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Comment réglementer intelligemment ?

Quels sont les coûts et les effets d’une réglementation ? Pour certains projets de la Confédération, ces questions sont examinées dans le cadre d’analyses d’impact de la réglementation. Afin de mieux légiférer, il conviendrait toutefois d’évaluer différentes alternatives.
Vote au Conseil national. Dans l'idéal, les représentants du peuple disposent d'une analyse d'impact de la réglementation pouvant servir de base de décision. (Image: Keystone)

Pandémie de Covid-19, changement climatique, endettement de l’État, évolution technologique : les défis ne manquent pas pour les gouvernements, contraints de ce fait à une action flexible et rapide, à une collaboration à l’échelle mondiale et à de meilleures réglementations fondées sur des faits.

Le rapport « Politique de la réglementation : Perspectives de l’OCDE 2021 »[1] de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) montre comment les gouvernements peuvent améliorer la qualité et l’efficacité des lois et des réglementations. La dernière édition de ce rapport triennal donne aux décideurs et aux gens du terrain des pistes pour améliorer les politiques réglementaires, tout en mettant en évidence les tendances actuelles et futures dans ce domaine. Ces Perspectives montrent également comment la « Recommandation concernant la politique et la gouvernance réglementaires »[2] publiée par l’OCDE en 2012 a été mise en œuvre jusqu’ici. Cette recommandation fixait l’objectif commun des États membres d’améliorer leurs politiques réglementaires.

La pandémie de Covid-19 a mis en lumière l’importance des réglementations et la nécessité d’élaborer et de mettre en œuvre les règles différemment. Cela exige notamment une approche plus globale et une meilleure prise en compte des risques et des compromis. La pandémie et les chocs socio-économiques qu’elle a provoqués prouvent que, dans un environnement en rapide évolution, le régulateur doit pouvoir réagir promptement et faire preuve de résilience accrue. C’est particulièrement important face à l’accélération des changements technologiques, pour permettre aux gouvernements de tirer parti des innovations tout en assurant la protection de leurs citoyens et de l’environnement.

Nouvelles directives pour la Suisse


L’analyse d’impact de la réglementation (AIR) est une aide précieuse à la décision lors de l’élaboration des textes. Elle fournit des informations objectives sur les bénéfices et les coûts probables de certaines approches réglementaires et évalue de manière critique les différentes alternatives possibles, intégrant même l’option de renoncer à réglementer. L’AIR est un processus itératif qui doit être mené et révisé parallèlement à l’élaboration des mesures politiques. C’est uniquement ainsi que le résultat des analyses peut influencer le processus réglementaire en cours.

L’indicateur global des exigences et pratiques des pays en matière d’AIR ne montre pas d’amélioration significative au cours des trois dernières années[3]. Selon le rapport de l’OCDE sur les perspectives en matière de politique de la réglementation, le Chili, la Grèce, Israël, la Lettonie, le Portugal et l’Espagne ont pourtant mené des réformes substantielles. La Suisse a aussi pris récemment certaines mesures : conformément aux directives de 2019 du Conseil fédéral, toute nouvelle réglementation doit désormais être soumise à un examen rapide (« quick check »). Cette pratique, en vigueur dans la plupart des pays de l’OCDE, doit permettre de déterminer s’il est nécessaire ou non de procéder à un examen approfondi des textes. L’ampleur de l’analyse à mener par les décideurs politiques doit être adaptée aux effets attendus du projet de réglementation concerné. Près de 15 % des États membres de l’OCDE n’ont pas encore introduit ce type de procédure.

Ill. 1 : Analyses d’impact de la réglementation au sein de l’OCDE (2021)




* Seuls sont indiqués les résultats des États membres dans lesquels l’exécutif est à l’origine du plus grand nombre de lois.

Remarque : les données concernent 38 États membres de l’OCDE et l’UE. Les indicateurs relatifs à la politique et à la gouvernance réglementaires (iREG) se composent de quatre catégories équipondérées : « Adoption systématique », « Méthodologie », « Contrôle et suivi de la qualité » et « Transparence ». Le score global maximal est 4. Le relevé évalue les pratiques réglementaires sur la base de la recommandation de 2012 (voir OCDE, 2012).

