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Gare à la dispersion !

En Suisse et en Europe, des parlements adoptent un ensemble hétéroclite de mesures réunies sous l’appellation générique d’«économie circulaire». Mais ils pratiquent ainsi une politique des symboles qui se trompe souvent de cibles. Quatre critères concrets pourraient pourtant garantir l’objectivité du débat.
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Le débat sur les déchets plastiques détourne l’attention de problèmes plus urgents. Une œuvre d’art réalisée à partir de bouteilles en plastique, exposée lors de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement en mars 2022 à Nairobi. (Image: Keystone)

Le passage d’une économie linéaire à une économie circulaire est certes très prometteur, mais sa concrétisation reste vague et génère une avalanche de revendications et d’actions militantes. Les parlements cantonaux et les Chambres fédérales croulent sous des interventions parlementaires qui proposent une alternance d’idées originales et de propositions réchauffées, allant d’un moratoire sur la construction de nouvelles usines d’incinération à l’interdiction des sachets en plastique jetables.

Ces points de vue diamétralement opposés sur la manière de concrétiser l’économie circulaire aboutissent à une dispersion des mesures, le discours politique s’enlisant trop souvent dans des détails. Ce foisonnement relègue au second plan les grandes lignes d’action et les critères d’évaluation des mesures et rend les frontières toujours plus floues entre la politique climatique, le recyclage et l’économie circulaire.

Le plastique, un élément négligeable

La question des déchets plastiques, qui monopolise souvent le débat au détriment d’autres problèmes environnementaux, en est un bon exemple: son intense médiatisation ces dernières années a fortement sensibilisé la population à cette thématique. À l’évocation de ce problème, ce sont inévitablement des images de plages polluées dans des pays en développement qui nous viennent à l’esprit.

Or, le plastique ne représente même pas 1% du volume total des déchets en Suisse[1]. Les mesures draconiennes adoptées par certaines villes pour réduire la quantité de déchets rejetée dans l’environnement semblent dès lors disproportionnées. En 2020, Genève a par exemple banni tous les emballages en plastique jetables de son territoire. Un an auparavant, la ville de Neuchâtel voulait, dans le même ordre d’idée, interdire les pailles en plastique, mais le canton lui a fait faire marche arrière. L’Union européenne n’est pas non plus à l’abri de cette politique des symboles: elle a interdit, en 2021 déjà, toute une gamme d’articles en plastique, tels que les pailles, la vaisselle jetable ou les cotons-tiges. Et en 2024, elle bannira de son territoire les couvercles en plastique (PET) détachables de leurs bouteilles.

On passera sur le côté peu pratique de cette solution européenne, gênante pour qui veut boire au goulot, car il y a bien plus préoccupant: les responsables politiques ne parviennent pas à prendre des mesures autrement plus efficaces. On estime en effet que les couvercles en plastique ne représentent même pas 1% de tous les déchets jonchant l’environnement[2]. Par conséquent, on fait miroiter une prétendue solution dont l’efficacité réelle est en fait marginale.

L’idée que le plastique est un matériel problématique s’est imposée dans les esprits; des personnes interrogées dans le cadre d’un  ont même jugé que l’abandon des sacs en plastique était la mesure la plus efficace pour réduire leurs émissions individuelles de CO2[3]. Or, si on songe que 46% des déchets plastiques des océans sont composés de filets de pêche[4], on comprend que les pailles et les sacs en plastique utilisés en Suisse ne jouent qu’un rôle négligeable dans la pollution marine. Les fleuves d’Amérique et d’Europe ne rejettent en tout qu’un peu plus de 1% de tous les déchets charriés dans les mers[5].

En Suisse également, seule une fraction de la pollution aux microplastiques provient des sacs et pailles en plastique, tandis que la plus grande partie – 90% environ – a son origine dans l’abrasion des pneus[6], un problème environnemental qui ne se résoudra ni en passant aux véhicules électriques, ni en mettant en place des filières de recyclage du plastique ni même en interdisant certains produits ou emballages.

Quatre critères pour comparer les mesures

Puisque l’abandon des pailles et des sacs en plastique ne fait guère progresser l’économie circulaire, quelles sont les mesures qui s’imposent ? Quatre critères pourraient apporter ici un éclairage: effectivité, efficience, vérité des coûts et neutralité technologique.

