Monsieur Gilgen, vous œuvrez depuis 15 ans à l’exécution de la loi sur l’assurance-chômage. Comment jugez-vous l’évolution des offices régionaux de placement (ORP) ?
Je pense que l’organisation des ORP a beaucoup gagné en professionnalisme. Les demandeurs d’emploi étaient auparavant plutôt gérés que conseillés. Aujourd’hui, il s’agit surtout d’être efficace dans le conseil. Le contrat de prestations de la Confédération avec les cantons, axé sur les résultats, a largement contribué à l’échange de bonnes pratiques entre les cantons.
En 2013, vous avez lancé le projet « BernTop », qui a individualisé le conseil dans le canton de Berne. Qu’a amené ce projet ?
« BernTop » était non seulement un nouveau projet de conseil, mais également un vaste plan de stratégie et de développement culturel. Nous avons voulu nous recentrer de manière plus conséquente sur la situation individuelle des demandeurs d’emploi et avons dans le même temps fortement élagué le portefeuille de mesures relatives au marché du travail. La démarche visait également une nouvelle culture de placement axée sur les employeurs. Aujourd’hui, nous nous considérons comme une sorte d’agence de voyage qui accompagne les demandeurs d’emploi sur le chemin d’un nouvel avenir professionnel.
L’agencement des ORP rappelle celui des voyagistes. Est-ce un hasard ?
Non. Nous avons volontairement choisi un concept d’aménagement moderne. Depuis 2017, nous avons créé cinq nouveaux ORP et complètement rénové des offices existants. D’autres sont en cours de planification. Nous nous voyons comme une combinaison entre une assurance sociale pour l’exécution de la loi, une agence publique de placement axée sur le marché du travail et un voyagiste fournissant un conseil personnalisé. Nous rendons cela visible avec un tout nouveau concept d’aménagement. Un demandeur d’emploi doit sentir qu’il est bienvenu et conseillé avec professionnalisme grâce à l’ambiance ouverte et sérieuse des ORP. Les conseillers peuvent choisir l’environnement de conseil qui convient à chaque entretien parmi trois compositions de tables et de sièges dans l’espace de bureau ouvert. Des consultations dans un espace fermé restent évidemment possibles, mais cela est rarement demandé. Des bureaux individuels décorés selon les goûts personnels des conseillers ne créent pas une ambiance professionnelle pour les clients. Ils sont donc appelés à disparaître de nos ORP.
« BernTop » a innové avec des feux de signalisation. Comment fonctionnent-ils ?
Les feux de signalisation ont constitué un aspect particulier du projet « BernTop ». Pour nos conseillers, il s’agit d’une segmentation plus consciente des clients en trois catégories. Selon les cas et les besoins de conseil, le canton de Berne classe les demandeurs d’emploi comme clients de transition, du marché ou d’intégration. Cette segmentation consciente est importante pour poser les jalons de la coopération entre les demandeurs d’emploi et les conseillers ORP. Elle sert de base à une stratégie de réadaptation professionnelle adaptée aux besoins et efficace.
Recourir à une occupation uniquement pour offrir une structure journalière aux chômeurs a peu de sens.
Y a-t-il des mesures qui n’ont pas aussi bien fonctionné ?
Oui. Nous avons constaté que les mesures relatives au marché du travail ne mènent pas toutes au but. Nous avons par exemple abandonné les purs programmes d’occupation, estimant qu’ils prolongent le chômage. Recourir à une occupation uniquement pour offrir une structure journalière aux chômeurs a peu de sens. Nous favorisons plutôt les concepts qui visent le marché primaire du travail, comme l’accompagnement en matière de candidatures ou les stages.
Quelle est la difficulté majeure dans le placement de demandeurs d’emploi ?
De nombreux secteurs manquent de personnel qualifié. En même temps, la plupart des demandeurs d’emploi n’ont pas les profils recherchés. Autrement dit, l’offre est souvent en inadéquation avec la demande du marché du travail. Nous avons également de plus en plus de difficultés avec des demandeurs d’emploi âgés ou peu qualifiés sans diplôme professionnel formel.