Source : enquête 2021 de l’OCDE sur les indicateurs relatifs à la politique et à la gouvernance réglementaires (iREG) / La Vie économique.

Dans leurs AIR, les États membres de l’OCDE se concentrent sur l’analyse des coûts des projets réglementaires et négligent souvent l’évaluation des bénéfices attendus. Cela semble aussi être le cas en Suisse, où l’obligation de quantifier les coûts de la réglementation a été étendue et généralisée en 2019, alors qu’une moindre importance est accordée à la quantification des bénéfices sociaux des projets. Il est pourtant essentiel de déterminer et d’évaluer les avantages attendus d’un projet réglementaire pour démontrer que son coût se justifie et qu’il sert l’intérêt public. Une telle démarche permet en outre de montrer qu’il existe des solutions réglementaires plus avantageuses que le statu quo.

En matière de politique environnementale et dans le contexte du changement climatique, la décision de ne rien faire pourrait coûter cher. Dans d’autres domaines, l’absence de réglementation pourrait au contraire produire de meilleurs résultats, notamment si les règles sont mal conçues ou trop peu appliquées. C’est le cas dans les domaines nouveaux, caractérisés par un haut degré d’incertitude, où l’abstention du régulateur peut par exemple favoriser l’émergence de solutions innovantes qui n’auraient pas pu naître dans un environnement réglementé.

Trop peu d’options évaluées


L’AIR ne doit pas être appliquée qu’aux solutions politiques privilégiées, mais à toutes les alternatives envisageables[4]. Aujourd’hui, les décideurs politiques se concentrent souvent uniquement sur les coûts de l’option privilégiée. Ils n’ont donc pas les informations suffisantes pour décider de la nécessité d’adopter ou non une réglementation. Dans plus de 80 % des États membres, l’analyse doit porter sur les conséquences de la politique retenue et sur celles des alternatives réglementaires. Peu de pays prévoient une obligation d’évaluer les effets d’alternatives non réglementaires, comme des campagnes d’information, et lorsqu’ils le font, ils n’examinent généralement qu’une seule option non réglementaire, à l’instar de la Suisse.
Pour mener une analyse objective, les décideurs politiques doivent comprendre la situation et prendre en compte toutes les options envisageables afin d’examiner sérieusement la plus grande palette possible d’alternatives. Ils se donnent ainsi les moyens de trouver la solution optimale et de maximiser le bien-être social. Pour trouver des alternatives, il faut souvent recueillir des informations auprès des parties concernées, ce qui contribue à une meilleure acceptation et à un meilleur respect des réglementations.

Les parties prenantes sont des acteurs essentiels de la politique réglementaire, parce qu’elles contribuent à démontrer l’applicabilité des règles proposées et mettent en évidence des options alternatives qui n’avaient pas été prises en compte par les décideurs politiques. En Suisse, les milieux concernés peuvent prendre position sur tous les projets de lois[5] et d’ordonnances[6] importantes dans le cadre de consultations en ligne d’une durée d’au moins douze semaines. Lorsque les consultations sont annoncées à l’avance, les parties concernées peuvent s’organiser pour concentrer leurs efforts sur les projets qui les touchent le plus. Ces acteurs participent à l’amélioration des mesures politiques dès leur conception. La Suisse est l’un des huit États membres de l’OCDE qui informe systématiquement les parties prenantes qu’elles seront consultées dans le cadre de l’élaboration d’un projet de réglementation.

L’évaluation des règles reste rare


Une fois adoptées, les réglementations devraient être régulièrement évaluées pour pouvoir continuer à produire les meilleurs résultats possibles pour la population. Pourtant, seul un quart des États membres de l’OCDE ont prévu des obligations systématiques en ce sens. La Constitution fédérale suisse prévoit certes l’obligation d’évaluer l’efficacité des mesures politiques prises par les autorités fédérales, mais cet examen n’est que partiellement obligatoire en matière réglementaire. Près de la moitié des membres de l’OCDE dont les lois contiennent des dispositions sur l’évaluation prévoient aussi un examen des dispositions de l’échelon réglementaire. Environ 60 % de ces États incluent par ailleurs des clauses d’expiration dans leurs ordonnances[7].

