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L’endettement des entreprises se trouve à un niveau inquiétant

Contrairement à la plupart des pays industrialisés, la Suisse a enregistré une forte augmentation de l’endettement des entreprises ces dernières années. Le danger est limité tant que les taux d’intérêt demeurent bas. Mais personne n’avait prévu le coronavirus.
Faire la fête, mais sous des conditions strictes : jeu de lumières au MAD à Lausanne, début juin. (Image: Keystone)

L’endettement public a fortement augmenté à l’échelle mondiale depuis l’éclatement de la crise financière de 2007–2008. La Suisse se trouve dans une situation relativement confortable grâce sa politique financière raisonnable et à son statut traditionnel d’« îlot de taux d’intérêt ». Cette remarque ne vaut toutefois que pour l’endettement public : le pays fait nettement moins bonne figure dans le secteur privé.

Le système fiscal helvétique, en particulier la règle de la valeur locative, a créé depuis des dizaines d’années une incitation à un endettement hypothécaire et, par conséquent, à un endettement des ménages relativement élevé. La nouveauté réside dans la forte augmentation des dettes contractées par les entreprises, abstraction faite du secteur financier, pas pris en compte en raison de son rôle d’intermédiaire. En Suisse, la dette du secteur privé totalise plus de 250 % du produit intérieur brut. Il s’agit d’un taux très élevé en comparaison internationale : seule la Suède enregistre une valeur plus importante (voir illustration 1).

Ill. 1. Endettements public et privé en pourcentage du PIB (fin 2019)




Source : Pictet Asset Management, Datastream / La Vie économique

La dette des entreprises privées est stable


Dans les 21 principales économies développées, la dette des entreprises atteint aujourd’hui en moyenne 91 % du produit intérieur brut (PIB). Proportionnellement, l’endettement des entreprises se situe donc à un niveau similaire à celui d’il y a dix ans. Contrairement à ce qui prévalait durant les deux décennies précédant la crise financière de 2007–2008, la plupart des entreprises étatsuniennes et européennes ont depuis lors fait preuve de retenue dans la prise de crédits, notamment parce qu’elles estimaient insuffisantes les perspectives de croissance sur leur marché domestique. La crise de l’euro a affecté négativement la demande et l’offre de crédits aux entreprises, particulièrement sur le Vieux Continent. De nombreuses banques de la zone euro se sont montrées soucieuses d’améliorer la qualité de leurs bilans depuis la crise financière et ont par conséquent mené une politique de crédit restrictive.

Contrairement aux entreprises occidentales, les sociétés chinoises ont vu leurs dettes augmenter massivement au cours de la dernière décennie pour atteindre désormais 144 % du PIB. Cette évolution n’est pas une bonne nouvelle dans la mesure où la Chine joue un rôle de plus en plus important dans l’évolution conjoncturelle des pays émergents et du reste du monde.

La Suisse se démarque


Contrairement à la tendance observée dans les autres pays industrialisés, la dette des entreprises et des ménages a également augmenté en Suisse depuis la crise financière (voir illustration 2). Cette évolution est étroitement liée à une forte progression des emprunts. L’écart de crédit (qui indique dans quelle mesure le rapport actuel de l’octroi de crédit au produit intérieur brut s’éloigne de la tendance à long terme) en est un indicateur : en Suisse, cet écart a nettement augmenté ces dernières années dans le secteur privé, notamment au niveau des entreprises, ce qui reflète une accélération de la prise de crédits par les sociétés helvétiques.

Ill. 2. Évolution de l’endettement des secteurs public et privé en Suisse (2000–2019)




Source : Pictet Asset Management, Datastream, état à fin 2019 / La Vie économique

Cette évolution, de prime abord étonnante, s’explique dans une large mesure par l’évolution des taux d’intérêt en Suisse. En effet, l’endettement des entreprises a gagné en dynamisme après l’introduction des taux négatifs par la Banque nationale suisse en 2015. Des projets d’investissement jugés auparavant trop peu rentables sont devenus plus intéressants en raison des coûts de financement moins élevés. Il est en outre devenu plus attractif pour les entreprises cotées en bourse de racheter une part de leurs actions négociées en bourse en levant des fonds sur le marché des capitaux.

Le coronavirus accroît les risques


L’augmentation du financement externe des entreprises est supportable tant que la croissance qui en résulte dépasse durablement le coût de financement des dettes existantes. Cela semble avoir été le cas ces dernières années en raison de l’orientation constamment baissière des taux d’’intérêt. Mais la crise économique actuelle liée à la Covid-19 montre que les perspectives de croissance peuvent se détériorer rapidement. En outre, une normalisation des taux d’inflation à un très bas niveau ces prochaines années pourrait mettre un terme à la structure baissière des taux d’intérêt en Suisse.

Il est donc recommandable de ne pas négliger les risques à long terme inhérents à l’endettement croissant des entreprises, tant pour ces dernières que pour les investisseurs. En ce qui concerne la Suisse, il faut être conscient qu’un endettement public croissant et qu’une forte augmentation des dettes des entreprises constituent un risque pour les perspectives de prospérité à long terme.

Proposition de citation: Anastassios Frangulidis (2020). L’endettement des entreprises se trouve à un niveau inquiétant. La Vie économique, 18 septembre.