Les limites des énergies renouvelables
L’occupation de nouvelles terres pour implanter des panneaux solaires n’est pas nécessaire. Le toit d’un entrepôt de l’entreprise de logistique Rhenus dans le port de Bâle. (Image: Keystone)
Crise du climat, extinction d’espèces, déchets aux quatre coins de la planète : la charge que la Terre est capable d’absorber a ses limites et celles-ci deviennent toujours plus visibles. Notre appétit pour l’énergie et les matières premières cause de profonds changements au système terrestre, allant jusqu’à menacer son existence. Mais comment concevoir un avenir durable avant qu’il ne soit trop tard ? Il est clair qu’une société durable a aussi besoin d’énergie. La première question qui se pose est donc de savoir de combien d’énergie renouvelable et propre nous disposons dans les limites de la charge critique de la Terre. Pour y répondre, une équipe du Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche a mené le projet « Laboratoire pour une économie circulaire ».
La Terre reçoit un énorme flux d’énergie du soleil, à côté duquel le besoin énergétique des humains semble négligeable. Ce flux n’est cependant pas perdu, loin de là ! Il maintient le système terrestre depuis la nuit des temps, par exemple comme moteur du cycle de l’eau et principale source d’énergie de la vie. Sans énergie solaire, l’évolution de l’homme aurait été impossible.
Respecter la charge critique
L’être humain peut exploiter l’énergie du système terrestre sous différentes formes, que ce soit au niveau cinétique (vent, courants aquatiques) ou chimique (biomasse, comme le bois ou les agrocarburants). Ces énergies sont cependant toutes reliées au soleil – à l’exception des marées et de la géothermie qui, globalement, n’apportent qu’une infime contribution à l’équilibre énergétique de la Terre. Une exploitation durable de ces flux d’énergie passe par le respect de la charge critique du système terrestre. Si les flux d’énergie convertis par les humains sont trop grands, cela risque de causer des changements rapides et irréversibles de ce système.
L’utilisation des sols est déterminante à cet égard : des terres boisées ont par exemple des propriétés fondamentalement différentes de celles d’un parc solaire. Une telle installation perturbe non seulement la biodiversité, mais également l’évaporation (et donc le cycle de l’eau), de même que la réflexion de la lumière du soleil et le rayonnement thermique. Les petits changements du système terrestre peuvent être compensés ou n’ont que des effets mineurs. Mais si les perturbations sont trop fortes, le système terrestre ne peut plus les compenser ni conserver un fonctionnement stable. De nombreux éléments dits « de basculement » ont été identifiés, à l’image de la fonte des calottes polaires ou de la mort des récifs coralliens[1]. Si les points de basculement respectifs sont franchis, l’état du système terrestre change rapidement, le plus souvent de façon irréversible. L’utilisation des sols, principal facteur de la perte de biodiversité et accélérateur du changement climatique, accroît la pression sur ces éléments de basculement et a déjà dépassé sa charge critique.
Outre l’énergie technique comme l’électricité ou la chaleur, l’être humain a également besoin d’énergie chimique sous forme de nourriture et de matériaux biologiques comme le bois ou le coton. Si la population mondiale continue de croître et ne se stabilise qu’autour de 11 milliards d’individus[2], le seul fait d’assurer la sécurité alimentaire en restant dans les limites de la charge critique de la Terre constituera déjà un véritable défi[3]. Cultiver des agrocarburants à grande échelle ne sera au mieux possible qu’après une transformation vers une production alimentaire sûre et durable. L’utilisation de bioénergies – c’est-à-dire la conversion de biomasse en énergie électrique, en chaleur ou en carburant – dépasse aujourd’hui déjà son potentiel durable[4].
L’utilisation du vent et de l’eau est limitée
Du fait de sa situation géographique, la Suisse mise beaucoup sur l’énergie hydraulique. Or, le niveau d’exploitation est là aussi déjà élevé. À l’échelle mondiale, le potentiel durable de la force hydraulique est en outre très limité, que ce soit à cause d’une topographie inadéquate pour les lacs d’accumulation ou de l’impact écologique négatif lié à la construction des barrages. Ces derniers modifient en effet le transport de nutriments et de matériaux charriés, avec un fort impact sur l’écologie des cours d’eau ; ils constituent en outre une barrière artificielle à la migration des espèces aquatiques.