Comme les autres États membres, la Suisse dispose d’une marge substantielle pour adapter ses réglementations à la pratique. En matière d’exigence et de mise en œuvre d’évaluations ex post, elle est en dessous de la moyenne de l’OCDE (voir illustration 2). Certes, il existe des mécanismes de coordination dans l’ensemble de l’administration suisse et certains offices fédéraux sont dotés de services d’aide à l’évaluation, mais aucune disposition formelle ne prévoit que les évaluations doivent contenir une analyse coûts-bénéfices. En conséquence, les évaluations ne comparent qu’occasionnellement les effets réels des réglementations avec les résultats anticipés par les AIR et les conséquences inattendues ne sont pas systématiquement identifiées.

Ill. 2 : Évaluation ex post des textes législatifs au sein de l’OCDE (2021)




* Seuls sont indiqués les résultats des États membres dans lesquels l’exécutif est à l’origine du plus grand nombre de lois.

Remarque : les données concernent 38 États membres de l’OCDE et l’Union européenne. Les indicateurs relatifs à la politique et à la gouvernance réglementaires (iREG) se composent de quatre catégories ayant la même pondération : « Adoption systématique », « Méthodologie », « Contrôle et suivi de la qualité » et « Transparence ». Le score global maximal est 4. Le relevé évalue les pratiques réglementaires sur la base de la recommandation de 2012 (voir OCDE, 2012).

Source : enquête 2021 de l’OCDE sur les indicateurs relatifs à la politique et à la gouvernance réglementaires (iREG) / La Vie économique.

Adaptations nécessaires


Les Perspectives de l’OCDE concluent que la politique réglementaire peut gagner en agilité et en souplesse et être fondée sur les risques. C’est même une nécessité pour faire face aux défis mondiaux du changement climatique, des crises de santé publique et du creusement des inégalités. Les outils conventionnels de gestion de la réglementation comme les AIR, l’implication des parties concernées et les évaluations ex post doivent être adaptés à ces nouveaux défis et prendre en compte les opportunités qu’offre le changement.

Ces changements sont nécessaires si les gouvernements veulent tirer parti de l’évolution rapide et généralisée des technologies et se remettre plus rapidement et durablement des crises sanitaires et économiques telles que la pandémie de Covid-19. Le rapport montre en outre que les pays peuvent faire de gros progrès en améliorant certains aspects de la réglementation. Si les gouvernements veulent tenir leurs promesses envers leurs citoyens, il est urgent que les mentalités changent.

Cela implique notamment une participation plus large des parties prenantes, y compris de certains acteurs étrangers. Par ailleurs, toutes les options viables pour résoudre les problèmes de politique publique et pour mieux utiliser les technologies doivent être prises en compte. L’ensemble de ces mesures permettra de concevoir de meilleures lois et de garantir une plus grande souplesse dans leur mise en œuvre (par exemple à travers des « bacs à sable » réglementaires, etc.).

  1. Voir OCDE (2021). Le présent article s’appuie sur cette publication. []
  2. OCDE (2012). []
  3. Pour plus d’informations sur la composition des indicateurs globaux, voir Arndt, C. et al. (2015). []
  4. OCDE (2020a). []
  5. Les lois sont des actes législatifs devant être approuvés par le Parlement (OCDE, 2021). []
  6. Les ordonnances sont des actes législatifs adoptés par une autorité autre que le Parlement (OCDE 2021). []
  7. Pour plus d’informations sur les dispositions d’évaluation et les évaluations ex post, voir OCDE 2020b. []

Bibliographie

Bibliographie

Proposition de citation: Christiane Arndt-Bascle ; Paul Davidson ; Marie-Gabrielle de Liedekerke ; (2021). Comment réglementer intelligemment . La Vie économique, 23 décembre.