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L’automatisation oblige-t-elle à changer de métier ?

Plus la part des activités automatisables augmente, plus le nombre de personnes exerçant encore le même métier dix ans après la fin de leur apprentissage diminue. C’est ce que montre une nouvelle étude sur la mobilité professionnelle des jeunes adultes.
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Plus de quatre polymécaniciens sur cinq changent de profession après avoir terminé leur apprentissage. (Image: Keystone)

La forte perméabilité et les diverses possibilités de formation continue au sein du système dual de formation professionnelle suisse permettent une multitude de trajectoires. Les aptitudes et intérêts personnels peuvent se développer au sein de ce système et se combiner de telle sorte que l’économie dispose d’une main-d’œuvre qualifiée abondante pour ses différents besoins.

Les développements actuels de la technologie, de l’économie et de la société indiquent que le niveau de formation requis est toujours plus élevé. Cette tendance se reflète également dans la pénurie de spécialistes, les travailleurs hautement qualifiés étant toujours plus demandés dans certains secteurs[1]. Pour répondre au besoin croissant de travailleurs bien formés, le système de formation éprouvé de la Suisse doit encore assouplir ses structures. Les offres de formation et de perfectionnement doivent par exemple être accessibles en cours d’emploi. Ce n’est qu’ainsi que les travailleurs resteront employables toute leur vie.

Une académisation croissante


L’élévation constante des niveaux de qualification place également la formation professionnelle duale face à de nouvelles questions et gageures. Y aura-t-il encore des carrières où la simple formation professionnelle initiale suffira, ou exigera-t-on de plus en plus des travailleurs un diplôme tertiaire de niveau académique ? Cette évolution n’affecte pas toutes les professions dans la même mesure. Aussi s’agit-il dans un premier temps de comprendre dans quels domaines la formation professionnelle initiale pourra toujours donner lieu à une carrière stable, et dans lesquels cela est moins vraisemblable.

Pour que les individus restent employables toute leur vie et puissent s’adapter aux mutations structurelles, une analyse raisonnée de la situation de départ dans les différents métiers s’avère tout d’abord nécessaire. Elle aidera ensuite à concevoir les formations initiales et continues qui permettent de créer des conditions de travail favorables à une carrière et de soutenir les travailleurs dans des carrières heureuses.

Sur mandat du Secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation (Sefri), l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) et l’université de Berne ont étudié la mobilité professionnelle de personnes ayant fait un apprentissage et analysé leurs trajectoires professionnelles[2]. Les chercheurs ont également pris en compte les chiffres clés indiquant le potentiel d’automatisation des métiers, afin de pouvoir appréhender l’évolution technologique dans les différents secteurs économiques et d’en saisir l’effet sur les carrières individuelles.

Une étude sur la mobilité professionnelle


L’étude Tree (Transition de l’école à l’emploi)[3] a constitué un échantillon représentatif idéal pour cette analyse de la situation suisse. Elle recense les parcours de formation et professionnels des personnes après leur scolarité obligatoire. L’analyse présentée dans cet article comprend quelque 1000 individus ayant réussi un apprentissage professionnel en 2000 après leur scolarité obligatoire et qui ont encore participé à une enquête en 2014, plus tard dans leur vie professionnelle (voir encadré). Le calcul de la mobilité professionnelle montre s’ils ont changé de profession dans les dix ans au plus après la fin de leur apprentissage ou s’ils sont restés leur filière initiale.

Pour évaluer le potentiel d’automatisation et de substituabilité des métiers, l’analyse s’est fondée sur l’approche par les activités. Cette dernière consiste à identifier le potentiel de substituabilité sur la base de la proportion d’exigences fondamentales d’un métier susceptibles d’être aujourd’hui effectuées par une machine ou un ordinateur[4]. Ce potentiel est jugé élevé quand au moins 70 % des activités pourraient être automatisées aujourd’hui déjà ; à l’inverse, un métier est estimé peu substituable si 30 % au plus des activités sont remplaçables.