L’effectivité comporte deux dimensions: pour être efficace, toute mesure doit en premier lieu concerner la proportion la plus élevée possible de déchets (portée). En langage figuré, on pourrait parler de la taille du levier actionné. En second lieu, cette mesure doit réduire autant que possible l’impact sur l’environnement (échelle). L’effectivité avérée d’une mesure ne garantit cependant nullement qu’elle soit souhaitable pour la société.

En conséquence, il faut aussi tenir compte de l’efficience, qui donne la primauté aux considérations de nature économique. On oublie fréquemment de juger l’utilité écologique d’une mesure à l’aune de son coût monétaire. Il est cependant important de comparer l’efficience de plusieurs mesures, car une solution de remplacement peut présenter une plus grande utilité écologique pour un coût équivalent.

Souvent, tout moyen semble justifié par l’urgence de la situation, quel que soit son coût. Or, chaque poste d’un budget entre inévitablement en concurrence avec d’autres dépenses. Subventionner un système d’économie circulaire à grand renfort de millions signifierait devoir réduire les investissements dans l’éducation ou la santé, par exemple. En conséquence, Il est crucial d’utiliser les moyens financiers alloués de la façon la plus efficiente possible en prenant en compte les coûts d’opportunité. Il existe pour cela des indicateurs qui permettent de procéder à une comparaison objective des diverses solutions envisageables, notamment l’Indicateur d’éco-efficacité (Specific-Eco-Benefit-Indicator, Sebi)[7] qui compare les unités de charge écologique (UCE) aux coûts occasionnés.

Le troisième critère et, dans une perspective libérale, la véritable cheville ouvrière de l’économie circulaire, est la vérité des coûts: si les responsables des externalités négatives supportaient entièrement les coûts que celles-ci génèrent, les particuliers et les entreprises seraient réellement incités à chercher des solutions compatibles avec l’esprit de l’économie circulaire. Accorder davantage d’importance aux critères environnementaux dans les appels d’offres serait un premier pas dans cette direction.

Enfin, il faut tenir compte du critère de neutralité technologique. Celui-ci stipule que c’est l’objectif qui doit être fixé, non la technologie ou le procédé choisi pour y parvenir. Interdire certaines technologies ou méthodes pourrait en effet avoir des effets pervers. Les couverts jetables en bois, par exemple, pourraient selon leur provenance ou la qualité de leur emballage avoir une empreinte écologique plus élevée que la vaisselle en plastique[8]. Dès lors, l’interdiction du plastique jetable pourrait, dans certaines circonstances, enfreindre le principe d’efficience et serait, dans tous les cas, contraire aux principes de l’effectivité, de la vérité des coûts et de la neutralité technologique. Sans compter qu’une telle interdiction ne garantirait nullement que le bois utilisé s’intègre dans l’économie circulaire.

Passer de l’idéologie à l’objectivité

Ces quatre critères peuvent aider le monde politique à éviter le piège de l’idéologie, car l’économie circulaire suscite des convoitises qui peuvent pousser les responsables politiques à étendre encore davantage les compétences de l’État ou à dissimuler les intentions réelles à l’origine d’une mesure, comme le protectionnisme.

L’économie circulaire n’est pas une fin en soi: elle vise à réduire l’empreinte écologique par l’adoption de mesures à la fois effectives et efficientes. Si la vérité des coûts et la neutralité technologique sont garanties et que le modèle économique linéaire classique se révèle malgré tout plus avantageux, il ne faut pas vouloir à tout prix boucler le cycle économique. Dans ce cas, l’État n’aura guère besoin d’adopter des dispositions détaillées concernant la fabrication, la distribution ou la commercialisation des produits et pourra s’en remettre au secteur privé la conscience tranquille.

  1. OFEV (2021a) et (2021b).- []
  2. WWF (2018). []
  3. Donanto (2019). []
  4. Nature (2018). []
  5. Lebreton et coll. (2017). []
  6. Empa (2019). []
  7. Stäubli, Pohl et Bunge (2017). []
  8. Fischer (2020). []

Bibliographie

Bibliographie

Proposition de citation: Dümmler, Patrick; Bonato, Mario (2022). Gare à la dispersion ! La Vie économique, 15. mars.