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Bad RagARTz, une manifestation culturelle qui stimule l’économie locale

La triennale suisse de la sculpture Bad RagARTz est devenue en peu de temps l’une des plus grandes expositions en plein air du monde. L’hôtellerie-restauration et les commerces de la région du Sarganserland (SG) en profitent. À quoi est dû ce succès ?
Un festival rayonnant : un phare a été transporté par les airs au Guschakopf, un point de vue au-dessus de Bad Ragaz, à des fins promotionnelles. (Image: Susan Rupp)

On n’associe pas nécessairement les grandes manifestations culturelles aux régions rurales. Il en existe pourtant également, comme dans le village de Bad Ragaz, dans le Sarganserland saint-gallois.

Depuis 2000, cette commune de quelque 6000 habitants accueille tous les trois ans la triennale suisse de la sculpture Bad RagARTz. La 8e édition aura lieu en 2021. De mai à fin octobre, 72 artistes du monde entier présenteront un total de 450 œuvres. Les visiteurs peuvent parcourir l’exposition gratuitement et 400 000 à 500 000 personnes profiteront de cette opportunité. Mais quels sont les ingrédients d’un tel succès ?

Un contexte favorable


Comme souvent, l’esprit d’entreprise de quelques individus est à l’origine de l’aventure. La famille Hohmeister voulait créer quelque chose de durable pour le nouveau millénaire, « un événement qui ne soit pas un feu de paille », selon ses termes. À cela s’ajoutait un certain esprit révolutionnaire qui considérait la culture comme un élément social et formateur important : l’art est un antidote à la superficialité et à l’économisation du monde, un forum qui permet de discuter et de concevoir les questions urbanistiques, culturelles et politiques.

Une idée et un esprit d’entreprise ne suffisent cependant généralement pas, encore faut-il avoir le « terreau » nécessaire pour les faire pousser. Un projet ne se réalise pas sans l’environnement et les connaissances adéquats. L’environnement doit disposer des bonnes ressources et ne pas étouffer l’idée dans l’œuf. Or, Bad Ragaz fournit ce cadre : elle a une longue tradition de station thermale, dispose des parcs appropriés qui peuvent être exploités, et pratique une certaine ouverture au monde et à la culture. Principale institution touristique de la commune, le Grand Resort accueille par exemple des hôtes du monde entier.

Les initiateurs – la famille Hohmeister – n’avaient aucune idée de la manière dont on organise et finance une exposition d’art. Mais grâce à leur longue activité au centre médical de Bad Ragaz, qui reçoit aussi les clients du Grand Resort, les membres de la famille disposaient d’un bon réseau et de contacts avec des artistes et des personnes susceptibles de leur ouvrir des portes. Ces contacts ont été exploités pour organiser en quelques mois seulement la première exposition de sculptures.

Sur la voie de la professionnalisation


Beaucoup de choses se sont passées depuis lors. En 2000, 42 artistes ont participé à la manifestation et présenté 120 œuvres. Le nombre d’exposants et de sculptures n’a ensuite cessé de croître : 90 artistes ont ainsi présenté 450 œuvres en 2015. D’après les organisateurs, les capacités disponibles étaient alors épuisées. La marque de 450 œuvres s’est avérée raisonnable pour la taille de Bad Ragaz et a été conservée. Le nombre d’artistes a toutefois été réduit en 2018 et s’élève aujourd’hui à une septantaine.

La professionnalisation précoce et le transfert de la manifestation à une fondation ont été essentiels pour le développement de Bad RagARTz. La fondation a pour mission de promouvoir la culture régionale et d’organiser Bad RagARTz tous les trois ans. Créée en 2004 après la deuxième édition de l’exposition, elle lui a donné une assise plus large : un conseil de fondation a été élu et l’organisation de la manifestation a été répartie entre plusieurs personnes.

Le tournus triennal a en outre été institutionnalisé en partant du principe qu’une édition annuelle créerait une sorte d’accoutumance et « banaliserait » la manifestation. L’organisation et le financement, très coûteux, nécessitent en outre une phase préparatoire. La question du financement a également été résolue pour que la manifestation ne dépende plus uniquement de l’engagement financier de la famille fondatrice. Ces adaptations étaient nécessaires pour pérenniser et professionnaliser la manifestation.

Soutien financier de la région


Les coûts estimés d’une édition de Bad RagARTz se situent entre 2,2 et 2,5 millions de francs (voir illustration). Mais comment Bad RagARTz est-elle financée alors que l’entrée à la triennale est gratuite ?

Les subsides publics ne représentent qu’une petite fraction du budget total. La majorité des recettes est issue de la vente des œuvres d’art sur mandat des artistes, du soutien d’organisations proches des arts et de la culture, ainsi que des contributions de sponsors et donateurs. La plus grande partie du budget provient de sources suprarégionales et bénéficie ainsi à la région. Le tissu économique régional et la commune soutiennent également la manifestation. C’est là un premier indice que la région en profite également.

Estimation des coûts et du financement de la 8édition de Bad RagARTz en 2021






Remarque : les charges et les recettes atteignent un total de 2,207 millions de francs (état : février 2020).

