Comment évolueront les transports ces 30 prochaines années en Suisse ? Quels trajets et quels moyens emprunterons-nous ? C’est pour répondre à ces questions que l’Office fédéral du développement territorial (ARE) établit périodiquement les perspectives d’évolution du transport[1] pour la Confédération. L’ARE planche actuellement sur les scénarios à l’horizon 2050, à paraître en automne 2021 ; les dernières projections publiées, à l’horizon 2040, datent de 2016.
Disons-le d’emblée : les prévisions à long terme – comme celles qui sont importantes pour la politique des transports, de l’environnement et de l’énergie ainsi que pour l’aménagement du territoire – s’avèrent rarement correctes. Elles améliorent cependant l’état des connaissances grâce à un processus de développement reposant sur un engagement et un soutien larges. Les experts et les offices fédéraux impliqués comparent ainsi leurs estimations de l’évolution de la mobilité, comme les hypothèses concernant les véhicules autonomes : combien de voitures entièrement automatisées prévoyons-nous sur nos routes en 2050 ? Quelle catégorie de population les utilisera et combien de kilomètres ces véhicules rouleront-ils à vide ? Si les aînés adoptent plus largement cette nouvelle modalité de transport, cela engendrera une augmentation du trafic.
Outre les nouvelles technologies et leur utilisation dans la société, les tendances démographiques et économiques façonnent également la mobilité de demain. Il est à cet égard essentiel que l’ensemble de l’administration fédérale utilise les mêmes chiffres. C’est pourquoi l’ARE fait appel aux publications les plus récentes de l’Office fédéral de la statistique (OFS) concernant l’évolution de la population et celles du Secrétariat d’État à l’économie (Seco) s’agissant de la croissance.
Les résultats quantitatifs, comme le nombre d’automobilistes pendulaires entre Berne et Lausanne, sont présentés sous forme de différents scénarios hypothétiques et analyses de sensibilité. Ces ordres de grandeurs servent de base de discussion pour les experts et soutiennent les responsables politiques en matière de planification et de prise de décision.
L’ARE veille à communiquer de manière transparente et ouverte les bases qu’il élabore : il met les résultats à disposition des experts externes sur les plateformes opendata.swiss, map.geo.admin.ch, zenodo.org et forscenter.ch/data-services. Le dialogue scientifique s’en trouve enrichi : les chercheurs peuvent remettre ces résultats en question et publier de nouvelles connaissances.
Un trafic automobile supérieur aux prévisions
L’un des principaux résultats quantitatifs des projections à l’horizon 2040 est l’évolution des prestations de transport mesurées en personnes-kilomètres. Le scénario de référence escompte ainsi une progression globale de 25 % du trafic voyageurs par rapport à 2010, rail et route confondus. Cette hausse sera de 18 % pour le transport individuel motorisé (TIM) et de 51 % pour les transports publics (TP).
L’accroissement du TIM ces dix dernières années a toutefois dépassé les prévisions, notamment en raison de l’évolution des coûts : alors que les projections à l’horizon 2040 tablaient sur une hausse semblable des coûts pour ces deux types de transport durant la période 2010–2020, ceux des TP ont augmenté alors que ceux du TIM ont reculé. Le nombre de voitures vendues, supérieur aux hypothèses des scénarios, explique également pourquoi la progression du TIM a été sous-estimée. Cet écart entre les scénarios et l’évolution effective illustre bien le caractère hypothétique des projections et montre l’importance d’une vérification et d’une mise à jour régulière des bases de données.
Une Suisse plus urbaine
Pour établir ses prévisions, l’ARE utilise non seulement les derniers scénarios démographiques et économiques régionalisés, mais également des modèles macroéconomiques ainsi que de transport et d’utilisation des surfaces.
Dans les domaines des transports et de l’énergie, l’Office fédéral de l’énergie (Ofen) et l’ARE commencent par élaborer des scénarios par branche économique : comment va se développer le secteur industriel par rapport à celui des services ? Comme ces derniers génèrent en comparaison moins de trafic marchandises et se montrent moins gourmands en surfaces, ces évolutions influencent le trafic routier et ferroviaire ainsi que la consommation d’énergie.
Sous la houlette de la Chancellerie fédérale, le groupe de travail « Scénarios économiques » avait demandé pour la première fois en 2011 l’établissement de scénarios par branche à l’aide d’un modèle d’équilibre général dynamique. L’ARE, l’Ofen et le Seco sont en train de mettre à jour ces scénarios par branche fondés sur un modèle d’équilibre général calculable régionalisé[2] et sur les dernières prévisions démographiques et économiques.
Ce projet calcule la performance économique et l’emploi par canton pour une quarantaine de secteurs à l’horizon 2060. Si les tendances déjà identifiées se confirment, l’importance du secteur tertiaire pour l’emploi continuera d’augmenter au détriment de l’agriculture et de l’industrie. Les branches de la chimie et de la santé enregistreront en outre une croissance supérieure à la moyenne, à l’instar de l’emploi dans et à proximité des grands centres.
Des modèles en interaction
Pour établir les projections, divers modèles quantitatifs de l’ARE sont appliqués. Un modèle d’utilisation des surfaces[3] reproduit par exemple les choix d’emplacement des ménages et des entreprises. Ce modèle se fonde sur une population dite « synthétique » dont on obtient les caractéristiques (âge, sexe, niveau de formation, revenu, nombre de personnes par ménage, possession de voitures et d’abonnements de transports publics, etc.) en combinant diverses sources de données. Sur cette base, le modèle établit une projection fine de la répartition de la population et de l’emploi sur le territoire.
Un autre modèle[4] calcule l’impact de la croissance sur le trafic marchandises et sur les prestations de transport correspondantes sur route et sur rail. Un troisième modèle[5] prévoit encore les habitudes de mobilité des individus en voiture, en transports publics, à vélo et à pied. Ces modèles permettent d’estimer les volumes de trafic, tant sur la route que sur le rail, le choix des moyens de transport et la qualité de la desserte du territoire (voir illustration). Dès lors, l’un des objectifs des projections est d’établir une carte de la desserte par les transports publics et par la route pour l’année 2050.
Qualité de la desserte par les transports publics (2017)
Remarque : la carte montre la qualité de la desserte d’une zone de trafic par les transports publics en fonction du temps de parcours et du potentiel à destination. Le potentiel est défini en calculant le nombre total d’habitants et de postes de travail dans une zone de trafic. Plus la couleur est foncée, plus l’accessibilité est bonne. Davantage d’informations sur www.map.are.admin.ch.
L’ARE fait interagir les trois modèles pour tenir compte des interrelations. Il prend ainsi en considération le trafic marchandises routier pour calculer les temps de déplacement du trafic voyageurs. Quant au modèle d’utilisation des surfaces, il permet de représenter la répartition géographique des habitants et des emplois qui sert de base au calcul du nombre de trajets réalisés par personne et par jour en fonction des buts de voyage. La qualité de la desserte par le TIM et les TP entre dans la détermination du choix des emplacements.
L’élaboration des projections à l’horizon 2050 est en cours. Les développements déjà connus des infrastructures routières et ferroviaires sont intégrés au modèle de trafic voyageurs. Les groupes de travail analysent les hypothèses relatives à la politique des transports et projettent le nombre de mouvements pendulaires remplacés par le télétravail et l’éventuelle augmentation des trajets de loisirs correspondants. Des débats animés s’annoncent sur l’importance des véhicules automatisés et sur les coûts du TIM et des TP.