Depuis la crise financière de 2008–2009, les banques centrales des deux côtés de l’Atlantique ont peiné à ramener l’inflation vers la cible, alors même que les économies et les marchés du travail se redressaient. Aux États-Unis, l’inflation visée par la Réserve fédérale s’est établie en moyenne à 1,6 % depuis 2015, et n’a été égale ou supérieure à son objectif de 2 % qu’un peu plus de 10 % du temps. Dans la zone euro, la moyenne s’élève à 0,9 % et la valeur cible n’a été atteinte qu’un peu moins de 10 % du temps.
Les économistes avancent souvent les chaînes d’approvisionnement mondiales, la technologie, la démographie et les politiques économiques pour expliquer cette inflation si obstinément faible. À la croisée des chemins, plusieurs de ces facteurs sont en train de changer et la question est de savoir si la prochaine décennie sera marquée par une inflation plus élevée. En examinant la balance de l’inflation, nous sommes d’avis que les actions politiques seront le facteur déterminant.
L’année 2020 a vu s’intensifier le débat sur la résilience des chaînes d’approvisionnement mondiales ; les fournitures de soins de santé, les semi-conducteurs et, plus récemment, le blocage du canal de Suez ont fait la une de l’actualité. Les préoccupations relatives à l’empreinte carbone d’approvisionnements complexes et le débat sur les taxes carbone aux frontières pèsent dorénavant davantage dans la balance. Dans cet environnement, les stocks devraient être plus élevés et certaines relocalisations pourraient intervenir, notamment pour les activités stratégiques. Il est cependant encourageant de constater que les appels au protectionnisme semblent s’être estompés récemment.
La clé des politiques publiques
S’il semble fondé de conclure que la mondialisation des années à venir produira un choc d’offre moins positif qu’au cours des décennies passées – et sera donc moins désinflationniste –, il faut noter que la technologie a un fort potentiel de stimulation de l’offre. Cela s’illustre aussi par le fait que la technologie ouvre la voie à un télétravail plus fluide, permettant une plus grande participation au marché du travail. Cette évolution peut également contribuer à compenser l’essoufflement démographique lié au vieillissement des populations.
Toutefois, la véritable clé de l’inflation se trouve probablement sur le front des politiques publiques. Des dépenses publiques d’infrastructure bien gérées peuvent stimuler l’offre, notamment si elles sont associées à des programmes efficaces d’éducation et de formation tout au long de la vie. Combinées à une politique crédible de la banque centrale, ces politiques ont le potentiel d’augmenter les revenus réels et de réduire les inégalités sans déclencher d’inflation.
À l’inverse, des dépenses publiques inefficaces entraînant une augmentation de ce que l’ancien président de la Banque centrale européenne Mario Draghi a décrit comme la « mauvaise dette » (par opposition à la bonne dette publique qui finance les investissements productifs) auront des conséquences négatives si les banques centrales tardent à réagir et perdent le contrôle des anticipations d’inflation : cette situation entraînerait le retour de la stagflation des années 1970, combinant inflation et chômage.