Quelles places d’apprentissage conseillez-vous aux jeunes qui veulent être sûrs de trouver un emploi ?
Dans le canton de Berne, on redoute une pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans les années à venir, en particulier dans l’industrie. Un apprentissage dans cette branche ou dans le secteur artisanal est donc profitable.
Justement, les secteurs techniques sont typiquement un domaine masculin.
Il est clair qu’il nous faut intéresser davantage de jeunes femmes aux professions « Mint » (mathématiques, informatique, sciences naturelles et technique, ndlr) ou aux métiers artisanaux. Peintre en bâtiment est un exemple positif : la part des femmes chez les apprentis atteint désormais presque 50 % et continue de croître.
Un apprentissage dans l’industrie est profitable.
Les personnes qui se retrouvent au chômage à 58 ans ou plus ont peu de chances de retrouver un emploi. Que fait le canton de Berne pour les travailleurs âgés ?
Notre stratégie de conseil est axée sur la situation individuelle des demandeurs d’emploi. Des mesures collectives pour une tranche d’âge précise ne sont donc pas efficaces. Les plus de 50 ans ne sont pas tous difficiles à placer, mais je ne veux pas embellir le tableau : au cas par cas, la recherche d’un emploi pour des travailleurs âgés est ardue. La durée moyenne de chômage est en outre nettement plus longue que pour les autres tranches d’âge. Une activation et une aide rapides dès le début du chômage sont importantes. Après sept à neuf mois, la recherche d’emploi se complique toujours plus.
Quelles sont les raisons de l’allongement de la durée du chômage pour les personnes plus âgées ?
Elles ont par exemple l’inconvénient des cotisations élevées à la caisse de pension par rapport aux candidats plus jeunes, ce qui rend un réengagement difficile. Les travailleurs âgés ont aussi parfois des attentes trop élevées quant aux conditions d’embauche. Il ne faut pourtant pas généraliser. Les services du personnel n’ont souvent pas la volonté innée d’inviter des demandeurs d’emploi expérimentés à un entretien s’il y a des candidats plus jeunes.
Les demandeurs d’emploi âgés deviennent aussi plus souvent des chômeurs de longue durée.
Oui, c’est vrai. Plus ils sont âgés, plus le risque du chômage de longue durée est important. Passé une année de chômage, les demandeurs d’emploi ont généralement de la peine à réintégrer le marché du travail.
Le Conseil fédéral veut améliorer les offres de conseil des ORP pour les chômeurs âgés. N’est-ce pas en contradiction avec votre approche centrée sur l’individu ?
Non. Le programme d’impulsion complète notre approche. Il s’agit de mesures pour promouvoir le potentiel de main-d’œuvre indigène. Deux concernent les ORP. Le Conseil fédéral veut d’une part améliorer la compétitivité des travailleurs âgés en facilitant l’accès au marché du travail pour les demandeurs d’emploi âgés difficiles à placer. Il veut d’autre part mieux intégrer au marché du travail les étrangers vivant en Suisse.
Les chômeurs en fin de droit peuvent-ils également bénéficier d’un conseil ORP ?
Oui. Nos prestations sont disponibles sans frais pour tous les chômeurs en fin de droit aptes au placement et employables. Nous travaillons alors étroitement avec les services sociaux.
Les ORP ne proposent pas de cours de perfectionnement pour les chômeurs. Pourquoi ?
Sur le fond, les ORP n’ont pas de mandat de formation. Leur mission première est de réinsérer rapidement et durablement les personnes aptes au placement sur le marché primaire du travail. Dans ce contexte, des mesures relatives au marché du travail, comme un cours de langue individuel, sont toutefois parfaitement admises.
Le Secrétariat d’État à l’économie (Seco) laisse une grande liberté d’action aux cantons pour organiser le placement.
