solution à plus long terme, mais se heurte à une forte opposition politique.

Des flux de capitaux libres peuvent également aider à maîtriser la transition démographique. En effet, bien que le monde enregistre un vieillissement global, les processus de vieillissement sont très asynchrones, et donc décalés dans le temps. C’est pourquoi des économies nationales aujourd’hui jeunes et dynamiques peuvent financer leur croissance par des déficits de la BTC. Parallèlement, les excédents de la BTC permettent aux économies nationales âgées et plutôt en stagnation de se constituer une épargne dont elles auront besoin dans un proche avenir. L’analyse de la relation entre démographie et BTC montre ainsi qu’une part importante des déséquilibres de la balance globale des transactions courantes est due à la démographie.

  1. Voir Fair et Dominguez (1991). []

Bibliographie

  • Fair R. C. et Dominguez K. M. (1991). « Effects of the changing U.S. age distribution on macroeconomic equations », American Economic Review, 81, 1276–1294.
  • Gerigk J., Rinawi M. et Wicht A. (2018). « Demographics and the current account », Aussenwirtschaft, 69 (1), 45–76.

Bibliographie

  • Fair R. C. et Dominguez K. M. (1991). « Effects of the changing U.S. age distribution on macroeconomic equations », American Economic Review, 81, 1276–1294.
  • Gerigk J., Rinawi M. et Wicht A. (2018). « Demographics and the current account », Aussenwirtschaft, 69 (1), 45–76.

Proposition de citation: Miriam Rinawi (2019). Le vieillissement influence la balance des transactions courantes. La Vie économique, 26 novembre.