Les assistantes médicales ne changent guère de métier


L’analyse de la mobilité révèle des différences parfois significatives des taux de changement, c’est-à-dire de la proportion de personnes ayant changé de métier après leur formation professionnelle initiale. Alors que seuls 17 % des polymécaniciens exerçaient encore leur métier d’origine dix ans après la fin de leur apprentissage, cette proportion était de 62 % pour les assistantes médicales (voir tableau). La fourchette des formations continues achevées au degré tertiaire constitue un autre phénomène intéressant : la part est de 90 % parmi les polymécaniciens, contre 20 % pour les assistants du commerce de détail et les professionnels de la santé. Il y a donc des différences relativement importantes entre les métiers quant à la fréquence des formations continues, ce qui pourrait renvoyer aux exigences différentes du marché de l’emploi. Cette hypothèse demande cependant à être vérifiée puisque d’autres facteurs, comme les effets de genre, peuvent jouer un rôle.

Outre ces définitions purement descriptives, les métiers ont été comparés sur la base de conditions de travail susceptibles d’avoir une influence sur la mobilité professionnelle constatée. Les avis des personnes interrogées au terme de leur apprentissage font en effet apparaître des différences dans plusieurs secteurs. Ainsi, les futurs cuisiniers et cuisinières estiment leur charge professionnelle comme étant significativement plus importante que les apprentis du domaine commercial ou les assistants du commerce de détail.

Les possibilités de promotion et de formation continue en entreprise paraissent meilleures pour les informaticiennes et informaticiens que pour les assistantes médicales et les employés du commerce de détail. Cependant, si l’on considère la satisfaction générale concernant le métier appris, une seule différence statistiquement pertinente apparaît : les apprentis du domaine commercial sont plus insatisfaits à la fin de leur formation que les informaticiens et informaticiennes. En considérant les mêmes caractéristiques après une dizaine d’années de vie active, on ne constate toutefois presque plus de différences entre les professions. Les mécanismes qui se cachent derrière cette harmonisation, de même que la question de savoir si les conditions de travail affectent la mobilité professionnelle ultérieure, doivent encore être étudiés. Une telle enquête est pertinente dans le contexte d’un développement technologique croissant et de ses effets sur chaque profession, car elle peut montrer comment réduire une mobilité indésirable dès la formation par un aménagement conscient des conditions de travail.

Un fort potentiel d’automatisation dans la polymécanique


Les recherches ont également porté sur la question de la stabilité des carrières dans les différents métiers. Le potentiel d’automatisation s’avère être un facteur décisif de mobilité professionnelle : il indique à quel point une profession est menacée par l’automatisation ou dans quelle mesure certaines activités peuvent être remplacées par la technologie. Les résultats montrent là aussi de grandes différences d’un métier à l’autre. Celui de polymécanicien affiche par exemple un potentiel de substituabilité très élevé, alors que ce potentiel est nettement inférieur pour les métiers médicaux. Les analyses montrent que les métiers à fort potentiel de substituabilité enregistrent également une mobilité professionnelle élevée. Les individus abandonnent plus fréquemment le métier qu’ils ont appris dans les professions où plusieurs activités peuvent être remplacées par des développements technologiques que dans celles à faible potentiel de substituabilité.

Il n’y a cependant pas de relation impérative entre la faisabilité technologique et le remplacement effectif d’activités ou de métiers. Il s’agit d’ailleurs d’abord d’élucider des questions éthiques et de créer des conditions-cadres juridiques, par exemple en examinant quelles décisions nous considérons comme bonnes ou mauvaises en tant que société et en définissant qui assume la responsabilité de dommages et de fautes[5]. Le potentiel de substituabilité n’est donc qu’un des nombreux moteurs possibles de la mobilité professionnelle.

