Rechercher

Perspectives énergétiques 2050 : en route vers une Suisse à « zéro émission nette »

L’objectif de la Suisse de ne plus émettre de gaz à effet de serre d’ici 2050 est réalisable. Il s’agira d’accélérer le développement du photovoltaïque et l’électrification des transports.
La progression des véhicules électriques doit « passer la deuxième ». Des mécaniciens déplacent des voitures de Formule E lors du Grand Prix qui s’est tenu à Berne en 2019. (Image: Keystone)

Comment la demande énergétique de la Suisse évoluera-t-elle jusqu’en 2050 ? Et comment répondre à cette demande, sachant que le pays vise d’ici là des émissions nulles de gaz à effet de serre ? L’étude « Perspectives énergétiques 2050+ » répond à ces questions. Les études prospectives ne sont pas pour autant des « prophéties » qui prétendent annoncer l’avenir à coup sûr. Elles présentent de possibles développements technologiques qui permettraient de toucher au but d’ici 2050. C’est pourquoi ces projections reposent sur différents scénarios.

Les décideurs politiques ont besoin de chiffres pour prendre des mesures et fixer des objectifs. L’Office fédéral de l’énergie (Ofen) a donc commandé les « Perspectives énergétiques 2050+ » en 2018. Les sociétés de conseil TEP Energy et Infras ont modélisé le système énergétique, sous la direction de Prognos. Sur la base de ces résultats, le bureau de recherche Ecoplan esquissera de son côté l’impact économique d’ici fin 2021.

Le cadre politique actuel a défini l’objectif de la Confédération pris en compte dans les calculs : des émissions nettes nulles d’ici 2050. Autrement dit, les émissions de gaz à effet de serre (GES) doivent être réduites à zéro dans tous les secteurs d’ici là. Les GES difficiles à éviter, comme les émissions agricoles ou celles des processus industriels, seront compensées en priorité au niveau national par des puits de carbone naturels ou techniques.

Comparaison des scénarios


Différents scénarios ont été calculés pour estimer l’évolution technique du système énergétique et les émissions de GES au fil du temps. Un scénario comparatif « Poursuite de la politique énergétique actuelle » (PEA) définit la manière dont le système énergétique évoluera si les instruments de politique énergétique sont mis en œuvre dans leur état de janvier 2018. Il conclut que les émissions de GES continueront certes de baisser conformément à la tendance observée et seront inférieures de 41 % au niveau de 1990 d’ici 2050, mais qu’elles resteront loin de l’objectif « zéro net », totalisant 31,7 mégatonnes (Mt) d’équivalents CO2. À titre de comparaison, ces émissions atteignaient 46,4 Mt en 2018[1].

Mais comment donc atteindre l’objectif de « zéro émission nette » ? Quatre scénarios ont été calculés, fixant des priorités différentes en matière d’approvisionnement énergétique : une « Variante de base Zéro » et trois scénarios dérivés A, B et C, chacun avec une cible plus spécifique (voir encadré). Le système électrique a été calculé en fonction de conditions-cadres différentes pour chaque scénario concernant par exemple la durée de vie des centrales nucléaires ou le développement de la production d’électricité renouvelable.

Les projections du moment de l’administration fédérale ont permis de déterminer l’évolution démographique et économique d’ici 2050[2]. Elles indiquent que la population dépassera alors les 10 millions d’habitants[3] et que le produit intérieur brut (PIB) aura augmenté d’environ 38 % par rapport à 2019[4].

Des objectifs techniquement réalisables


Les scénarios précisent les mesures techniques, voire infrastructurelles nécessaires pour déduire les changements indispensables comme une extension plus rapide des réseaux de chauffage urbain ou un assainissement énergétique plus efficace des bâtiments. Cela étant, les « Perspectives énergétiques 2050+ » ne précisent pas les instruments politiques indispensables à la réalisation de ces changements. Ce point, qui doit être négocié et défini dans le cadre politique, ne faisait pas partie du mandat.

Les analyses aboutissent à la conclusion que les objectifs de tous les scénarios « Zéro » peuvent être atteints grâce à des mesures basées sur des technologies connues et déjà largement répandues aujourd’hui, moyennant des coûts économiques directs modérés. Et cela même en partant d’hypothèses prudentes concernant le développement des technologies nécessaires.

La « variante de base Zéro »


Cet article présente la « variante de base Zéro » pour montrer à quoi pourrait ressembler une Suisse à « zéro émission nette » en 2050 (voir illustration). Ce scénario met l’accent sur l’efficacité énergétique. Sur le plan technologique, il correspond à une stratégie mixte d’électrification, d’utilisation d’agents énergétiques basés sur l’électricité (comme le diesel synthétique) et d’une forte extension des réseaux de chauffage. Une durée de vie de 50 ans est retenue pour les centrales nucléaires, avec une sortie complète de l’atome d’ici 2034. En outre, la variante présentée ici prévoit que les importations et les exportations d’électricité s’équilibrent sur un an d’ici 2050.

