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Les déductions fiscales, un cadeau fait aux riches ?

Les déductions fiscales ne sont pas un instrument de redistribution des richesses. Elles ont pourtant un effet redistributif, qui dépend de deux effets antagonistes. La progression du barème fiscal fait la différence.

Les déductions fiscales, un cadeau fait aux riches ?

Qui profite le plus d’une déduction fiscale de 5000 francs ? Des spectateurs au tournoi de golf de Crans-Montana (VS). (Image: Keystone)

Que pensez-vous de l’idée d’accorder à chaque contribuable une déduction fiscale de 5000 francs[1], c’est-à-dire de réduire systématiquement le revenu imposable de 5000 francs ? Tout est question de point de vue. En septembre 2020, un projet de loi prévoyant notamment d’augmenter la déduction pour enfant dans l’impôt fédéral direct (IFD) de 6500 à 10 000 francs a été rejeté à 63 % en votation populaire. Une enquête Voto réalisée auprès des votants[2] a montré que le motif principal de ce rejet était que l’augmentation de la déduction ne profiterait qu’aux riches, dans la mesure où, avec la progression de l’impôt, ce sont surtout les hauts revenus qui bénéficient des déductions.

Face à ce verdict, on pourrait imaginer qu’une déduction fiscale de 5000 francs pour tous aurait aussi du mal à passer la rampe, puisqu’on pourrait lui opposer le même argument de politique de répartition. Dans ce cas, pourquoi ne pas augmenter de 5000 francs le seuil d’imposition ? À l’heure actuelle, celui-ci est fixé à 14 500 francs (pour les célibataires), de manière à ne pas grever le minimum vital. Le revenu à partir duquel une personne est imposée passerait donc à 19 500 francs avec l’alternative proposée. L’ensemble du barème fiscal serait ainsi décalé de 5000 francs (c’est-à-dire que chaque tranche débuterait à un revenu 5000 francs plus élevé). Si elle peut sembler plus sympathique, cette deuxième option est toutefois équivalente à la première, l’impact sur la charge fiscale étant le même dans les deux cas pour le contribuable.

Une analyse parue récemment dans le magazine « Archives de droit fiscal suisse » (ASA) a étudié le rôle des déductions fiscales et leur effet redistributif dans l’IFD[3]. L’impact des recettes moindres perçues par l’État sur les dépenses publiques et leurs conséquences en matière de redistribution (incidence budgétaire) ont été délibérément ignorés.

Un double effet redistributif


Pour évaluer l’impact de l’augmentation d’une déduction fiscale sur la situation en matière de redistribution, il faut tenir compte de deux effets contraires. Le premier est le principal motif du refus de l’augmentation de la déduction pour enfants soumise au peuple en septembre 2020 : plus le revenu est élevé, plus le taux marginal d’imposition tend à augmenter. Ce taux permet de calculer combien le contribuable doit payer d’impôts pour chaque franc supplémentaire qu’il gagne. Pour connaître l’allègement fiscal permis par une déduction de 5000 francs, il faut donc grosso modo multiplier 5000 par ce taux. Concrètement, si votre taux marginal d’imposition est de 10 %, une déduction fiscale de 5000 francs permet d’économiser 500 francs d’impôts. Mais si votre taux n’est que de 5 %, vous n’économisez que 250 francs. En chiffres absolus, la réduction de la charge fiscale est donc plus importante pour les hauts revenus que pour les revenus moins élevés.

C’est toutefois sans compter sur le deuxième effet, dont on entend très peu parler : plus votre revenu est élevé, plus l’importance relative d’une baisse de la charge fiscale par rapport au revenu sera faible. Ainsi, une économie de 500 francs d’impôts est plus substantielle si vous gagnez 50 000 francs que si vous gagnez un million. Autrement dit, votre revenu disponible augmente proportionnellement beaucoup plus dans le premier cas que dans le deuxième.

Si l’on considère le premier effet, l’introduction d’une déduction fiscale générale renforce les inégalités en matière de revenus, alors que c’est l’inverse pour le deuxième. Quant à savoir lequel de ces effets prime, cela dépend du barème fiscal : plus  le taux marginal d’imposition augmente fortement avec la progression du revenu, plus les inégalités de répartition des revenus tendent à se creuser avec la déduction fiscale.

Ill. 1. Économie d’impôt selon le revenu (en chiffres absolus)




Remarque : variation (en francs) de la charge fiscale sur le revenu, après introduction d’une déduction de 5000 francs. Le revenu inscrit en abscisse correspond au revenu net de la statistique de l’impôt fédéral direct.

Source : calculs de l’auteur sur la base du droit en vigueur en 2021 / La Vie économique

L’illustration 1 présente l’économie d’impôt (exprimée en francs) que réalise une personne célibataire en fonction de son revenu grâce à une déduction fiscale de 5000 francs. Le premier effet apparaît clairement : l’allègement fiscal augmente jusqu’à un revenu d’environ 180 000 francs lorsque le taux marginal d’imposition maximal de 13,2 % est atteint. Avec un revenu d’environ 760 000 francs, c’est le taux moyen maximal de 11,5 % qui est alors atteint, ce qui implique une baisse de l’économie d’impôt calculée en francs. Ces résultats traduisent la progression continue dans l’IFD : le taux moyen d’imposition maximal est atteint sous l’effet d’un taux marginal d’imposition temporairement plus élevé.