Source : Bad RagARTz / La Vie économique

Importantes dépenses des visiteurs


La manifestation est-elle donc rentable pour la région ? La Haute école spécialisée des Grisons a estimé la valeur générée par la manifestation à l’aide d’un « modèle multiplicateur économique régional ». Une distinction a été faite entre création de valeur directe, indirecte et induite. La création de valeur directe désigne la part que les organisateurs et les entreprises réalisent directement au travers de la consommation des visiteurs. La création de valeur indirecte résulte de l’obtention des intrants nécessaires : les objets d’art sont par exemple transportés et installés à Bad Ragaz et les restaurants se procurent des marchandises dans la région. Enfin, la création de valeur induite est la partie qui résulte des revenus supplémentaires des personnes employées, par exemple lorsque celles-ci achètent des produits de première nécessité.

Sur la base d’un multiplicateur économique typique des cantons de montagne, l’analyse montre que la dernière édition de la triennale en 2018 a généré une valeur ajoutée additionnelle de 8,2 millions de francs à Bad Ragaz et dans la région du Sarganserland. En outre, seule la part de création de valeur générée par les liquidités affluant dans la région a été prise en compte. L’argent disponible même sans Bad RagARTz et également générateur de valeur dans la région n’a pas été pris en compte dans les calculs. La plus importante part de la création de valeur additionnelle (environ 7 millions de francs) peut être attribuée aux dépenses des visiteurs, dont 4,1 millions de francs de création directe. Environ 5000 nuitées supplémentaires ont par exemple été enregistrées à Bad Ragaz.

Des extrapolations montrent en outre que les 400 000 à 500 000 visiteurs dépensent de l’argent en boissons et en nourriture ainsi que dans les commerces locaux au cours de leur excursion. L’hôtellerie, la gastronomie et les magasins locaux profitent donc grandement de la manifestation. Mais plusieurs secteurs économiques situés en amont et en aval profitent également de la création indirecte et induite de valeur.

La création de valeur n’est pas tout


Dans la littérature spécialisée, de tels projets phares suscitent le débat non seulement sur la création de valeur générée, mais également sur d’autres effets économiques régionaux importants. En ce qui concerne Bad RagARTz, ces effets sont notamment touristiques, socioculturels, politiques et éducatifs. Ils sont difficiles à mesurer du point de vue méthodologique et des efforts considérables sont nécessaires pour y parvenir.

Avant et pendant la manifestation, la provenance internationale des artistes fait parler de l’exposition dans le monde entier. En 2018, plus de 1000 articles ont été consacrés à la manifestation dans la presse et sur les chaînes de radio et de télévision internationales. La télévision suisse et la chaîne culturelle franco-allemande Arte ont notamment couvert la manifestation. Outre la presse régionale et nationale, comme le « Sarganserländer » et la « NZZ », des articles ont également été publiés dans le « Spiegel Online » et le magazine de voyage du « New York Times ». Bien que la majeure partie de la couverture soit régionale et nationale, l’événement bénéficie également d’une audience internationale, ce qui assure une publicité bienvenue à la région touristique de Bad Ragaz. Dans l’ensemble, on peut donc postuler que la destination touristique « Bad Ragaz » gagne en notoriété grâce à Bad RagARTz et n’en devient que plus attrayante.

Ce rayonnement médiatique laisse également penser que l’image politique et socioculturelle de Bad Ragaz en profite. La population locale y trouve elle aussi son compte : pendant les six mois de Bad RagARTz, elle dispose en effet d’une offre accrue de loisirs et de découvertes, ce qui rend la cité plus attrayante comme lieu de domicile et de loisir.

On peut également supposer que la manifestation a des effets formateurs sur la population régionale : d’une part, elle est conçue de façon à ce que les œuvres d’art suscitent la réflexion et la discussion sur les rapports sociaux ; d’autre part, de nombreuses visites guidées et ateliers (pour enfants) informent le public sur les œuvres et leur message et permettent à chacun de créer sa propre œuvre d’art.

Un projet phare à succès


L’exemple de Bad RagARTz montre que des projets emblématiques peuvent déclencher d’importants effets économiques régionaux en matière de tourisme, de création de valeur et d’offres. Cela ne va toutefois pas de soi : certains projets immobilisent des ressources existantes (comme des subventions publiques) plutôt que d’en créer. Ce n’est pas le cas de Bad RagARTz : le savoir-faire disponible et le contexte approprié ont permis de lancer un projet susceptible d’obtenir un succès durable grâce à une professionnalisation précoce et à un large soutien.

Dans les manifestations culturelles, le financement constitue toujours une gageure. Bad RagARTz renonce à faire payer l’entrée aux visiteurs et dépend donc du soutien de fondations et de donateurs, ce qui met en évidence un dilemme sociétal : l’art et la culture ne peuvent souvent pas s’autofinancer et ont besoin de contributions de soutien – du moins partiellement. L’analyse montre cependant que celles-ci s’amortissent à leur tour partiellement grâce à d’importantes retombées économiques et sociales.

Proposition de citation: Franz Kronthaler (2020). Bad RagARTz, une manifestation culturelle qui stimule l’économie locale. La Vie économique, 24 juillet.