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La croissance du trafic en baisse d’ici à 2050

Le trafic en Suisse croît à un rythme plus lent que la population et l’économie. D’ici à 2050, des tendances comme le travail à domicile, l’urbanisation et le vieillissement démographique ralentiront en particulier la croissance du trafic voyageurs.
D’ici 2050, ce sont surtout les déplacements liés aux loisirs qui augmenteront. L’autoroute du Gothard à la tombée de la nuit (Image: Alamy)

Comment évoluera le trafic en Suisse d’ici à 2050? Dans son scénario «Base», l’Office fédéral du développement territorial (ARE) anticipe une croissance du trafic voyageurs de 11% par rapport à l’année de référence 2017, pour atteindre 138 milliards de personnes-kilomètres[1]. Une progression modeste comparée à la croissance démographique: la Suisse devrait compter 10,4 millions d’habitants en 2050, en hausse de 20% par rapport à 2017. Ce découplage représente un revirement de tendance, puisque le trafic voyageurs avait toujours connu une croissance au moins aussi forte que celle de la population. Le scénario «Base» s’appuie sur le rapport «Mobilité et territoire 2050: Plan sectoriel des transports, partie Programme»[2], et part de l’hypothèse d’une mise en œuvre cohérente de l’aménagement du territoire et de la planification des transports.

Outre la croissance démographique, un deuxième facteur influencera la mobilité des personnes: la progression des déplacements de loisirs. Ceux-ci englobent les activités à l’extérieur autres que le sport, comme se promener, rendre visite à des parents ou à des amis, ou encore aller au restaurant. Entre 2017 et 2050, les déplacements de loisirs augmenteront de 41% (voir illustration 1). Les déplacements liés aux achats seront aussi en hausse, même si leur progression de plus de 15% jusqu’en 2050 sera moins forte que celle de la population. Le commerce en ligne fait ici l’effet d’un frein en augmentant les livraisons à domicile et en diminuant les déplacements d’achats par habitant.

Les déplacements liés au travail reculeront de 13% par rapport à l’année de référence 2017. Une raison tient au vieillissement démographique: la part des actifs occupés dans la population tombera à 49% en 2050, ce qui correspond à une baisse de 5 points. La moitié des personnes pouvant télétravailler feront usage de cette possibilité. En conséquence, le trafic pendulaire diminuera en proportion. Les mutations dans le monde du travail exerceront ainsi une influence majeure sur l’évolution du transport.

Ill. 1: Déplacements effectués (évolution entre 2017 et 2050)

Remarque: le graphique présente le nombre de déplacements par personne. Si l’on considère les personnes-kilomètres, la hausse n’est que de 11%. Source: ARE (2021) / La Vie économique

 

L’urbanisation influence également la mobilité des individus. En 2050, l’espace urbain sera plus densément peuplé qu’aujourd’hui. Moins de personnes posséderont une voiture, alors que les titulaires d’abonnements TP seront plus nombreux.

Les mesures de politique des transports constituent un autre facteur d’influence. L’internalisation partielle des coûts externes [3] (hors climat) induits par le bruit et la pollution à partir de 2035 entraînera un coût additionnel de 4 centimes par véhicule-kilomètre en 2050. Le scénario inclut en outre une taxe de compensation sur le CO2 pour les voitures qui rouleront encore à l’essence ou au diesel en 2035. Cette taxe de 1 centime par véhicule-kilomètre aura toutefois peu d’influence à long terme, car la plupart des véhicules seront équipés de moteur à propulsion électrique en 2050.

Dans les transports publics, l’internalisation des coûts externes entraînera une hausse des coûts de près de 2 centimes par personne-kilomètre. La part du trafic automobile dans l’ensemble du trafic reculera de 73% en 2017 à 68% en 2050. Les transports publics progresseront de 3 points de pourcentage à 24%. La part modale du trafic piéton augmentera légèrement pour atteindre 4%. Celle du vélo doublera, passant de 2% à 4%.

Les services freinent le trafic marchandises

Le transport de marchandises devrait représenter 36 milliards de tonnes-kilomètres en 2050, soit 31% de plus qu’en 2017 (voir illustration 2). Cette progression sera toutefois inférieure à celle du produit intérieur brut, en hausse de 57%. Ce découplage a déjà été observé par le passé. trouve sa cause dans la forte progression des services, qui génèrent moins de transports de marchandises que les activités industrielles. Des secteurs comme la fabrication de matériaux de construction et l’industrie agroalimentaire, responsables d’une forte demande de transport, enregistreront jusqu’en 2050 une croissance inférieure à la moyenne. En outre, la décarbonisation fera diminuer les importations de carburants et d’huile de chauffage.

