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Où les frontaliers sont-ils assurés ?

Les règles sont a priori claires lorsqu’il s’agit de déterminer à quel pays incombe la couverture sociale des frontaliers. Mais qu’en est-il en cas de télétravail ?

Où les frontaliers sont-ils assurés ?

Während der Pandemie arbeiten viele Grenzgänger im Homeoffice – manche möchten dies auch nach der Krise tun. (Image: Keystone)

Les pays d’Europe de l’Ouest possèdent un réseau très dense d’assurances sociales, offrant aux citoyens une vaste protection en cas de chômage et d’accident ainsi qu’une prévoyance vieillesse permettant de vivre dans la dignité. L’accord sur la libre circulation des personnes (ALCP) coordonne les différents systèmes d’assurances entre la Suisse et les États membres de l’Union européenne (UE)[1]. Un accord spécifique existe également pour les pays de l’Association européenne de libre-échange (AELE)[2]. L’ALCP règle toutes les situations dans lesquelles une personne est en lien avec plus d’un État, ce qui est notamment le cas des frontaliers.

Selon cet accord, un individu ne peut être soumis qu’au droit d’un seul pays à un moment donné, toutes assurances confondues. Il ne paie donc ses cotisations qu’à un seul pays et dispose en la matière des mêmes droits et devoirs que les citoyens de ce pays. Lorsqu’il s’agit de faire valoir un droit à des prestations, les cotisations payées à un autre moment dans un autre pays sont également prises en considération. Les prestations en espèces accordées par un pays sont donc généralement aussi versées aux personnes domiciliées à l’étranger. S’agissant des frontaliers, il existe en outre des règles spécifiques pour les traitements médicaux ou le droit aux prestations en cas de chômage complet.

La Suisse, un pays attrayant


Les assurances sociales varient d’un pays à l’autre, car elles sont adaptées aux possibilités et aux besoins qui prévalent à l’échelle nationale. Les cotisations et les prestations diffèrent donc elles aussi. Or, la part des prélèvements fiscaux et sociaux par rapport au coût global du travail est relativement basse en Suisse, pour des prestations de qualité : alors qu’une personne seule paie en moyenne 22 % d’impôts et de cotisations sociales en Suisse, ce taux est de 49 % en Allemagne (voir illustration). Pour de nombreux frontaliers et entreprises, il est donc particulièrement intéressant d’être soumis au droit suisse.

Part des prélèvements sociaux et fiscaux par rapport au coût global du travail (2019)




Remarque : revenu moyen pour chaque situation familiale.

Source : OCDE (2020), Les impôts sur les salaires 2020 / La Vie économique

L’ALCP assure une réglementation uniforme de l’assujettissement aux assurances sociales : il précise où les frontaliers ont leurs assurances sociales, où ils cotisent et qui leur verse les prestations. Il s’agit d’éviter que plusieurs droits nationaux s’appliquent simultanément, avec les complications et les défauts de couverture que cela impliquerait.

Sur le principe, les frontaliers sont assurés dans le pays où ils travaillent. Ce rattachement au lieu de travail s’avère pertinent dans la mesure où la plupart des systèmes nationaux d’assurances sociales se rapportent eux aussi à l’activité lucrative. Cela permet de garantir l’égalité de traitement de toutes les personnes exerçant une activité lucrative dans le pays concerné, indépendamment de leur lieu de domicile ou du siège de leur employeur. S’agissant de l’assurance-maladie, les frontaliers allemands, français, italiens et autrichiens peuvent choisir de s’assurer dans le pays où ils travaillent ou dans celui où ils habitent ; ceux qui pendulent entre la Suisse et le Liechtenstein doivent s’assurer dans le pays où ils habitent.

Et en cas de télétravail ?


Le télétravail a gagné en importance en raison de la pandémie de Covid-19. Or, l’ALCP prévoit qu’un frontalier qui travaille à domicile plus de 25 % de son taux d’activité doit être assuré dans le pays où il habite. Autrement dit, l’employeur est dans ce cas soumis à la réglementation en vigueur dans le pays de domicile de son employé en matière de cotisations.

Cette règle des 25 % a toutefois été suspendue temporairement par la Suisse pour les frontaliers qui doivent travailler à domicile en raison du coronavirus. Considérant qu’il s’agit là d’un « cas de force majeure », la Suisse a décidé de faire preuve de flexibilité dans l’application afin d’éviter un transfert temporaire de la compétence en matière d’assurances sociales au pays de domicile. Les frontaliers restent donc assurés en Suisse même s’ils ne peuvent y exercer leurs activités « physiquement ». Cette application flexible de la réglementation a fait l’objet d’un accord valable jusqu’au 30 juin 2021 avec l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Autriche et le Liechtenstein. Elle correspond aux recommandations de l’UE et s’applique a priori à tous les autres pays de l’UE et de l’AELE.

