Pour beaucoup, les objectifs économiques et environnementaux divergent et sont conflictuels : le développement économique se fait presque obligatoirement au détriment de l’environnement – et inversement. Le débat sur le climat, d’une actualité brûlante, l’illustre bien.
S’il est incontestable que la croissance économique s’accompagne souvent d’un besoin accru en ressources, la situation est en réalité plus complexe. Du moins si l’on considère l’économie comme une discipline scientifique et non comme le « monde économique ». Ce n’est du reste pas un hasard si les deux termes évoqués dans le titre sont phonétiquement proches. Ils renvoient à un mot du grec ancien qui signifie « l’administration de la maison », les deux sciences s’intéressant à une utilisation économe des ressources. Cet article explique comment les connaissances des sciences économiques contribuent à préserver l’environnement.
Défaillances du marché et externalités
Comme nous l’avons expliqué dans l’article sur la main invisible du marché, le mécanisme des prix conduit généralement à une utilisation efficace des ressources rares. Toutefois, cette affirmation n’est vraie que si le prix du marché reflète correctement la rareté réelle. Dans les situations clairement définies où ce n’est pas le cas, une intervention de l’État peut améliorer l’efficacité. Les effets externes sont un exemple classique d’une défaillance du marché : des externalités existent lorsque quelqu’un n’assume pas tous les coûts que ses actions imposent à des tiers. La dégradation de l’environnement est la manifestation la plus importante de cette inefficacité.
Par exemple, une aciérie qui déverse ses eaux usées dans une rivière sans les traiter réduit les revenus des pêcheurs exerçant leur métier en aval. Sans intervention étatique, la pollution des eaux serait gratuite pour l’aciérie, qui sous-estime donc le coût réel de son activité. Cette situation peut être analysée à l’aide d’un simple graphique de l’offre et de la demande (voir illustration).
Les externalités négatives
Source : Aymo Brunetti / La Vie économique
La courbe de la demande D présente la pente négative habituelle : lorsque le prix de l’acier augmente, la quantité demandée diminue. Mais concentrons-nous sur la courbe de l’offre : celle-ci affiche généralement une pente positive, car il est intéressant pour le producteur de vendre davantage d’acier lorsque le prix augmente. Les coûts de production sont le principal déterminant de la courbe de l’offre. Dans le cas des externalités, nous devons toutefois distinguer ces coûts privés (à la charge du producteur) des coûts sociaux (à la charge de la collectivité). L’aciérie n’assume aucun coût lié à la pollution qu’elle provoque ; or, ces coûts sont significatifs pour l’ensemble de la société : dans notre exemple, les pêcheurs attraperont moins de poisson.
La courbe de l’offre Os (déterminée par le coût social de la production d’acier) est située à gauche de la courbe de l’offre Op (déterminée uniquement par le coût privé de la production d’acier). Si l’aciérie devait assumer le coût social de la pollution environnementale en plus du coût privé, la quantité d’acier offerte diminuerait quel que soit le prix. L’écart vertical entre les deux courbes correspond au coût de la pollution. Le prix du marché pm est donc inférieur au prix efficient p* (qui reflète correctement la rareté relative du bien) et l’entreprise produit davantage d’acier (qm) que la quantité q* optimale du point de vue de l’économie globale.
Quelle est la solution ?
L’environnement est le domaine où le problème des externalités est le plus aigu. La pollution des eaux, les trous dans la couche d’ozone et le réchauffement climatique sont directement imputables à cette défaillance du marché. La surexploitation des ressources naturelles est l’expression de signaux de prix faussés qui ignorent les coûts de cette exploitation. C’est la raison pour laquelle la seule protection volontaire de l’environnement ne suffit pas à résoudre le problème. Il est certes utile que les individus adoptent de leur plein gré un comportement plus respectueux de l’environnement, mais un système reposant sur une base uniquement volontaire incite fortement à « jouer les parasites », c’est-à-dire à rester passif en espérant que d’autres respecteront davantage l’environnement. Cela explique notamment les problèmes environnementaux mondiaux comme le réchauffement climatique. L’intervention de l’État est donc nécessaire pour garantir une utilisation efficace des ressources.
La réglementation de l’activité économique constitue la forme la plus évidente d’intervention de l’État : les pratiques nuisibles à l’environnement sont limitées par des interdictions et des réglementations. Les premières mesures de politique environnementale relevaient principalement de cette méthode. Au fil du temps, il est toutefois apparu qu’une telle approche générait des réglementations inefficaces et rigides qui ignoraient les coûts individuels de la prévention des dommages écologiques et ne favorisaient guère les innovations respectueuses de l’environnement. En outre, aucune incitation directe n’est offerte par le biais de changements de prix. C’est pourquoi les efforts se sont concentrés ces dernières décennies sur le renforcement du mécanisme des prix, et partant, sur les forces du marché.
L’idée sous-jacente d’une protection de l’environnement fondée sur les lois du marché est de donner un prix à l’impact environnemental sous la forme d’une taxe incitative – donc d’un impôt. Cela permet d’intégrer la rareté de la ressource dans le processus décisionnel. Si le produit de cet impôt est redistribué uniformément à la population, on parle de taxe d’incitation au sens strict : celle-ci atteint l’effet incitatif escompté sans augmenter les recettes de l’État. Dans le graphique, on prélèverait donc idéalement une taxe juste assez élevée pour déplacer la courbe de l’offre privée Op vers la gauche afin qu’elle coïncide avec la courbe de l’offre sociale Os. Cela permettrait d’internaliser entièrement l’effet externe : le coût réel du dommage environnemental pour l’ensemble de l’économie serait assumé par le pollueur.
La croissance favorise la politique environnementale
D’un point de vue scientifique, il n’y a donc pas de contradiction fondamentale entre économie et écologie : les deux préconisent une approche durable de l’environnement. Mais revenons à la question de départ : le développement de l’économie n’a-t-il pas un impact excessif sur l’environnement en empêchant la mise en œuvre de mesures efficaces sur le plan politique ? C’est effectivement le cas dans une certaine mesure. En comparaison internationale, on observe toutefois une diminution de la pollution par rapport au PIB à partir d’un certain niveau de prospérité. Cela tient à la transition de la société industrielle vers une société de services, mais aussi et surtout au fait que la propension d’une société à payer pour la qualité de l’environnement croît avec l’augmentation du niveau de vie.
Cette tendance inverse se traduit également par le fait que seules les économies en croissance ont la volonté politique d’appliquer une stratégie environnementale réellement efficace. Dans les pays pauvres ou dont l’économie décline, les questions liées à la qualité de l’environnement et au climat ne sont généralement pas une priorité politique.