De grands espoirs reposent encore sur l’énergie éolienne. Son potentiel est malheureusement lui aussi limité du point de vue du système terrestre. L’énergie cinétique du vent provient du réchauffement inégal de l’atmosphère sous l’effet du rayonnement solaire. Les différences de pression créées se transforment en courants compensatoires, c’est-à-dire en vents. Chaque étape de conversion – du soleil en chaleur, en mouvement, puis en électricité – implique des pertes parfois importantes qui réduisent d’autant le potentiel du vent par rapport à l’utilisation directe de l’énergie solaire, c’est-à-dire sa conversion directe en électricité[5].
La biomasse, l’énergie hydraulique et l’énergie éolienne ne couvrent au total qu’une fraction de nos besoins d’énergie mondiaux. D’autres formes d’énergies renouvelables comme les vagues, les marées ou la géothermie n’ont qu’un moindre potentiel théorique. Elles peuvent au mieux contribuer localement à la fourniture technique d’énergie. À l’échelle mondiale, elles sont négligeables.
Le nouvel espoir de l’énergie solaire
Cette énumération montre que le potentiel d’expansion de nombreuses sources d’énergies renouvelables est modeste. Mais qu’en est-il de la conversion directe de l’énergie solaire en électricité ? A-t-elle le potentiel de couvrir les besoins mondiaux en énergie ?
L’énergie solaire peut être exploitée au moyen d’installations photovoltaïques, héliothermiques ou héliothermodynamiques. On observe les deux premières sur toujours plus de toits, la dernière se retrouvant surtout dans les régions désertiques. Elles offrent un potentiel d’exploitation considérable. L’utilisation de toutes les surfaces d’infrastructures déjà construites (toits, façades, routes, parkings, voies ferrées, etc.) permettrait de couvrir trois fois la demande en énergie mondiale de 2018[6]. Autrement dit, l’occupation de nouvelles terres et l’implantation de parcs solaires dans des zones vertes ne sont pas nécessaires.
Ce potentiel serait suffisant pour couvrir les besoins mondiaux d’une société à 2000 watts, dans laquelle chaque individu dispose d’une puissance continue de 2000 watts en moyenne sur l’année. Une demande mondiale de 5000 watts en moyenne par personne – soit le besoin actuel d’un habitant en Suisse – nécessiterait d’utiliser en plus environ 10 % de la surface des déserts pour capter le rayonnement solaire[7]. L’occupation de terres désertiques affecte peu la biodiversité. Il ne faut cependant pas négliger l’impact de la modification de la réflexion solaire sur le climat et l’équilibre énergétique de la Terre. À cela s’ajoutent d’importants obstacles politiques et techniques pour transporter l’énergie produite dans le désert vers les centres urbains. De toute évidence, l’exploitation des zones désertiques ne devrait être envisagée que lorsque toutes les autres possibilités auront été épuisées.
Le potentiel mondial de toutes les énergies renouvelables (incluant l’exploitation de 10 % de la surface des déserts) représente dix fois la demande énergétique mondiale actuelle. Cela ne correspond pourtant qu’à 0,04 % du rayonnement solaire sur Terre[8].
Vers une société solaire
L’alimentation en énergie d’une société durable devrait donc provenir essentiellement du soleil. Chaque toit, chaque façade et chaque parking peut contribuer à un avenir énergétique durable. Les émissions de CO2 ne cessant d’augmenter, il est toujours plus urgent d’agir pour éviter la catastrophe climatique planétaire. D’un point de vue énergétique, il est possible de remplacer tous les combustibles fossiles par l’énergie solaire en quelques années, et non en quelques décennies[9]. Les technologies sont prêtes et le photovoltaïque est de surcroît la forme d’énergie la plus avantageuse, alors même que les combustibles fossiles du monde entier ont bénéficié de subventions à hauteur de 5300 milliards de dollars en 2017[10]. Si cet argent était investi dans la construction de panneaux et de centrales photovoltaïques, il ne faudrait que huit ans pour installer deux fois plus de dispositifs que nécessaire pour remplacer tous les combustibles fossiles.
