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Comment garantir une tarification efficace du trafic routier ?

Deux éléments sont nécessaires pour une tarification efficace de la mobilité : une taxation de toutes les voitures de tourisme en fonction des prestations et l’extension aux carburants de la taxe sur le CO2.
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Les voitures occasionnent des coûts externes comme du bruit, des accidents et des dégâts aux sols. Le col de la Maloja, aux Grisons. (Image: Shutterstock)

La Confédération réfléchit à une tarification de la mobilité. Une formule efficace permettrait entre autres de garantir durablement le financement des transports et de réduire l’impact négatif sur l’environnement et la santé[1]. Mais comment instaurer une taxation pertinente des transports en général et du trafic routier en particulier ?

La Suisse dispose de solides données pour répondre à cette question : d’une part, le compte d’infrastructure routière détaillé de l’Office fédéral de la statistique (OFS) ; d’autre part, les coûts externes des transports calculés et régulièrement actualisés dans le cadre de vastes études commandées par l’Office fédéral du développement territorial (ARE).

La présente analyse s’est basée sur les données relatives aux coûts de l’année 2015 pour calculer les suppléments de prix efficaces dans le trafic routier suisse[2]. Une tarification distincte a été établie entre les facteurs de coûts relatifs à la consommation et ceux liés aux prestations, les coûts du trafic routier dépendant aussi bien de la consommation de carburant que des prestations kilométriques. La consommation se mesure en litres de carburant ; pour les prestations, l’unité utilisée est le kilomètre pour les voitures de tourisme et la tonne-kilomètre pour les poids lourds.

La tarification a d’abord été réalisée sans tenir compte des émissions de CO2 et de leur impact climatique, puis en les intégrant. Cette approche s’explique par le fait qu’il est difficile de quantifier de manière fiable les coûts externes globaux des émissions de CO2. Une taxe incitative semble un instrument plus approprié pour atteindre les objectifs politiques en la matière, tandis que les coûts externes locaux peuvent être évalués de manière fondée et donc directement internalisés.

Il s’agit de faire la distinction entre l’analyse de l’efficacité et la question de la répartition des coûts. Cette dernière observe si le secteur des transports assume l’ensemble des coûts qu’il occasionne et intègre les coûts fixes ainsi que les redevances forfaitaires comme l’impôt sur les véhicules à moteur ; l’évaluation de l’efficacité porte pour sa part uniquement sur les coûts marginaux, c’est-à-dire sur les coûts variables d’une unité supplémentaire. Le trafic routier génère bien sûr une utilité importante. Contrairement à une grande partie des coûts, celle-ci reste toutefois interne et bénéficie directement aux usagers. Il n’est donc pas nécessaire de corriger les prix du marché de ce côté-là.

Des coûts externes qui se chiffrent en milliards


On estime que les voitures de tourisme ont occasionné en 2015 des coûts externes locaux variables – liés à la consommation de carburant et aux prestations – d’environ 8,7 milliards de francs en Suisse, contre 2,2 milliards pour les poids lourds (voir tableau 1). Les coûts totaux atteignent ainsi 10,9 milliards[3].

Les coûts relatifs à l’utilisation de l’infrastructure routière sont également externes, tant qu’ils ne sont pas internalisés par taxation. Afin de déterminer les coûts variables, il a été supposé que la moitié de l’amortissement de l’infrastructure était liée à l’utilisation et donc variable.

Les coûts induits par le temps passé dans les embouteillages n’ont pas été pris en compte. Ils dépendent en effet tellement de l’heure et du tronçon qu’il semble plus approprié d’opter pour un système tarifaire ad hoc que d’imputer globalement les coûts en fonction de la consommation ou des prestations.

Tab. 1. Coûts externes locaux variables du trafic routier, en millions de francs (2015)




Source : Ecoplan et Infras (2019), OFS / La Vie économique

Des coûts d’infrastructures élevés


D’un montant total supérieur à 4 milliards de francs, les coûts externes liés à l’utilisation de l’infrastructure routière sont les plus élevés. Viennent ensuite les coûts relatifs aux atteintes à la santé en raison de la pollution de l’air, aux accidents et au bruit. Ces quatre domaines représentent à eux seuls 95 % des coûts établis.

Tous les coûts qui ne relèvent pas de la pollution de l’air sont relatifs aux prestations. À l’inverse, les pertes sur les récoltes, les dégâts aux forêts et les dégradations de la biodiversité sont surtout dus aux émissions de polluants atmosphériques provenant de la combustion de carburant, raison pour laquelle ils figurent parmi les coûts liés à la consommation.

L’impact sur la santé et sur les bâtiments en lien avec la pollution de l’air a été calculé sur la base des émissions de poussières fines (polluant PM10). Ces émissions sont provoquées à la fois par la combustion de carburant et par l’abrasion et le tourbillonnement. Selon une étude commandée par l’Office fédéral de l’environnement, seuls 6 % des émissions de PM10 imputables aux voitures de tourisme à essence sont liées aux gaz d’échappement et donc à la consommation[4]. Cette part est nettement plus élevée pour les voitures diesel (25 % environ).

Ces données ont permis d’établir les coûts par litre de carburant, par kilomètre et par tonne-kilomètre pour les trois catégories de véhicules définies (voitures de tourisme à essence, voitures de tourisme diesel et poids lourds). La répartition des coûts montre que, toutes catégories confondues, les coûts liés aux prestations sont nettement supérieurs aux coûts liés à la consommation.

