Un lapin de Pâques « Swiss made » à Küsnacht (ZH). (Image: Keystone)
Des casseroles de Chine, des saucisses d’Espagne ou une crème pour le visage d’Allemagne – mais arborant toutes des indications de provenance suisses. Il ne s’agit là que de quelques exemples d’une tendance repérée dans les années 2000 : le recours croissant au label suisse de manière pas toujours justifié.
La « marque Suisse » est synonyme de fiabilité et de qualité élevées. Des études confirment ainsi que les consommateurs sont prêts à débourser jusqu’à 20 % de plus pour des produits frappés de la croix suisse[1]. En 2005 déjà, un numéro du magazine alémanique « Bilanz » dédié à la « Powermarke Schweiz » relevait que la « marque Suisse » était la plus forte du pays.
Un label en danger
Il n’est donc pas surprenant que certains aient voulu en profiter, portant toutefois préjudice aux fabricants de produits suisses et aux consommateurs. Le nombre croissant d’utilisations frauduleuses risquait en effet d’éroder la réputation et la crédibilité du label suisse. La valeur de la marque était en jeu. Pour ne rien arranger, le régime juridique ne permettait alors pas de déposer la croix suisse comme marque ni de l’apposer sur des produits à des fins commerciales. Utiliser le logo rouge à croix blanche comme indication de provenance sur des marchandises n’était donc pas conforme à la loi. Ce symbole ne pouvait y figurer qu’à des fins décoratives et non commerciales.
L’écho croissant que le « Swiss made » et son utilisation abusive avait trouvé auprès du public a incité le monde politique à intervenir. En 2006, la conseillère nationale Jasmin Hutter (UDC/SG) et la sénatrice Anita Fetz (PS/BS) ont chacune déposé une motion demandant au Conseil fédéral d’étudier les possibilités de mieux protéger respectivement la « marque Suisse » et l’indication de provenance helvétique. Cette revendication a été accueillie favorablement par le Conseil fédéral et un projet était mis en consultation un an plus tard. Après quelques adaptations, notamment dans le domaine des denrées alimentaires, le Conseil fédéral adressait en 2009 son message à l’attention des Chambres fédérales.
Les débats
Les discussions ont été vives au sein des commissions des affaires juridiques des deux chambres et, par moment, de la commission de l’économie et des redevances du Conseil national. Après la décision unanime d’entrer en matière, la commission des affaires juridiques du Conseil national a créé une sous-commission chargée du projet « Swissness ». De 2010 jusqu’à son adoption en 2013, ce dossier a été traité dans plus de vingt séances de commission ; pas moins de 31 propositions ont été soumises lors des délibérations au Conseil national et au Conseil des États. Les représentants d’intérêts ont été tout aussi actifs.
Le projet de révision « Swissness », avec la loi sur la protection des marques et celle sur la protection des armoiries, a été approuvé en votations finales en juin 2013[2]. Ce faisant, le Parlement a rempli ses propres exigences quant à un renforcement adéquat de la protection. Le projet a occupé trois conseillères et conseillers fédéraux en charge du Département fédéral de justice et police (DFJP) ainsi que les parlementaires durant cinq législatures jusqu’à ce que l’évaluation arrive à son terme.
La mise en œuvre
L’adoption par le Parlement a levé un obstacle de taille au projet. Aucun référendum n’a été lancé, sans doute parce que les chances de succès étaient jugées minces. Mais le Conseil fédéral devait encore détailler les ordonnances nécessaires et fixer l’entrée en vigueur. Différents groupes d’intérêts se sont alors jetés dans la bataille pour peser sur les modalités d’application au niveau de l’ordonnance. Par des interventions parlementaires et un intense travail d’influence, ils ont tenté d’influencer la définition des dispositions d’exécution ou de retarder au maximum leur entrée en vigueur.
Comme le Parlement et, surtout, les commissions avaient souhaité être tenus informés du processus d’élaboration des ordonnances, les groupes de pression ont également été très actifs dans cette phase du projet de révision législative. L’ordonnance devant régler les produits agricoles est notamment devenue une pomme de discorde. La marge de manœuvre pour des changements substantiels au niveau des ordonnances était toutefois très étroite, les dispositions fixées dans le texte de loi par le Parlement étant déjà acquises. Pourtant – ou justement à cause de cette situation – quinze interventions parlementaires relatives à la législation « Swissness » ont au total été déposées entre juin 2013 et mai 2016[3].