La Suisse pourrait ouvrir la voie à la société solaire : d’une part en étendant massivement les capacités photovoltaïques aux surfaces déjà imperméables, d’autre part en réduisant le besoin en énergie et en réalisant la société à 2000 watts.
- Voir Lenton et al. (2019). []
- Selon le Département des affaires économiques et sociales des Nations unies (2019). []
- Voir Willett et al. (2019). []
- Voir Smith et al. (2012) ainsi que Desing et al. (2019). []
- Kleidon (2012). []
- Desing et al. (2019). []
- Desing et al. (2019). []
- Desing et al. (2019). []
- Desing et Widmer (soumis). []
- Coady et al. (2019). []
Bibliographie
- Coady D., Parry I., Le N.-P. et Shang B. (2019). Global fossil fuel subsidies remain large : An update based on country-level estimates.
- Département des affaires économiques et sociales des Nations unies (2019). World population prospects 2019 : Highlights (ST/ESA/SER:A/423).
- Desing H. et Widmer R. (soumis). « Reducing climate risks with fast and complete energy transitions : Applying the precautionary principle to the Paris agreement ». Environmental Research Letters.
- Desing H., Widmer R., Beloin-Saint-Pierre D., Hischier R. et Wäger P. (2019). « Powering a sustainable and circular economy – An engineering approach to estimating renewable energy potentials within earth system boundaries ». Energies, 12(24), 1–18.
- Kleidon A. (2012). « Thermodynamik des Erdsystems – Was leistet die Erde ? » Physik unserer Zeit, 3 (43) : 136–144.
- Lenton T. M., Rockstrom J., Gaffney O., Rahmstorf S., Richardson K., Steffen W. et Schellnhuber H. J. (2019). « Climate tipping points – too risky to bet against ». Nature, 575 (7784), 592–595.
- Smith W. K., Zhao M. et Running S. W. (2012). « Global bioenergy capacity as constrained by observed biospheric productivity rates ». BioScience, 62 (10), 911–922.
- Willett W., Rockström J., Loken B., Springmann M. et al. (2019). « Food in the Anthropocene : the EAT-Lancet Commission on healthy diets from sustainable food systems ». The Lancet, 393 (10170), 447–492.
Bibliographie
- Coady D., Parry I., Le N.-P. et Shang B. (2019). Global fossil fuel subsidies remain large : An update based on country-level estimates.
- Département des affaires économiques et sociales des Nations unies (2019). World population prospects 2019 : Highlights (ST/ESA/SER:A/423).
- Desing H. et Widmer R. (soumis). « Reducing climate risks with fast and complete energy transitions : Applying the precautionary principle to the Paris agreement ». Environmental Research Letters.
- Desing H., Widmer R., Beloin-Saint-Pierre D., Hischier R. et Wäger P. (2019). « Powering a sustainable and circular economy – An engineering approach to estimating renewable energy potentials within earth system boundaries ». Energies, 12(24), 1–18.
- Kleidon A. (2012). « Thermodynamik des Erdsystems – Was leistet die Erde ? » Physik unserer Zeit, 3 (43) : 136–144.
- Lenton T. M., Rockstrom J., Gaffney O., Rahmstorf S., Richardson K., Steffen W. et Schellnhuber H. J. (2019). « Climate tipping points – too risky to bet against ». Nature, 575 (7784), 592–595.
- Smith W. K., Zhao M. et Running S. W. (2012). « Global bioenergy capacity as constrained by observed biospheric productivity rates ». BioScience, 62 (10), 911–922.
- Willett W., Rockström J., Loken B., Springmann M. et al. (2019). « Food in the Anthropocene : the EAT-Lancet Commission on healthy diets from sustainable food systems ». The Lancet, 393 (10170), 447–492.
Proposition de citation: Desing, Harald (2021). Les limites des énergies renouvelables. La Vie économique, 27. septembre.