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Bras de fer autour de la zone de libre-échange PTPGP

La zone de libre-échange Asie-Pacifique PTPGP pourrait bientôt représenter un tiers du PIB mondial à la suite des demandes d’adhésion de la Chine, de Taïwan et du Royaume-Uni. Que feront les États-Unis – et la Suisse ?
La Chine a soumis une demande d’adhésion à l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste. Un port à conteneurs à Shanghai. (Image: Alamy)

Les accords de libre-échange se sont multipliés dans le monde entier depuis le milieu des années 1990 : 82 étaient en vigueur en 2000, contre 350 aujourd’hui, selon les chiffres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). La tendance a longtemps été aux accords entre partenaires de tailles différentes – comme la Corée du Sud et le Chili –, d’une part, et à la création de zones régionales de libre-échange en Amérique du Nord (Nafta) ou en Asie du Sud-Est (Asean), d’autre part.

Parallèlement, aucun accord de libre-échange n’a été conclu pendant longtemps entre les grands blocs économiques que sont l’Union européenne (UE), les États-Unis, la Chine et le Japon. Certaines initiatives récentes comme le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) entre les États-Unis et l’UE ont échoué, les négociations entamées en 2013 ayant suscité une forte résistance des deux côtés de l’Atlantique.

Un changement de tendance inattendu


L’accord de libre-échange entre l’UE et le Japon entré en vigueur en février 2019 a toutefois marqué le début d’une nouvelle ère : il s’agit du plus important accord commercial bilatéral au monde (voir tableau), représentant 24 % du produit intérieur brut (PIB) mondial. Lors de sa conclusion en juin 2017, les motifs politiques des parties ont joué un rôle important : face à la politique protectionniste du président américain Donald Trump, il s’agissait pour elles de démontrer qu’elles restaient libres d’agir et qu’elles tenaient aux principes du libéralisme.

Peu après, en novembre 2020, les dix États de l’Asean, la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande signaient à Hanoï un accord historique, le Partenariat régional économique global (Preg), représentant 31 % du PIB mondial. La plus grande zone de libre-échange du monde était ainsi créée, permettant pour la première fois le libre commerce entre les grandes économies que sont la Chine et le Japon, ainsi qu’entre la Corée du Sud et le Japon[1].

Aujourd’hui, la dynamique la plus étonnante est cependant celle de l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP), issu de l’Accord de partenariat transpacifique (TPP) conclu en 2016. Après le retrait des États-Unis du TPP en janvier 2017 sous la présidence de Donald Trump, l’accord semblait compromis : les 11 pays restants ne représentaient plus que 13 % du PIB mondial (voir tableau), contre 37 % avec les États-Unis. Aucun accord de libre-échange n’a par ailleurs pu être conclu entre les États-Unis et le Japon. Le PTPGP-11 est malgré tout entré en vigueur fin 2018.

Principaux accords de libre-échange internationaux









Accord

Part au PIB mondial

Statut

Partenariat régional économique global (Preg)

31 %

En cours de ratification. Pourrait entrer en vigueur au plus tôt en 2022.
Accord Canada – États-Unis – Mexique (Aceum)

28 %

En vigueur depuis juillet 2020 (remplace le Nafta).
UE – Japon

24 %

En vigueur depuis février 2019.
Union européenne (UE)

18 %

En vigueur.
Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP-11)

13 %

En vigueur depuis décembre 2018. Trois demandes d’adhésion : Royaume-Uni, Chine et Taïwan.


Source : Banque mondiale, FMI ; PIB 2020 en dollars.

De nombreuses incertitudes


Le PTPGP a notamment pour particularité d’autoriser expressément l’admission de nouveaux membres d’autres régions, une possibilité qui est véritablement utilisée – à la surprise de nombreux observateurs. Le Royaume-Uni a en effet soumis une demande d’adhésion le 1er février 2021, suivi respectivement par la Chine et Taïwan les 16 et 24 septembre. La part au PIB mondial de cette « méga-région » bondirait ainsi à 34 %.

Un tel mouvement d’adhésion soulève plusieurs questions. Premièrement, la Chine sera-t-elle en mesure de respecter les exigences élevées posées par l’accord ? Il contient notamment des chapitres ambitieux sur le commerce électronique, la protection de l’environnement, le droit du travail, les entreprises d’État, la transparence ou encore la lutte contre la corruption. Il est intéressant de relever ici que l’ambition initiale des États-Unis et du Japon était de fixer par cet accord les nouvelles règles du commerce mondial avant que la Chine ne le fasse[2].