Finalement, les esprits ont accepté l’idée qu’il était dans l’intérêt surtout de l’économie, mais aussi des consommateurs, d’instaurer la sécurité juridique le plus vite possible. Le 27 juillet 2016, le Conseil fédéral a ainsi pu adopter le train d’ordonnances comportant les quatre actes législatifs suivants : une première ordonnance sur la protection des marques, une autre sur l’utilisation des indications de provenance suisses pour les denrées alimentaires, une troisième concernant le registre des appellations d’origine et des indications géographiques pour les produits non agricoles, et une quatrième sur la protection des armoiries. Ce paquet d’ordonnances est entré en vigueur le 1er janvier 2017 avec les révisions des lois correspondantes. Le délai entre l’adoption par le Parlement et l’expiration de diverses dispositions transitoires a laissé plus de trois ans aux entreprises pour adapter – si nécessaire – leur production aux nouvelles conditions (voir encadré).
Une évaluation annoncée par le Conseil fédéral lors des délibérations parlementaires et publiée fin 2020 relève que la nouvelle législation « Swissness » a dans l’ensemble déjà un impact modérément positif sur l’économie helvétique[4]. Après déduction des coûts liés au respect des nouveaux critères légaux, l’effet positif représente au moins 1,4 milliard de francs par année, soit 0,2 point de pourcentage du produit intérieur brut. La valeur de la marque de prestige « Suisse » devrait donc rester intacte à long terme.
- Voir Feige et al. (2008). []
- Voir Addor et Guyot (2016). []
- Addor et Guyot (2016), p. 23. []
- Conseil fédéral (2020). Voir également les articles de Ralph Lehmann et al. ainsi que de Stefan Feige et Stefan Rieder dans ce numéro. []
La directrice de l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle, Catherine Chammartin, veille au respect de l’utilisation de l’indication de provenance suisse.
Bibliographie
- Addor F. et Guyot N. (2016). « La réglementation ‘Swissness’ : objectifs et principes». Dans : Jacques de Werra (éd.), Indications géographiques : Perspectives globales et locales, p. 1–65.
- Conseil fédéral (2020). Rapport du Conseil fédéral sur l’évaluation de la législation Swissness ».18 décembre.
- Feige S. et al. (2008). Swissness Worldwide – Internationale Studie zur Wahrnehmung der Marke Schweiz.
Bibliographie
- Addor F. et Guyot N. (2016). « La réglementation ‘Swissness’ : objectifs et principes». Dans : Jacques de Werra (éd.), Indications géographiques : Perspectives globales et locales, p. 1–65.
- Conseil fédéral (2020). Rapport du Conseil fédéral sur l’évaluation de la législation Swissness ».18 décembre.
- Feige S. et al. (2008). Swissness Worldwide – Internationale Studie zur Wahrnehmung der Marke Schweiz.
Proposition de citation: Stamm, Hansueli; Aebi, Patrik (2021). Protéger la marque de prestige « Suisse ». La Vie économique, 30. mars.
Que doit contenir un produit pour pouvoir arborer la croix suisse ? Les critères de provenance suisse diffèrent selon le bien et la catégorie. Pour les produits naturels végétaux comme les salades ou les pommes, le lieu de récolte doit se situer en Suisse. Une eau minérale doit être captée dans le pays, une poule doit y avoir passé la majeure partie de son existence, le lait doit provenir de vaches élevées sur le territoire helvétique et un poisson doit avoir été pêché en Suisse.
La plupart des denrées alimentaires sont des produits naturels transformés. Au moins 80 % du poids des matières premières utilisées doivent provenir de Suisse (pour autant qu’elles puissent y être produites), un taux qui atteint 100 % pour le lait et les produits laitiers. En outre, l’activité qui confère ses caractéristiques essentielles au produit doit avoir lieu en Suisse.
Les produits industriels sont considérés comme suisses lorsque 60 % au moins du coût de revient ont été réalisés dans le pays. Une étape essentielle de la fabrication doit en outre avoir lieu en Suisse.
Enfin, les services des entreprises peuvent être qualifiés de suisses si ces sociétés possèdent un siège administratif en Suisse. Autrement dit, les entreprises doivent y exercer des activités déterminantes et prendre des décisions importantes ayant un impact direct sur les services.
Davantage d’informations sur www.ipi.ch/swissness.