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Le commerce entre la Suisse et le Royaume-Uni se porte bien

La décision du Royaume-Uni de quitter l’Union européenne n’a pas péjoré ses relations commerciales avec la Suisse. Les exportations suisses dépendent davantage de la croissance économique britannique que du taux de change livre-franc.
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Le Royaume-Uni est le principal partenaire commercial de la Suisse en ce qui concerne le commerce d’objets de valeur, comme l’or. (Image: Keystone)

Le 23 juin 2016, les Britanniques se prononçaient en faveur d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE). Si cette décision a engendré beaucoup d’incertitudes, les échanges commerciaux entre la Suisse et le Royaume-Uni ont jusqu’à présent bien résisté dans leur ensemble. Le Royaume-Uni est d’ailleurs l’un des plus importants partenaires de la Suisse : il figurait au troisième rang en 2018 derrière l’Allemagne et les États-Unis, avec un volume d’échanges commerciaux global de plus de 56 milliards de francs (y compris les services et les objets de valeur), soit 21 milliards d’exportations depuis la Suisse et 35 milliards d’importations depuis le Royaume-Uni.

Le commerce entre les deux pays se distingue notamment par l’importance des services : sur les trois premiers trimestres de 2019, le Royaume-Uni était l’un des seuls partenaires de la Suisse pour lequel le commerce de services dépassait le commerce de marchandises (hors objets de valeurs). Cette situation s’explique notamment par le fait que le Royaume-Uni s’est depuis longtemps spécialisé dans certains services, notamment financiers ou de conseil aux entreprises. Il n’est dès lors pas étonnant qu’il soit le troisième partenaire commercial de la Suisse dans ce secteur derrière les États-Unis et l’Allemagne, avec un volume d’échanges total (exportations + importations) de 19,5 milliards de francs en 2018.

Les droits de licences représentaient 17 % des exportations suisses de services au Royaume-Uni sur les trois premiers trimestres 2019, suivis des services financiers (16 %) et des services de télécommunications, informatiques et d’information (TCI, 14 %). Du côté des importations, les principaux services étaient liés aux conseils en gestion (26 %), aux TCI (19 %) et au tourisme (14 %). Alors que les importantes importations en recherche et développement et en TCI ont engendré un déficit de la balance des services entre 2012 et 2017, un excédent est enregistré depuis le début 2018 grâce à la forte croissance des exportations en droits de licences depuis fin 2016.

Les objets de valeur dominent


Le Royaume-Uni est par ailleurs le principal partenaire de la Suisse en ce qui concerne le commerce d’objets de valeur[1] : le volume d’échanges total (exportations + importations) a atteint 25,9 milliards de francs sur l’ensemble de l’année 2019. Cette relation a deux origines : premièrement, les deux pays possèdent des places financières fortes entre lesquelles les échanges d’objets de valeur (lingots d’or, etc.) peuvent être très importants ; deuxièmement, une grande partie de l’or au niveau mondial est acheminée vers plusieurs raffineries en Suisse dans le but d’y être transformée puis réexportée, notamment vers la Chine et l’Inde. Une part importante de cet or provient également du Royaume-Uni, qui héberge les principales bourses d’échange de métaux précieux.

Le commerce d’objets de valeur fluctue cependant fortement d’une année à l’autre et engendre une grande volatilité dans le total du commerce de marchandises, notamment avec le Royaume-Uni : la part des objets de valeur au commerce suisse de marchandises était ainsi de 67 % pour les exportations et de 43 % pour les importations en 2019, contre respectivement 15 % et 70 % en 2018.

Volte-face dans la pharma


Hors objets de valeur, les produits chimiques et pharmaceutiques constituent le principal secteur d’exportation de marchandises vers le Royaume-Uni : ils représentaient plus de 3 milliards de francs sur l’ensemble de l’année 2019. Ils sont suivis par les machines, les métaux et autres instruments de précision (2 milliards) issus de l’industrie MEM et par l’horlogerie (1,4 milliard). Une approximation des exportations réelles de marchandises vers le Royaume-Uni ventilées par produits (voir encadré) montre que le commerce total de marchandises a bénéficié du dynamisme de la chimie-pharma ces 20 dernières années : les exportations de ce secteur ont plus que doublé entre début 2013 et mi-2016, avant de reculer à nouveau (voir illustration 1). L’industrie MEM a en revanche progressivement reculé, alors que la part de l’horlogerie est passée de 6 % à près de 15 % entre 2009 et 2019, reflétant ainsi l’avantage comparatif des exportations suisses dans ce secteur.