Émissions de gaz à effet de serre par secteurs (1990–2050), scénario « Zéro base »



Source : Prognos, Infras, TEP Energy, Perspectives énergétiques 2050+ rapport succinct (2020) / La Vie économique

Pour atteindre ces objectifs, le système énergétique doit être adapté en conséquence. Les potentiels d’efficacité technique, organisationnelle et de processus doivent être exploités au maximum au niveau de la demande d’énergie, par exemple grâce à une isolation thermique très efficace des bâtiments et à l’utilisation de la chaleur résiduelle de l’industrie. La consommation finale d’énergie devrait ainsi diminuer globalement de 31 % entre 2019 et 2050.

La demande de chauffage de locaux est principalement couverte par des pompes à chaleur et des systèmes de chauffage de proximité et à distance. Ces derniers utilisent essentiellement des sources renouvelables ainsi que la chaleur résiduelle d’installations industrielles ou des sources de chaleur ambiante au moyen de grandes pompes à chaleur. Pour assurer l’augmentation nécessaire de l’offre de chauffage local et à distance (d’un facteur 2,5), un développement rapide et cohérent des réseaux est nécessaire.

Les transports devraient eux aussi être systématiquement électrifiés. La proportion de voitures de tourisme et de véhicules utilitaires légers propulsés par batterie électrique doit augmenter très fortement dans les années à venir pour atteindre 60 % de tous les véhicules neufs d’ici 2030 et 100 % d’ici 2040. À long terme, les biocarburants et l’hydrogène joueront également un rôle dans le trafic lourd, à côté des véhicules propulsés par batterie électrique. Des importations de combustibles à base d’électricité (comme le diesel synthétique) seront toutefois également nécessaires pour atteindre l’objectif fixé.

Dans le secteur industriel, une grande partie de la chaleur nécessaire est fournie par la biomasse solide, le biogaz et les déchets industriels. Les émissions de procédé inévitables et celles des grands émetteurs sont réduites grâce à des technologies comme le captage et le stockage du carbone (CCS, « carbon capture and storage »). Des procédés chimiques permettent de capter environ 95 % du CO2 des gaz de combustion et de le stocker ou de l’utiliser comme matière première. Dans les grandes installations avec combustion (partielle) de biomasse comme les usines d’incinération de déchets, les technologies CCS peuvent être utilisées pour « produire » les émissions négatives nécessaires au bilan.

Un besoin croissant d’électricité jusqu’en 2050


L’électrification de la chaleur et des transports ainsi que la consommation supplémentaire due au CCS et à l’électrolyse de l’eau entraîneront, malgré la baisse due aux technologies d’efficience, une augmentation globale de la demande d’électricité d’environ 25 % d’ici 2050.

Cet accroissement de la demande sera principalement couvert par l’énergie hydraulique et par le photovoltaïque : celui-ci devrait produire 34 térawattheures (TWh) d’électricité domestique en 2050. La progression devra toutefois être environ quatre fois plus importante que le rythme actuel pour pouvoir y parvenir. L’énergie éolienne et la géothermie joueront également un rôle plus modeste, mais important.

Le système électrique se caractérisera d’ici 2050 par une forte flexibilité de la demande des nouveaux consommateurs (pompes à chaleur, véhicules électriques, production d’hydrogène). D’un autre côté, les centrales à accumulation et de pompage-turbinage ainsi que le stockage de l’énergie excédentaire des installations photovoltaïques dans des batteries assureront un approvisionnement énergétique flexible. À cet égard, l’intégration au marché européen de l’électricité jouera un rôle important tant du côté des importations que des exportations.

Des coûts supplémentaires modestes


En 2050, les transports nécessiteront 56 pétajoules d’énergies à base d’électricité, soit environ 17 % de la consommation actuelle de produits pétroliers. Parmi ces agents énergétiques, seul l’hydrogène est produit sur le territoire national et utilisé principalement dans le trafic lourd. En revanche, les combustibles carbonés liquides à base d’électricité comme le diesel synthétique sont entièrement importés. Dans l’ensemble, cependant, la part des importations d’agents énergétiques diminuera sensiblement, passant de quelque 75 % en 2019 à 25 % en 2050.

Un peu moins de 12 millions de tonnes d’émissions de GES provenant des cimenteries, de l’industrie chimique, des usines d’incinération des déchets et de l’agriculture resteront difficiles à éviter en 2050. Elles doivent être réduites ou compensées par des procédés CCS ou des technologies d’émission négative (NET, « negative emission technologies »). Environ 60 % pourront être captés ou stockés dans le pays, le reste étant compensé à l’étranger. Les investissements économiques directs supplémentaires cumulés du scénario « Zéro base » s’élèveront jusqu’en 2050 à 109 milliards de francs par rapport au scénario « Poursuite de la politique énergétique actuelle » (PEA). Si l’on tient compte du fait que des investissements énergétiques d’environ 1400 milliards seraient également nécessaires dans le scénario PEA, les 109 milliards correspondront à une augmentation de quelque 8 % seulement. Les coûts d’exploitation et de maintenance atteindront en outre environ 14 milliards. Ils seront compensés par une économie au niveau des coûts de l’énergie d’environ 50 milliards de francs. Au total, les coûts économiques supplémentaires directs avoisineront les 73 milliards.