La responsabilité de l’exécution relève des cantons. Nous avons beaucoup de latitude pour aménager notre organisation. Le Seco contrôle le processus au moyen d’un contrat de prestations axé sur les résultats et une analyse d’efficacité correspondante. Il indemnise nos frais d’exécution en fonction du nombre de demandeurs d’emploi et fixe chaque année le plafond des dépenses.
Lors de l’analyse annuelle de l’efficacité menée par le Seco, le canton de Berne a progressé sous votre direction. Êtes-vous satisfait ?
Les investissements dans le conseil ont certes porté des fruits, mais je ne suis naturellement pas encore satisfait. En 2018, nous avons atteint un indice général de 99 points et manqué de peu la marque des 100 points correspondant à la moyenne suisse. Pour nous améliorer, nous voulons notamment investir encore davantage dans la qualité du conseil.
Berne participe cette année au projet « Optimisation du conseil ORP » du Seco avec 15 autres cantons. Qu’en attendez-vous ?
Le canton de Berne participe au sous-projet sur l’intensité du conseil, dans le cadre duquel un groupe de demandeurs d’emploi sélectionné aléatoirement se voit conseiller de façon bien plus intensive pendant les six premiers mois de chômage. Nous espérons pouvoir déterminer si cela accroît l’efficacité du conseil ORP et raccourcit la durée de chômage.
Dans l’idéal, une entreprise trouve rapidement le candidat qui convient. Cela réduit les coûts.
Quel succès remporte l’obligation d’annoncer les postes vacants dans le canton de Berne ?
Sur le plan organisationnel, elle est bien rodée. Je m’inquiète pourtant de l’inadéquation déjà mentionnée : nous ne pouvons que rarement proposer des candidats appropriés aux employeurs. Au bout du compte, le succès du placement reste donc modeste. Les entreprises décident en outre elles-mêmes qui inviter à un entretien et ne sont aucunement tenues de nous communiquer les motifs de refus. C’est un peu gênant. Je trouve malgré tout que l’obligation d’annoncer les postes vacants est une chance pour les demandeurs d’emploi âgés.
En lien avec l’obligation d’annoncer les postes vacants, le Seco a remanié le portail travail.swiss, où figurent les postes à pourvoir. Or, seul un quart des demandeurs d’emploi y ont recours. Faut-il rendre l’inscription obligatoire ?
Dans un premier temps, les conseillers ORP devraient attirer l’attention des clients sur ce portail. Nous pouvons leur montrer comment utiliser judicieusement cet outil lors de l’entretien.
Ne serait-il pas préférable qu’un demandeur d’emploi s’y connecte déjà avant l’entretien de conseil ?
Oui, absolument. Sur travail.swiss, les demandeurs d’emploi peuvent à tout moment se renseigner sur les postes vacants. La prévention du chômage est importante. Nous investissons beaucoup pour cela, mais pas encore assez. C’est pourquoi le Seco mesure, à l’aide d’un nouvel indice, la réussite des ORP en matière de prévention du chômage. Cela concerne surtout la période du délai de congé. Nous conseillons à tous les actifs occupés de s’inscrire immédiatement à l’ORP après un licenciement ou si le chômage menace.
L’obligation d’annoncer les postes vacants suscite également des résistances. Gastrosuisse et la Société des entrepreneurs la jugent inutile et bureaucratique. Comprenez-vous ces critiques ?
Non. Le mandat légal est clair. Annoncer les postes vacants via la plateforme Web est simple et l’effort proportionné. Il faut voir le côté positif : dans l’idéal, une entreprise trouve rapidement le candidat qui convient. Cela réduit les coûts.
Des sociétés annoncent également aux ORP des postes vacants non soumis à cette obligation.
Oui. Les entreprises ne différencient souvent plus les postes vacants soumis et non soumis à l’obligation d’annoncer, ce que nous saluons. Bon nombre de sociétés collaborent bien avec les ORP depuis des années. Entretenir les contacts avec les entreprises est donc primordial.