Ill. 2. Économie d’impôt relative par rapport au revenu




Remarque : variation de la charge fiscale par rapport au revenu, après introduction d’une déduction générale de 5000 francs. Le revenu inscrit en abscisse correspond au revenu net de la statistique de l’impôt fédéral direct.

Source : calculs de l’auteur sur la base du droit en vigueur en 2021 / La Vie économique

L’importance d’une variation (calculée en francs) de la charge fiscale s’estompant avec l’augmentation du revenu, l’illustration 2 présente ladite variation en fonction du revenu. Elle montre ainsi l’impact combiné des deux effets. Pour les bas revenus, l’économie d’impôt (exprimée en valeur relative) est faible en raison des taux marginaux d’imposition (très) bas. L’allègement fiscal augmente ensuite avec le revenu, car l’impact de la hausse rapide des taux d’imposition marginaux est supérieur à celui de l’augmentation de revenu.

Si on la rapporte au revenu, l’économie d’impôt est maximale pour les revenus compris entre 84 000 et 145 000 francs. Ensuite, sa valeur relative ne cesse de reculer, car l’allègement fiscal – dont la valeur en francs reste fixe – pèse toujours moins dans la balance au fur et à mesure que le revenu augmente.

Si l’on tient compte du revenu, c’est donc la classe moyenne supérieure qui profite le plus d’une déduction fiscale générale. Les revenus bas à moyens en profitent peu, voire pas du tout en raison de leurs faibles taux d’imposition marginaux. Il en va de même pour les très hauts revenus, pour lesquels l’allègement fiscal est insignifiant en termes relatifs.

Une répartition globalement plus inégale


Quel est l’impact d’une déduction fiscale sur la répartition des revenus disponibles, c’est-à-dire les revenus après déduction de l’IFD[4] ? Pour le savoir, l’effet redistributif d’une déduction de 5000 francs accordée à tous les contribuables a été analysé sur la base de la statistique de l’IFD, qui englobe l’ensemble des contribuables suisses[5]. Si l’on tient compte du revenu, nous avons vu que la déduction fiscale profite aussi peu aux bas qu’aux très hauts revenus. A priori, on ne peut donc pas savoir s’il en résulte globalement une répartition plus égale ou plus inégale.

L’analyse de la répartition des revenus avant et après l’introduction d’une déduction fiscale de 5000 francs montre que la part du 1 % supérieur au revenu total disponible diminue quelque peu. Pourquoi ? Parce que l’allègement fiscal que cela représente est relativement négligeable pour les plus hauts revenus.

Si l’on fait abstraction de ces derniers, c’est toutefois le premier des deux effets mentionnés précédemment qui prime dans l’IFD progressif. Autrement dit : plus le revenu est élevé, plus l’allègement fiscal exprimé en francs augmente sous l’effet d’un taux marginal d’imposition supérieur. Ce résultat est notamment corroboré par le coefficient de Gini. Cet indicateur, souvent utilisé pour mesurer l’inégalité de la répartition d’une variable pour une population donnée, augmente légèrement avec l’introduction de la déduction fiscale.

En résumé, les déductions fiscales ont un impact positif notable pour les contribuables concernés, pour un coût quasiment imperceptible. C’est certainement la raison pour laquelle elles sont plébiscitées par les acteurs politiques et font fréquemment l’objet d’interventions parlementaires. Il est donc d’autant plus important de se pencher sur le rôle fiscal de ces déductions et leurs effets en matière de répartition. Les qualifier de cadeau pour les riches ne reflète qu’une partie de la réalité. Si les déductions fiscales renforcent les inégalités au niveau des revenus disponibles avec un barème fiscal (très) progressif, elles peuvent aussi les réduire dans le cas d’un impôt proportionnel, notamment d’un impôt libératoire.

  1. Cet article est un résumé de Staubli (2020/2021). []
  2. Milic et al. (2020). []
  3. Staubli (2020/2021). []
  4. L’impôt cantonal sur le revenu ne varie pas. Il n’a donc pas été pris en compte ici. []
  5. Une déduction fiscale de 10 000 francs a été appliquée pour les couples mariés dans le cadre de l’analyse. []

Bibliographie

  • Milic T., Feller A. et Kübler D. (2020). Enquête Voto relative à la votation populaire fédérale du 27 septembre 2000. ZDA, Fors : Aarau/Lausanne/Lucerne.
  • Staubli D. (2020/2021). « Die Rolle von Steuerabzügen: eine steuersystematische Einordnung und Analyse ihrer Verteilungswirkung ». Archives de droit fiscal suisse, 89.

Bibliographie

  • Milic T., Feller A. et Kübler D. (2020). Enquête Voto relative à la votation populaire fédérale du 27 septembre 2000. ZDA, Fors : Aarau/Lausanne/Lucerne.
  • Staubli D. (2020/2021). « Die Rolle von Steuerabzügen: eine steuersystematische Einordnung und Analyse ihrer Verteilungswirkung ». Archives de droit fiscal suisse, 89.

Proposition de citation: David Staubli (2021). Les déductions fiscales, un cadeau fait aux riches . La Vie économique, 22 juillet.