L’absence des États-Unis a finalement eu l’effet inverse, puisque la Chine semble disposée à saisir cette opportunité unique d’intégration commerciale avec les membres du PTPGP. De son point de vue, les exigences élevées mentionnées ne posent pas de problème : les économies des autres États membres du PTPGP que sont Singapour et le Vietnam se distinguent également par le rôle important des entreprises d’État, selon le diplomate chinois Long Yongtu, qui avait déjà négocié l’adhésion de la Chine à l’OMC. La Chine serait ainsi également en mesure de satisfaire à ces exigences en réformant ses entreprises d’État.

Deuxièmement, la Chine et Taïwan ayant déposé leurs demandes presque en même temps, la question se pose de savoir si ces deux candidats se barreront mutuellement l’accès ou si – comme lors de leur adhésion à l’OMC – ils parviendront à un accord en vue d’une adhésion commune, c’est-à-dire (presque) simultanée[3]. Taïwan, dont la demande d’adhésion a comme à l’OMC été déposée en tant que « territoire douanier distinct », pourrait élargir considérablement sa marge de manœuvre – aujourd’hui limitée – en matière de commerce extérieur[4].

Troisièmement, l’ampleur des négociations d’adhésion en tant que telles ne doit pas être sous-estimée : il existe des dizaines d’accords parallèles rien qu’entre les membres actuels, accords auxquels s’ajoutent des calendriers séparés pour le démantèlement des barrières douanières. Ceux-ci représentent 1133 pages uniquement dans le cas du Japon. Grâce à l’absence des États-Unis, la Chine espère pouvoir bénéficier d’une marge de manœuvre accrue en matière d’exceptions ou de délais transitoires plus longs. Dans ce processus, les membres actuels tiennent cependant le couteau par le manche face aux candidats à l’adhésion, ce qui profite aux plus petits États comme la Nouvelle-Zélande.

Berne sur la retenue


La Suisse est aussi concernée par l’extension du PTPGP. Dans une contribution parue sur le site « Ökonomenstimme » en décembre 2020, les auteurs du présent article exposaient qu’elle profiterait mieux d’une adhésion anticipée plutôt que tardive à l’accord[5]. À long terme, les règles unifiées pour l’exportation dans les pays membres du PTPGP permettraient avant tout des gains d’efficacité. Les entreprises multinationales pourraient notamment optimiser leurs chaînes de valeur, de la même façon qu’elles pourraient le faire dans le cadre d’accords bilatéraux.

Dans le cadre d’un avis émis en février 2021 à l’intention du Parlement, le Conseil fédéral a confirmé que les baisses de tarifs douaniers convenues entre les parties au PTPGP auront un impact négatif sur la compétitivité des exportateurs suisses[6]. Au vu de ces désavantages potentiels en matière de concurrence, le Conseil fédéral s’est également penché sur la possibilité d’une adhésion de la Suisse au PTPGP. Il a toutefois conclu que malgré ses avantages, une telle démarche soulèverait de nombreuses difficultés, en particulier en raison du « niveau de libéralisation très poussé de l’accord pour les produits agricoles ». En résumé, la Suisse privilégie une politique des petits pas. Au lieu de viser une intégration au sein de la zone de libre-échange aujourd’hui la plus dynamique et prochainement la plus importante au monde, Berne espère conclure des traités de libre-échange avec la Malaisie et le Vietnam.

L’échec du TTIP entre les États-Unis et l’UE a clairement montré la difficulté d’harmoniser les règles du commerce de plusieurs régions du monde. Le Royaume-Uni est aujourd’hui le premier État européen à relever ce défi dans le cadre des négociations d’adhésion au PTPGP. C’est pourquoi le Conseil fédéral a récemment déclaré suivre « de près »[7] ces négociations.

Washington sur la touche


Quelle est la position des États-Unis ? Selon Evan Feigenbaum, expert des relations entre ce pays et l’Asie, les Américains pensent à tort pouvoir gagner l’Asie par une pure politique de sécurité. L’approche de la Chine vise en revanche une intégration économique avec le plus d’acteurs possible. Elle profite là des dissensions politiques internes empêchant les États-Unis de mener une politique commerciale.

L’importance grandissante de la Chine en tant que partenaire commercial principal des États asiatiques change la donne et pousse à l’action. Le fait que l’empire du Milieu choisisse aujourd’hui d’apporter son poids au PTPGP – accord largement façonné par les États-Unis – constitue un développement surprenant aux conséquences encore peu claires.

  1. Ziltener (2020). []
  2. Voir Ziltener (2016). []
  3. Winkler (2008). []
  4. Ziltener (2018). []
  5. Ursprung et Ziltener (2020). []
  6. Interpellation 20.4390, avis du 3 février 2021. []
  7. Interpellation 21.3787, avis du 1er septembre 2021. []

Bibliographie

Bibliographie

Proposition de citation: Dominique Ursprung ; Patrick Ziltener ; (2021). Bras de fer autour de la zone de libre-échange PTPGP. La Vie économique, 28 octobre.