Bon nombre d’entreprises et de frontaliers ont annoncé vouloir maintenir le télétravail, sans que la compétence en matière d’assurances sociales soit modifiée. Pour ce faire, il faudrait toutefois adapter les règles prévalant dans toute l’Europe. Car sans changement de paradigme, les personnes qui travaillent pour un employeur sis en Suisse, mais exclusivement depuis un territoire étranger sans traverser la frontière, ne pourront plus être considérées comme des frontaliers et devront contracter leurs assurances sociales dans le pays où elles exercent physiquement leur activité.

Le pays de domicile, centre de vie des frontaliers


Généralement assurés dans le pays où ils travaillent, les frontaliers doivent également être protégés dans celui où ils vivent. En effet, c’est souvent là qu’ils passent leur temps libre et qu’ils se trouvent aussi en cas de maladie, d’accident, de chômage, d’invalidité ou une fois retraités.

Les rentes de vieillesse et d’invalidité perçues par les frontaliers sont versées par l’État où ils exerçaient leur activité. S’ils ont également cotisé dans leur pays de domicile au cours de leur carrière, ils reçoivent la rente partielle correspondante. Il en va de même pour les rentes de survivant. Quant aux indemnités journalières en cas de maladie, d’accident ou de maternité, elles sont généralement aussi versées par le pays d’emploi.

Comme leur quotidien se partage entre deux États différents, les frontaliers doivent pouvoir bénéficier de soins médicaux des deux côtés de la frontière. S’ils optent pour une assurance-maladie suisse, les frais des traitements effectués dans leur pays de domicile leur sont entièrement remboursés. Ils ont donc accès aux systèmes de santé des deux pays concernés, y compris lorsqu’ils sont retraités ou victimes d’un accident.

Enfin, pour ce qui concerne les allocations pour enfant et les autres prestations familiales, elles sont en principe également versées par le pays où les frontaliers exercent leur activité, quel que soit le pays où vivent leurs enfants. À noter toutefois que si l’un des parents travaille dans le pays de domicile, des règles dites « de priorité » s’appliquent.

Le casse-tête du chômage


En cas d’interruption temporaire ou partielle de l’activité professionnelle, la responsabilité incombe au pays d’emploi. De nombreux frontaliers ont ainsi actuellement droit au chômage partiel ou à une allocation pour perte de gain parce qu’ils doivent garder leurs enfants ou se trouvent en quarantaine.

En cas de chômage complet, les frontaliers sont pris en charge par le système d’assurances sociales de leur pays de domicile, selon les dispositions légales de cet État. Le pays de domicile les appuie dans la recherche d’un emploi et leur verse une allocation de chômage calculée sur la base du revenu qu’ils percevaient dans le pays où ils étaient employés. Celui-ci rembourse à l’État de domicile les prestations que ce dernier a fournies durant les trois ou cinq premiers mois, conformément à la durée d’assurance dans le pays d’emploi.

Des efforts sont déployés depuis plusieurs années au sein de l’UE pour modifier les compétences en cas de chômage complet. Si le système change, c’est le pays où l’activité professionnelle était exercée qui versera l’allocation de chômage et non plus le pays de domicile. Les pays qui souhaitent cette réforme, comme la France ou le Portugal, sont en effet d’avis que c’est au pays qui perçoit les cotisations, donc à celui qui emploie les frontaliers, de verser les prestations. Les pays qui s’opposent à la réforme, notamment l’Allemagne et le Luxembourg, estiment en revanche que le versement des allocations de chômage doit rester du ressort du pays de domicile, auquel incombe aussi la réinsertion professionnelle de la personne concernée. Aucun accord n’a été trouvé pour le moment.

En conclusion, on peut dire qu’en dépit de réglementations détaillées, il reste difficile de trouver une solution optimale dans tous les cas de figure. Pour la Suisse, qui emploie de loin le plus de frontaliers en Europe, il est particulièrement important de coopérer avec l’UE dans le domaine des assurances sociales et indispensable de promouvoir une collaboration transfrontalière étroite.

  1. Accord sur la libre circulation des personnes, annexe II, Règlement (CE) n° 883/2004. []
  2. Convention instituant l’Association européenne de libre-échange, annexe K – Appendice 2[]

Proposition de citation: Stephan Cueni (2021). Où les frontaliers sont-ils assurés . La Vie économique, 02 mars.