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Réduction de CO2 : le secteur des transports doit être inclus

Les transports doivent être impliqués pour faire baisser les émissions de gaz à effet de serre. Une taxe carbone étendue aux carburants ralentirait à peine la croissance économique et aurait un impact modéré sur le bien-être des ménages.
Le trafic est responsable d’environ 40 % des émissions de CO2 de la Suisse dues à la combustion d’énergie. (Image: Keystone)

Les transports représentaient 41 % des émissions carbonées de la Suisse en 2017, un chiffre qui devrait atteindre 54 % en 2050 en tenant compte des mesures actuellement en vigueur ou prévues au niveau politique. Or, les plans de la Suisse concernant les émissions de CO2 dans ce secteur paraissent très timides comparés à ceux de l’Union européenne. Le secteur automobile a essentiellement pu fixer lui-même ses objectifs d’amélioration du rendement énergétique jusqu’au moment où la Suisse s’est alignée sur les normes européennes en 2012. La taxe sur le CO2 introduite en 2008 exempte toujours les carburants et la troisième loi sur le CO2 en préparation au Parlement allait dans le même sens avant l’entame de la session de printemps 2020.

Selon le scénario de référence officiel, le trafic passagers devrait encore augmenter de 25 % et le fret de 37 % en Suisse à l’horizon 2040[1] par rapport aux valeurs de 2010. La répartition de cette activité entre les différents modes de transport ne devrait pas changer de manière significative, de sorte que l’activité routière devrait augmenter dans les mêmes proportions. Des mesures politiques fortes sont nécessaires pour réduire les émissions totales de CO2 du secteur des transports, sans l’implication duquel une décarbonation profonde est impossible.

Une étude[2] de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) a analysé le coût du traitement préférentiel accordé aux transports, sur la base de l’évolution attendue des émissions de CO2 liées à ce secteur. Elle a utilisé les simulations de décarbonation profonde réalisées dans le cadre de la Plateforme suisse de modélisation énergétique[3]. Un modèle d’équilibre général calculable[4] a permis de simuler la décarbonation de l’ensemble de l’économie suisse, avec et sans traitement préférentiel des carburants. Il a ainsi été possible d’évaluer la contribution du secteur des transports à l’effort général de décarbonation.

Trois scénarios politiques


Une projection de l’évolution technique, politique et économique sans changements particuliers par rapport à la situation actuelle a constitué le point de départ des simulations. Ce scénario de référence suppose que la norme d’émission de 95 grammes de CO2 par kilomètre introduite en 2020 pour les véhicules neufs restera inchangée jusqu’en 2050. La taxe carbone demeurera limitée aux combustibles et fixée à 120 francs par tonne de CO2. Le secteur pétrolier (principalement les raffineries), les industries à forte intensité énergétique (papeteries, verreries, cimenteries, etc.) et le secteur de l’électricité participeront à un système national d’échange de quotas d’émission (Seqe). Le prix des quotas augmentera sous l’effet de la demande et de l’offre, sachant que cette dernière diminue de 1,74 % chaque année[5], ce qui correspondra à une réduction globale de 48 % en 2050 par rapport au niveau de 2013. Les émissions totales de CO2 évolueront quant à elles en fonction des mesures politiques et de la croissance économique et démographique.

Trois scénarios politiques simples de décarbonation sont présentés dans cet article : ils visent à réduire les émissions de gaz à effet de serre de la Suisse à une tonne d’équivalents CO2 par habitant en 2050 (voir tableau). Cette réduction correspondait à l’objectif à long terme le plus ambitieux que visait le Conseil fédéral avant d’annoncer en 2019 un objectif d’émissions nettes nulles d’ici à 2050[6].

Le premier scénario suppose que la tarification actuelle du carbone soit remplacée par une taxe uniforme sur le CO2 pour toutes les formes d’énergie fossile ; le second prévoit un Seqe identique au système actuel, mais étend la taxe sur le CO2 aux carburants ; le troisième propose une taxe carbone pour les carburants égale à un quart de la taxe sur le CO2 prélevée sur les combustibles, avec un Seqe inchangé.

Scénarios et instruments politiques prévus








  Taxe sur le CO2 pour les combustibles Taxe sur le CO2 pour les carburants Système d’échange de quotas d’émission (pour les grands émetteurs)
Scénario de référence 120 francs par tonne de CO2 Exemption totale Le prix réagit à la baisse du plafond d’émission
Scénario 1 Augmentation graduelle pour atteindre l’objectif d’émissions Identique à la taxe pour les combustibles Seqe supprimé, remplacé par la taxe sur le CO2
Scénario 2 Augmentation graduelle pour atteindre l’objectif d’émissions Identique à la taxe pour les combustibles Le prix réagit à la baisse du plafond d’émission
Scénario 3 Augmentation graduelle pour atteindre l’objectif d’émissions ¼ du taux de la taxe pour les combustibles Le prix réagit à la baisse du plafond d’émission


Source : Thalmann et Vielle (2019)

Les véhicules électriques entrent sur le marché


Dans le scénario de référence, le prix des quotas d’émission devra augmenter jusqu’à 252 francs par tonne de CO2 d’ici à 2050 pour que les quantités émises par les secteurs concernés restent sous le plafond (voir illustration). Avec une taxe carbone figée à 120 francs par tonne et limitée aux combustibles, les émissions totales de CO2 ne diminueront que de 0,9 % par an en moyenne pour atteindre 2,6 tonnes par habitant en 2050. Le recul sera identique dans le domaine du transport routier grâce à un report modal en faveur du rail[7], à l’amélioration de l’efficacité énergétique des véhicules et à la pénétration des biocarburants et des véhicules électriques.

