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Finance numérique : un nouveau rôle pour la Confédération

Les nouvelles technologies modifient fondamentalement la place financière suisse. La Confédération veille à garantir des conditionscadres optimales et prend une part plus active au dialogue en s’efforçant d’orienter les débats.
Une salle de serveurs de la société de cryptographie Alpine Mining à Gondo (VS). (Image: Keystone)

Le monde et, partant, la place financière sont toujours plus numérisés et interconnectés. Leurs composantes physiques et virtuelles s’imbriquent de manière croissante. L’emploi des nouvelles technologies numériques a des effets sur les acteurs, leur coopération et la fourniture des services financiers. Cette évolution, qui crée des opportunités et des risques inédits pour la place suisse, soulève une question : comment, dans un monde interconnecté, transposer et utiliser de manière optimale pour la place financière les forces traditionnelles de la Suisse que sont la stabilité, la sécurité et la confiance ?

Depuis des années, la Confédération suit attentivement ces mutations et leurs effets sur la place financière du point de vue du droit (de la surveillance). Les textes de loi ont été adaptés ponctuellement lorsque la promotion de l’innovation et la sécurité du droit l’exigeaient. La Confédération a déjà posé d’importants jalons[1] en instaurant le principe du « bac à sable » dans le droit bancaire en 2017, la nouvelle licence fintech en 2019 et, récemment, le projet de loi sur la TRD[2].

Une perspective holistique


Compte tenu de la rapidité des développements, de la course à l’innovation et de la concurrence internationale, une vision plus globale est souhaitable en marge des travaux de régulation « classiques » menés par les autorités. C’est pourquoi le Conseil fédéral présentera au printemps 2022 un rapport sur la finance numérique et sur les possibilités de renforcer la place financière suisse. Ce rapport servira de base à des études plus approfondies et fixera des priorités.

Étant donné que l’exploitation et la protection des données, les nuages, la cybersécurité, l’intelligence artificielle, la technologie des registres distribués (TRD) et le développement durable transforment le marché financier, le Secrétariat d’État aux questions financières internationales (SFI) doit s’emparer de ces thèmes transversaux pour ouvrir de nouvelles perspectives marché financier. À cet effet, il coopère avec l’ensemble des offices, autorités et associations de branche concernés.

Les autorités interviennent de plus en plus à titre de partenaire actif dans le débat entre acteurs traditionnels et nouveaux arrivants et jouent le rôle de lanceurs de thèmes à l’échelon national et international. Outre sa fonction législative, l’État agit comme un coordinateur et un catalyseur, il encourage le développement de normes sectorielles, détecte précocement les préoccupations de la branche et les nouvelles tendances internationales et inscrit de nouveaux thèmes à l’ordre du jour.

La finance ouverte


La « finance ouverte » est l’un de ces thèmes pour lesquels la Confédération joue un rôle de coordinatrice et de catalyseur. Elle désigne l’utilisation conjointe de données financières, à la demande du client, par l’intermédiaire d’interfaces sûres et standardisées. Cette pratique constitue un changement de paradigme, car elle donne au client la maîtrise de ses données et favorise l’émergence de nouveaux modèles de collaboration. Une étude récente confirme l’intérêt de la population suisse pour les services faisant appel à la finance ouverte (gestion des cartes, polices d’assurance ou abonnements par application)[3].

Même si les approches des autorités et le degré de maturité de la finance ouverte sont très disparates dans le monde, son potentiel est encore peu exploité, notamment en Suisse. Ce pays a en effet pris du retard dans certains domaines de la finance ouverte, mais fait œuvre de pionnier dans d’autres secteurs comme celui de la « fortune ouverte », qui propose des interfaces de programmation dédiées à la gestion de fortune.

Le Conseil fédéral est favorable à des interfaces de données ouvertes et standardisées dans le secteur financier suisse[4]. Le Département fédéral des finances (DFF) a exprimé ses attentes envers la branche concernant les progrès à réaliser en matière d’ouverture et de normalisation et collabore étroitement avec elle. Outre des échanges approfondis sur les travaux techniques (p. ex. la normalisation des interfaces), le DFF réunit régulièrement les parties prenantes pour discuter de questions stratégiques et des mesures à prendre dans le domaine de la finance ouverte en Suisse. Il joue à la fois le rôle de trait d’union et de facilitateur.

La TRD, une tendance de fond


La technologie des registres distribués (TRD) représente une autre tendance de fond. Le Conseil fédéral en a rapidement identifié le potentiel et a clarifié dès 2018 le cadre juridique nécessaire aux applications de la TRD dans le secteur financier[5].

Des modifications législatives ponctuelles ont ainsi été initiées sur la base de ce rapport (projet de loi sur la TRD). Il est notamment apparu que des adaptations rapides aux développements technologiques étaient possibles : les deux conseils ont approuvé à l’unanimité le projet de loi sur la TRD en septembre 2019. Sur le plan matériel, dix lois fédérales couvrant différents domaines ont été adaptées.

Quant à la méthode, c’est l’approche dite ascendante qui a été retenue : les marchés et la société sélectionnent les technologies, tandis que les responsables politiques veillent à instaurer un cadre optimal et propice à l’innovation. Outre les procédures d’audition et de consultation habituelles, une table ronde consacrée à la TRD a ainsi réuni des représentants de la branche sous l’égide du conseiller fédéral Ueli Maurer, chef du DFF. Par ailleurs, la Confédération défend au sein d’organismes internationaux tels que le Conseil de stabilité financière l’idée d’une réglementation favorable à l’innovation.

En ce qui concerne l’avenir, il semble crucial que la Confédération suive l’évolution de la technologie et se demande de façon continue, en concertation avec la branche, dans quels domaines s’impliquer. Ce peut être par l’action législative (p. ex. l’utilisation de la TRD dans le domaine des placements collectifs de capitaux) ou en assurant la coordination des acteurs concernés.

  1. Voir l’article de Marlene Amstad et Thomas Lustenberger (FINMA) sur ce thème. []
  2. Adaptation du droit fédéral aux développements de la technologie des registres électroniques distribués (« projet de loi sur la TRD »). []
  3. Mastercard (2021). []
  4. Conseil fédéral (2020). []
  5. Conseil fédéral (2018). []

Bibliographie

Bibliographie

Proposition de citation: Peter Stutz ; Andrea Weber ; Nicolas Brügger ; Lukas Staub (2021). Finance numérique : un nouveau rôle pour la Confédération. La Vie économique, 23 décembre.