Une taxe carbone sur les carburants


Pour que le prix puisse jouer son rôle d’indicateur de rareté, il faudrait commencer par internaliser la totalité des coûts énumérés ci-dessus. En outre, si l’on veut réduire à moindres frais les émissions indigènes de CO2, le prix du CO2 devrait être réparti de manière équilibrée entre toutes les utilisations d’énergies fossiles. Par souci d’efficacité, il s’agirait donc d’appliquer la taxe sur le CO2 non seulement aux combustibles utilisés pour produire de la chaleur et de la lumière, mais aussi aux carburants.

La taxe carbone étant une taxe incitative qui vise à atteindre un but politique, son montant dépend de l’objectif de réduction du pays. Les conclusions mentionnées ici se fondent sur la taxe actuelle de 96 francs par tonne de CO2.

Quelle tarification selon la consommation et les prestations faut-il appliquer afin d’inclure à la fois les coûts externes locaux et la taxation du CO2 ? Le supplément de prix est de 28 centimes par litre et 15 centimes par kilomètre pour les voitures de tourisme à essence, de 43 centimes par litre et 15 centimes par kilomètre pour les véhicules de tourisme diesel. Il s’élève à 51 centimes par litre et 13 centimes par tonne-kilomètre pour les poids lourds[5] (voir tableau 2).

Tab. 2. Suppléments de prix efficaces pour le trafic routier








 

Voitures de tourisme à essence

Voitures de tourisme diesel

Poids lourds

francs/litre

francs/kilomètre

francs/litre

francs/kilomètre

francs/litre

francs/tonne-kilomètre

Coûts externes locaux

0,06

0,15

0,18

0,15

0,26

0,13

Taxe sur le CO2

0,22

0,25

0,25
Supplément de prix efficace

0,28

0,15

0,43

0,1

0,51

0,13


 

 

Source : calculs de l’auteur

En prenant la consommation moyenne de carburant dans chaque catégorie de véhicules, on obtient un supplément total par tonne de CO2 de 847 francs pour les voitures de tourisme à essence, 896 francs pour les voitures de tourisme diesel et 1378 francs pour les poids lourds.

Comparons maintenant les suppléments calculés avec les taxes spécifiques perçues actuellement en fonction de la consommation et des prestations. Pour ce qui est des voitures de tourisme, il n’y a qu’une taxation relative à la consommation. Il s’agit principalement de l’impôt sur les huiles minérales, d’un montant de 75 centimes par litre. En ce qui concerne les poids lourds, l’État perçoit la redevance poids lourds liée aux prestations (RPLP) en plus de l’impôt sur les huiles minérales.

La comparaison montre que les taxes relatives à la consommation appliquées aujourd’hui sont supérieures aux suppléments efficaces. Il en va autrement pour ce qui est des coûts liés aux prestations, puisqu’aucune taxe n’est perçue pour couvrir les coûts relatifs aux kilomètres parcourus dans la catégorie des voitures de tourisme.

Si l’on calcule les chiffres relatifs à la consommation et aux prestations sur la base de la consommation moyenne de carburant en francs par tonne de CO2, la totalité des coûts à internaliser dépasse la taxation actuelle dans toutes les catégories de véhicules considérées. Le déficit est de 526 francs pour les voitures de tourisme à essence, de 600 francs pour les voitures de tourisme diesel et de 272 francs pour les poids lourds, malgré la RPLP.

Extension de la RPLP


Que faire ? Afin que les prix relatifs au trafic routier reflètent mieux les coûts effectifs, il est nécessaire de passer d’une taxation axée sur la consommation de carburant à une taxation axée sur les prestations. Une taxe liée aux prestations de type RPLP s’impose notamment pour les voitures de tourisme – y compris pour les véhicules électriques – qui occasionnent eux aussi des coûts en fonction des prestations.

Pour des raisons d’efficacité, il importe en outre de prélever une taxe carbone sur les carburants, laquelle pourrait en grande partie remplacer l’actuel impôt sur les huiles minérales. Il n’est toutefois pas pertinent d’internaliser la totalité des coûts au niveau du seul carburant, car les véhicules consommant beaucoup seraient surtaxés, tandis que ceux ayant des prestations élevées ne le seraient pas assez. Par ailleurs, l’assiette fiscale du financement de l’infrastructure routière ne cesserait de se réduire en raison de la multiplication des voitures hybrides et électriques.

  1. Ofrou (2019). []
  2. Les travaux à la base de cet article ont bénéficié du soutien du Centre de compétences pour la recherche en énergie, société, et transition (SCCER CREST), lequel reçoit pour sa part une subvention d’Innosuisse (n° 1155002547). []
  3. Voir Ecoplan et Infras (2019). []
  4. Infras (2017). []
  5. Les coûts par tonne-kilomètre ont été calculés par tonne effectivement transportée. On ne peut donc pas faire de comparaison avec les tarifs de la RPLP, calculés selon le poids maximal transportable (poids total autorisé). []

Bibliographie

Bibliographie

Proposition de citation: Schleiniger, Reto (2020). Comment garantir une tarification efficace du trafic routier ? La Vie économique, 14. avril.