Une forte mobilité est-elle problématique ou au contraire souhaitable dans certains cas ? Elle est problématique quand le marché du travail ne dispose plus de suffisamment de personnes formées ; à l’inverse, une forte mobilité est souhaitable quand les travailleurs se perfectionnent au sein de leur profession et renforcent ainsi tout le secteur du métier appris. Les résultats de l’analyse présentés ici n’autorisent pas de conclusion quant à savoir si la mobilité dans un métier donné est perçue comme trop forte ou trop faible.

D’autres étapes du projet en cours ont permis d’étudier les raisons de la mobilité observée et, inversement, les facteurs induisant une fidélité durable au métier appris. Des recommandations spécifiques pour les métiers qui enregistrent des taux de mobilité indésirable élevés ont été tirées des constats effectués et résumées dans un guide pragmatique[6]. Il s’agit ainsi de motiver les travailleurs à rester dans leur profession initiale pour se rapprocher de l’objectif de l’employabilité à vie et contrer la pénurie toujours menaçante de spécialistes.

Analyse de la mobilité dans une sélection de métiers (10 ans après la fin de l’apprentissage)















Apprentissage sanctionné d’un CFC Proportion de femmes Actif dans la même profession Actif dans une autre profession Formation continue de degré tertiaire Potentiel de substituabilité
Concepteur/-trice en médias interactifs, médiamaticien(ne) 26 % 0 % 87 % 43 % 70 %
Polymécanicien(ne) 0 % 17 % 77 % 90 % 100 %
Menuisier/-ère 12 % 30 % 61 % 33 % 58 %
Assistant(e) du commerce de détail 67 % 30 % 57 % 19 % 63 %
Employé(e) de commerce 65 % 36 % 55 % 46 % 57 %
Installateur-électricien / installatrice-électricienne 4 % 45 % 53 % 41 % 63 %
Informaticien(ne) 15 % 38 % 52 % 58 % 43 %
Jardinier/-ière 47 % 43 % 50 % 23 % 50 %
Cuisinier/-ière, cuisinier/-ière en diététique 40 % 31 % 49 % 26 % 43 %
Assistant(e) en soins et santé communautaire 90 % 40 % 40 % 20 % 22 %
Assistant(e) médical(e) 100 % 62 % 31 % 23 % 20 %


Source : Medici et al. (2020), Tree

  1. Amosa (2015). []
  2. Medici, Tschopp, Grote et Hirschi (2020). []
  3. Tree (2016). []
  4. Dengler et Matthes (2015 et 2018). []
  5. Schaudel (2012). []
  6. Medici, Roth, Grote, Hirschi et Igic (2019). []

Bibliographie

Bibliographie

Proposition de citation: Medici, Guri; Tschopp, Cécile; Grote, Gudela; Igic, Ivana; Hirschi, Andreas (2020). L’automatisation oblige-t-elle à changer de métier ? La Vie économique, 18. septembre.

L’étude en détail

Toutes les personnes composant l’échantillon ont conclu leur formation par un certificat fédéral de capacité (CFC). Les métiers appris ont été corrélés systématiquement avec les métiers exercés déclarés à l’aide de la Nomenclature suisse des professions (NSP) 2000 de l’Office fédéral de la statistique[1], ce qui a permis d’identifier les différentes fréquences de changement de métier. Selon leur appartenance, la NSP regroupe les professions dans différents secteurs économiques et les structure en cinq niveaux hiérarchiques. Le niveau choisi pour les analyses était le plus bas qui permette de comparer les métiers entre eux, par exemple peintre et monteur-électricien. Les modifications des désignations des métiers ou l’apparition de nouveaux métiers (par exemple assistant en soins et santé communautaire) ont été prises en compte dans le regroupement des métiers et de l’analyse consécutive de la mobilité. La mobilité professionnelle calculée montre si le métier exercé a changé dix ans au plus après la fin de l’apprentissage ou si les individus sont restés fidèles au métier appris.