Une forte correction des exportations de produits pharmaceutiques a toutefois eu lieu en 2017 et 2018. Ce revirement surprenant pourrait refléter un changement stratégique de la part d’une ou de plusieurs entreprises durant cette période, sans que cette décision ait nécessairement un lien direct avec le vote de 2016 en faveur du Brexit. À ce jour, seul un effet d’anticipation au premier trimestre 2019 est avéré et visible dans la majorité des rubriques – tant à l’exportation qu’à l’importation : de nombreuses entreprises ont alors augmenté leurs stocks en prévision de la sortie du Royaume-Uni de l’UE, initialement prévue pour le 29 mars 2019.

Ill. 1. Exportations suisses de marchandises vers le Royaume-Uni (séries réelles désaisonnalisées, 2000–2019)




Remarque : la part de la chimie-pharma à l’ensemble des exportations de marchandises vers le Royaume-Uni s’est élevée à 33 % en 2019 (en termes nominaux). Suivent l’industrie MEM (22 %) et l’horlogerie (15 %).

Source : Seco / La Vie économique

Dans le sens inverse, c’est-à-dire au niveau des importations en provenance du Royaume-Uni, les produits chimiques et pharmaceutiques ont représenté 5,2 milliards de francs sur l’ensemble de 2019 et se retrouvent également en tête (voir illustration 2). Les biens issus de l’industrie MEM (1,2 milliard) ont vu leur poids s’éroder au fil du temps, passant de 43 % en 1988 à 12 % en 2019. La rubrique des véhicules (voitures, trains, avions, etc.) connaît pour sa part une tendance légèrement baissière depuis 2012.

La déconnexion entre les importations et les exportations de produits de la chimie-pharma depuis la mi-2016 est marquante. Dopées par les matières premières et les matières de base organiques, les importations de produits chimiques et pharmaceutiques ont plus que doublé entre mi-2016 et mi-2019. Comme cette évolution ne concerne probablement qu’un nombre très restreint de produits et d’entreprises, elle ne doit pas être interprétée comme une tendance de fond.

Ill. 2. Importations suisses de marchandises en provenance du Royaume-Uni (séries réelles désaisonnalisées, 2000–2019)




Remarque : 55 % des importations de marchandises en provenance du Royaume-Uni concernaient la chimie-pharma (en termes nominaux), devant les véhicules et l’industrie MEM (12 % chacun).

Source : Seco / La Vie économique

Le PIB britannique décisif pour les exportations


La décomposition du commerce de marchandises par groupe de produits a mis en lumière des différences importantes au niveau des facteurs susceptibles d’influencer l’évolution des échanges. Si l’on exclut le commerce d’objets de valeur et des produits chimiques et pharmaceutiques (qui réagissent beaucoup moins que les autres à la conjoncture et au taux de change), il est alors possible de modéliser les exportations suisses vers le Royaume-Uni à l’aide d’un simple modèle de correction d’erreur[2]. Ce modèle permet notamment de faire la distinction entre le long et le court terme dans un contexte de cointégration. Toutes les variables sont exprimées en termes réels : ainsi, l’important différentiel d’inflation entre la Suisse et le Royaume-Uni ces dernières années est par exemple pris en compte. Le modèle est également estimé pour l’Allemagne, les États-Unis, la France et au niveau mondial afin de comparer les différentes élasticités des exportations helvétiques (voir illustration 3).