Même si les carburants à base de pétrole dominent toujours pour les voitures et les autres véhicules (véhicules légers et lourds, autocars, autobus), les voitures électriques destinées aux particuliers entrent sur le marché : elles représenteront 22 % des voitures privées en 2050. Pour les autres véhicules, la part de l’électricité atteindra 7 %. Les biocarburants propulseront au total 8 % du parc de véhicules.

Prix du CO2 et coûts de bien-être en 2050, selon les différents scénarios


Remarque : le graphique indique les prix du CO2 nécessaires en 2050 pour atteindre l’objectif de réduction d’émission de CO2, ainsi que la perte de bien-être exprimée en pourcentage de la consommation des ménages. Ces coûts de bien-être ne prennent pas en compte les avantages liés à la réduction de la pollution de l’air ou à la baisse du nombre d’accidents. Le détail des différents scénarios est présenté dans le tableau.

Source : Thalmann et Vielle (2019) / La Vie économique

Compte tenu du niveau des émissions de CO2 dans le scénario de référence, un objectif d’une tonne d’équivalents CO2 par habitant correspond à 70 % d’émissions en moins en 2050. Une telle réduction nécessite des prix élevés du carbone lorsque la taxation constitue le seul instrument utilisé pour améliorer l’efficacité énergétique, encourager des formes d’énergie à faible teneur en carbone et favoriser des changements de production et de consommation. Les prix du carbone doivent également être plus élevés en Suisse que dans des pays qui possèdent une industrie lourde importante et une production d’électricité basée sur les combustibles fossiles.

Dans le scénario 1, le prix du carbone atteindra 1089 francs par tonne de CO2 en 2050. Ce résultat se rapproche de ceux d’autres modèles prévoyant des prix allant de 970 à 1140 francs[8]. Ces prix élevés, introduits progressivement, ralentissent à peine la croissance économique et impliquent des coûts de bien-être relativement modérés, comparables à une diminution de consommation des ménages de 1,88 % au maximum par rapport au scénario de référence. Ce résultat est là encore similaire à ceux d’autres simulations.

Une taxe uniforme sur toutes les sources de CO2 (scénario 1) permettrait d’atteindre l’objectif au moindre coût. Les émissions de CO2 des voitures seraient inférieures de 80 % en 2050 par rapport au scénario de référence. Un tiers de cette réduction peut être attribué à une diminution de l’utilisation de la voiture, partiellement compensée par une augmentation des voyages en train ; la mobilité des ménages diminue. Les deux tiers restants de la réduction sont principalement dus à la pénétration des voitures électriques et des biocarburants. La diminution des émissions des véhicules à essence et diesel, devenus plus efficaces, est plutôt limitée. Les améliorations proviennent donc principalement du changement de vecteur énergétique. Une taxe sur le CO2 plus faible (scénario 3) limite toutefois ce changement, et par conséquent la contribution du transport routier à la réduction du CO2.

Permettre aux grands émetteurs d’échapper à la taxe sur le CO2 en participant à un Seqe (scénario 2) augmente le coût pour les ménages, tout comme l’ajout d’un traitement préférentiel des carburants (scénario 3), dans la mesure où le ces traitements favorables exigent des taxes carbone beaucoup plus élevées pour les autres secteurs (bâtiments, entreprises non exonérées, etc.).

Des objectifs impossibles à atteindre en cas d’exonération


La Suisse peut donc réduire ses émissions de CO2 liées à l’énergie à une tonne par habitant en 2050, d’une part en étendant la taxe actuelle sur le CO2 à toutes les formes d’énergie fossile, et d’autre part en l’augmentant progressivement de 96 francs à 1089 francs par tonne de CO2 d’ici à 2050. Cela correspond à une augmentation des prix des carburants de 2,54 francs par litre d’essence et 3,01 francs par litre de diesel. Ces montants maximaux ne seraient toutefois atteints qu’en 2050, quand l’essence et le diesel n’assureront plus que 14 % de la mobilité automobile, contre près de 100 % aujourd’hui.

Sans une telle majoration des prix des carburants, il devient très difficile de réaliser un objectif ambitieux de réduction des émissions de CO2, à moins que les normes de rendement énergétique ne soient fortement relevées et étendues à toutes les voitures (pas seulement aux modèles neufs) en 2050. Si les entreprises à forte intensité énergétique continuent en outre de bénéficier d’un traitement préférentiel, les autres sources d’émissions (bâtiments, entreprises non exonérées) doivent supporter une taxe sur le CO2 trois fois plus élevée.

La décarbonation passe donc par une pénétration importante des véhicules électriques et à biocarburants, qui doit être soutenue par des politiques de promotion des bioraffineries et des infrastructures de chargement. De nouvelles politiques en matière de mobilité et d’innovation pourraient permettre d’atteindre l’objectif d’atténuation avec des prix des carburants et des coûts de bien-être plus faibles que ceux présentés dans l’étude.

  1. ARE (2016). []
  2. Voir Thalmann et Vielle (2019). []
  3. Landis et al. (2019). []
  4. Pour davantage de détails sur la méthodologie, voir Thalmann et Vielle (2019). []
  5. Selon le taux de diminution du plafond du marché européen ETS pour la période 2013–2020. []
  6. Une série de scénarios visant un maximum de 1,5 tonne de CO2 par habitant a également été simulée. Pour davantage de détails, voir Thalmann et Vielle (2019). []
  7. Conformément à Prognos (2012). []
  8. Voir notamment Landis et al. (2019), Bretschger et al. (2011) et Ecoplan (2012). []

Bibliographie

Bibliographie

Proposition de citation: Philippe Thalmann ; Marc Vielle ; (2020). Réduction de CO2 : le secteur des transports doit être inclus. La Vie économique, 18 mars.