Ill.2. Transport de marchandises (en 2017 et en 2050)

Sources: ARE (2021) / La Vie économique

 

Les variations dans la nature des marchandises transportées se répercutent sur le choix des moyens de transport. Le recul du transport de combustibles fait perdre au rail un marché important. En dépit du relèvement de 35% de la redevance poids lourds liée aux prestations (RPLP) et de son extension à moyen terme aux véhicules à propulsion électrique, ainsi que des progrès techniques réalisés dans le domaine ferroviaire tel le couplage automatique des wagons, la part du rail dans le transport de marchandises ne progressera que de 2 points pour atteindre 39%. Le principal moteur de cette évolution est le trafic de transit: la part du rail dans ce segment devrait atteindre 83%, grâce notamment au projet de Nouvelle ligne ferroviaire à travers les Alpes (NLFA).

La part modale de la route en tonnes-kilomètres tombera à 61% en 2050. En termes de véhicules-kilomètres, les véhicules utilitaires légers se taillent la part du lion. Ils sont responsables aujourd’hui déjà d’environ 70% des kilomètres parcourus pour le transport routier de marchandises. En 2050, cette part sera de 76%.

La forte croissance de l’utilisation des véhicules utilitaires légers a plusieurs raisons. Il s’agit d’abord du moyen de transport favori des artisans et des petites et moyennes entreprises (PME), dont l’activité croît à un rythme similaire à celui du produit intérieur brut. Ensuite, avec l’essor du commerce en ligne, la part des kilomètres parcourus pour des services de livraison de colis va augmenter: la part du segment «courrier et colis» passera en effet de 7% en 2017 à 11% en 2050. Les véhicules utilitaires légers devraient marquer fortement le paysage routier ces trente prochaines années.

Casser les heures de pointe

Dans l’ensemble, l’utilisation de la voiture devrait continuer à augmenter jusqu’en 2035, avant de reculer légèrement. Durant les jours ouvrés, le réseau routier suisse sera néanmoins plus encombré en 2050, du fait de la hausse des kilomètres parcourus par les véhicules utilitaires. La charge de trafic sur les routes aux heures de pointe sera donc plus élevée qu’aujourd’hui.

La mobilité des personnes sera marquée par une augmentation des déplacements de loisirs et par la réduction des trajets domicile-travail. Ces derniers ayant plus souvent lieu aux heures de pointe que le trafic de loisirs, cette évolution pourrait potentiellement estomper les pics de trafic. Selon les prévisions, le pic de trafic du matin devrait effectivement s’alléger. En revanche, comme les déplacements de loisirs ont plutôt lieu en soirée, aucun allégement du trafic voyageur n’est anticipé concernant le pic de trafic du soir.

Autres scénarios

 Outre le scénario «Base» décrit ci-dessus, l’ARE a élaboré et calculé trois autres scénarios («Statu quo», «Société durable» et «Société individualisée») comportant diverses hypothèses. Ces scénarios servent à présenter le champ des développements possibles et à livrer des bases robustes aux planificateurs. Les différentes variables font fortement varier les résultats, notamment dans le transport de voyageurs. Dans le trafic marchandises, les différences sont moindres, car la branche connaît peu de fluctuations.

Dans le scénario «Statu quo», le transport de voyageurs enregistre une croissance de 20%, similaire à celle de la population. Ce scénario doit s’entendre comme le prolongement des tendances observées jusqu’à présent. Il repose sur un cadre social et réglementaire pratiquement inchangé. Le scénario «Société durable» est caractérisé par une conscience marquée de la responsabilité envers la société et l’environnement. Les individus accordent plus d’importance aux services durables qu’à la possession de biens ; le sens du partage est important et la vie dans l’espace urbain gagne en attrait. Le pouvoir politique utilise des instruments qui renchérissent l’utilisation de la voiture privée. Il résulte de ces hypothèses une progression de 6% seulement des personnes-kilomètres entre 2017 et 2050, ce qui représente la plus faible hausse.

Dans le scénario «Société individualisée», la possession d’une voiture est considérée comme allant de soi. Les nouveaux quartiers se développent moins dans l’espace urbain et davantage dans les espaces ruraux et intermédiaires. Les subventions aux transports publics diminuent, de sorte que leurs coûts augmentent par rapport à la voiture, dont les coûts d’utilisation restent bas. Ce scénario enregistre les nombres de véhicules-kilomètres et de personnes-kilomètres sur la route les plus élevés. Le nombre de personnes-kilomètres dans les transports publics est légèrement supérieur à celui d’aujourd’hui. Tous modes confondus, la hausse du nombre de personnes-kilomètres jusqu’en 2050 est de 16% dans ce scénario.

  1. ARE (2021a). []
  2. ARE (2021c). []
  3. ARE (2021b). []

Bibliographie

Bibliographie

Proposition de citation: Andreas Justen ; Raphaël Lamotte ; Nicole A. Mathys (2022). La croissance du trafic en baisse d’ici à 2050. La Vie économique, 09 mars.