À court terme, les exportations vers le Royaume-Uni présentent des élasticités très similaires à celles obtenues pour les autres partenaires commerciaux de la Suisse : la demande étrangère a une influence bien plus forte que le taux de change, ce qui peut refléter le fait que les entreprises attendent généralement un certain temps avant d’ajuster leurs prix. Sur le long terme, en revanche, le taux de change joue un rôle beaucoup moins important pour le Royaume-Uni que pour les autres partenaires : alors qu’une augmentation de 1 % du taux de change engendre une réduction des exportations suisses d’au minimum 0,6 % vers les autres partenaires, le recul n’est que de 0,2 % pour le Royaume-Uni[3].

Ill. 3. Élasticités des exportations suisses par rapport à la demande étrangère et au taux de change (1er trimestre 1988–3e trimestre 2019)




Remarque : le graphique ne prend pas en compte les objets de valeur et les produits pharmaco-chimiques. La demande se base sur le produit intérieur brut (PIB) réel du partenaire (Royaume-Uni, États-Unis, Allemagne, France) ou sur le PIB réel pondéré des principaux partenaires commerciaux de la Suisse (monde). Le taux de change réel (publié par la Banque nationale suisse et basé sur l’indice des prix à la production) est issu du cours réel bilatéral (Royaume-Uni, États-Unis, Allemagne, France) ou de l’indice réel global (monde).

Source : Seco / La Vie économique

Vue sous cet angle, la relative solidité de l’économie du Royaume-Uni – dont la croissance n’était que légèrement inférieure à la moyenne depuis le vote en faveur du Brexit – explique pourquoi les exportations suisses de marchandises (hors objets de valeurs et produits chimiques et pharmaceutiques) sont restées plutôt stables sur cette période. La balance est d’ailleurs restée nettement excédentaire pour ces biens : la valeur des exportations a dépassé celle des importations de près de 2 milliards de francs en 2019.

Bien entendu, l’évolution future du commerce bilatéral va dépendre de nombreux autres facteurs. L’évolution de secteurs comme la chimie-pharma, la nature des relations bilatérales entre le Royaume-Uni et l’UE durant et après la période transitoire qui court au moins jusqu’à fin 2020, la réaction des économies européennes au Brexit et le succès de la stratégie « Mind the Gap » adoptée par le Conseil fédéral seront également déterminants.

  1. Voir également l’encadré « Les principaux partenaires commerciaux de la Suisse » des Tendances conjoncturelles Hiver 2019–2020 du Seco. Les données concernant le commerce de marchandises sont déjà disponibles pour l’ensemble de l’année 2019. []
  2. Pour d’autres applications de ce modèle aux exportations suisses, voir Indergand et Mahlstein (2012) et Hanslin Grossmann et al. (2016). []
  3. Les élasticités estimées peuvent varier quelque peu suivant la spécification du modèle et le choix de l’horizon temporel (ici : 1er trimestre 1988–3e trimestre 2019). []

Bibliographie

Bibliographie

Proposition de citation: Pochon, Vincent (2020). Le commerce entre la Suisse et le Royaume-Uni se porte bien. La Vie économique, 23. mars.

Flux réels de marchandises par partenaire commercial

Il n’existe pas de données réelles pour le commerce extérieur de la Suisse par partenaire commercial. L’interprétation des flux commerciaux se base donc uniquement sur les flux nominaux. Ce procédé peut mener à des erreurs d’interprétation, par exemple en faisant une lecture conjoncturelle de simples variations de prix. Afin de combler cette lacune, le commerce de marchandises par pays a été corrigé des variations de prix au niveau des principaux groupes de produits, conformément à la méthode utilisée dans les comptes nationauxa. Comme les indices de prix au niveau des groupes de produits ne sont pas disponibles par partenaire commercial, le même indice global est utilisé pour chaque pays : il est en effet probable que les prix de nombreux biens échangés évoluent de manière similaire entre les différents pays ; en outre, l’approche désagrégée aboutit, en pondérant les différents groupes de produits, à une évolution des prix totaux à l’exportation et à l’importation différente pour chaque partenaire commercial.

 

a Voir OFS (2015) pour la déflation des exportations suisses et Yoruzo et al. (2017) pour l’application aux différents partenaires commerciaux.