Davantage d’électricité importée durant la phase transitoire


Entre la mise à l’arrêt de la dernière centrale nucléaire en 2034 et la montée en puissance de la production d’électricité renouvelable, il faudra importer beaucoup plus d’électricité étrangère, surtout pendant les semestres d’hiver. C’est ce que montrent de nombreuses simulations de marché détaillées, qui tiennent compte à la fois de l’évolution des parcs de centrales et de la demande dans les pays voisins. Ces simulations intègrent aussi les capacités transfrontalières qui renseignent sur les possibilités techniques d’échange de puissance avec les différents pays[5]. La tâche peut a priori sembler difficile du point de vue de la sécurité de l’approvisionnement intérieur. Parallèlement, les pays voisins sont dans une situation similaire : eux aussi ne prévoient plus de nouvelles centrales nucléaires et développent les énergies renouvelables.

Pour éviter toute pénurie d’électricité pendant la période de transition énergétique, les pays voisins construisent des centrales à gaz, utilisées uniquement quelques heures par an et principalement comme appoint pour garantir les capacités. En Suisse, les centrales hydroélectriques ont une capacité suffisante pour couvrir les charges de pointe.

En revanche, la Suisse est dépendante de fournitures électriques extérieures, notamment en hiver, en raison des profils de production. Ses capacités de stockage élevées lui permettent toutefois d’importer en dehors des pics de demande à l’étranger lorsque les prix de l’électricité sur le marché de gros sont bas, généralement grâce à un important apport d’énergie éolienne. Inversement, les pays voisins peuvent utiliser la capacité flexible de l’offre et de la demande de la Suisse via le marché pour limiter la construction de centrales de secours.

L’intégration complète de la Suisse dans le marché européen de l’électricité constitue une condition préalable à une telle solution efficace basée sur le marché. Aucune centrale à gaz d’appoint ne sera alors nécessaire pour couvrir les besoins en électricité de la Suisse, même dans les années « critiques » de 2034 à 2040. Si des centrales à gaz produisant de l’hydrogène sont néanmoins ajoutées en réserve pour des raisons stratégiques – par exemple pour réduire la dépendance vis-à-vis de l’étranger –, elles n’opéreront que quelques heures par an (tout au plus 200) et ne contribueront que faiblement à couvrir la demande, les importations de l’étranger étant généralement moins coûteuses.

Le rapport technique des « Perspectives énergétiques 2050+ » les données détaillées sur les résultats des scénarios et divers compléments concernant notamment l’approvisionnement électrique hivernal seront publiés dans les semaines et les mois à venir. Les analyses approfondies des impacts économiques seront disponibles d’ici fin 2021. Elles fourniront des indications sur de nombreux détails techniques ainsi que sur les effets des différents aménagements politiques des scénarios envisageables au niveau de la répartition des coûts économiques.

  1. Trafic aérien et maritime international non compris. []
  2. Lechthaler et Kost (2020). []
  3. OFS (2015 et 2017). []
  4. Seco (2018). []
  5. Entso-E (2018). []

Bibliographie

Bibliographie

Proposition de citation: Almut Kirchner ; Michael Kost ; (2021). Perspectives énergétiques 2050 : en route vers une Suisse à « zéro émission nette ». La Vie économique, 31 mars.

Quatre scénarios pour atteindre « zéro émission nette »

« Variante de base Zéro » : ce scénario table sur une augmentation forte et précoce de l’efficacité énergétique ainsi que sur une électrification importante. Les réseaux de chaleur se développent dans les zones urbaines. Les combustibles et carburants synthétiques (à base d’électricité) ainsi que l’hydrogène jouent un rôle mineur. Les usines d’incinération de déchets et de production de ciment recourent au captage et au stockage du carbone pour minimiser les émissions de CO2 fossile. Les émissions de gaz à effet de serre restantes sont compensées par une baisse des émissions ou des technologies d’émission négative, dans le pays ou à l’étranger.

« Zéro A » : contrairement à la variante de base, ce scénario prévoit une électrification encore plus poussée du système énergétique, notamment dans le secteur des transports.

« Zéro B » : ce scénario envisage une électrification modérée du système énergétique par rapport à la variante de base. Le biogaz et les gaz synthétiques jouent un rôle plus important dans la production de chaleur et les transports, tout comme l’hydrogène dans les transports.

« Zéro C » : par rapport à la variante de base, une électrification modérée du système énergétique est prise en compte. Les réseaux de chaleur ainsi que les carburants liquides biogènes et synthétiques contribuent davantage à l’approvisionnement énergétique.