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Les finances publiques privilégient-elles certaines générations?

Il est difficile d’évaluer dans quelle mesure les finances publiques profitent à certaines générations plutôt qu’à d’autres. En revanche, cet impact peut être quantifié pour une réforme budgétaire, par exemple celle de l’AVS.
Quelle génération supportera la charge principale de l'AVS? (Image: Alamy)

La dette publique pèsera-t-elle trop lourdement sur les générations futures? La dette explicite suisse est basse en comparaison internationale, mais la même question se pose pour les engagements pris par l’État. Pourra-t-il les tenir concernant l’assurance-vieillesse et survivants (AVS) sans trop pénaliser les jeunes et les futures générations? La charge financière de ces engagements n’apparaît pas dans la dette explicite: c’est ce qu’on appelle la dette implicite. Il existe une méthodologie pour traiter ces questions: la comptabilité générationnelle, qui a ses avantages et ses inconvénients (voir encadré 1). La conseillère nationale vert’ libérale Kathrin Bertschy a déposé un postulat[1] demandant l’actualisation de la comptabilité générationnelle réalisée en 2004 pour le Seco[2]. L’actualisation effectuée par Ecoplan et DIA Consulting SA sur mandat de l’Administration fédérale des finances (AFF) a été publiée en décembre 2021 et a servi de base à la réponse du Conseil fédéral à ce postulat[3],[4].

Évolution des lacunes de financement

L’instrument le plus utilisé pour analyser la durabilité des finances publiques est le «rapport de durabilité des finances publiques». Il s’est imposé comme norme internationale auprès du Fonds monétaire international (FMI) et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). En Suisse, le Département fédéral des finances publie tous les quatre ans ses perspectives à long terme. L’édition 2021 évalue la viabilité des finances publiques à l’horizon 2050[5]. Ecoplan / DIA (2021) l’étudie aussi, mais sur un horizon encore plus lointain.

La contribution des assurances sociales à la lacune de financement[6] augmentera jusqu’en 2050 et restera relativement stable dès 2100. En revanche, elle diminuera si les rentes AVS continuent d’évoluer selon l’indice mixte (à l’inverse, l’étude suppose que ces dernières suivent la productivité à partir de 2100). En 2018, l’assurance maladie obligatoire, et surtout les budgets Confédération/cantons/communes, généraient des excédents. Le premier poste restera neutre en 2050 et le second le deviendra presque, tous deux continuant ensuite d’augmenter. Après 2100, ce sont surtout les dépenses de l’État et l’assurance maladie obligatoire qui aggraveront la lacune de financement, alors que la contribution de l’AVS/AI/APG restera constante, bien que toujours importante.

En l’absence de réformes, le taux d’endettement augmente constamment pour devenir insoutenable. À moyen et long terme, des réformes sont nécessaires pour assurer la pérennité des financements. Le type et le calendrier de ces éventuelles réformes détermineront quelles générations porteront ce fardeau.

Augmentation de l’âge de la retraite: préférable pour les jeunes

Ecoplan / DIA (2021) étudie des réformes stylisées qui ne correspondent pas nécessairement aux détails des réformes actuellement envisagées, mais permettent de saisir l’impact de divers types de réformes sur différentes classes d’âge. Parmi celles-ci, mentionnons l’augmentation des cotisations AVS et celle de l’âge de la retraite. Ces deux réformes ne touchent pas les personnes déjà à la retraite au moment de la réforme et ont par ailleurs des impacts intergénérationnels différents. L’augmentation de l’âge de la retraite impacte particulièrement ceux qui sont relativement proches de cette échéance.

Les plus jeunes subiront eux aussi pleinement l’augmentation de l’âge de la retraite, mais cela représente une part plus faible de leurs futurs revenus (qui peut donc être plus facilement compensée par une augmentation de ceux-ci). Un assainissement par une augmentation des cotisations AVS toucherait en revanche plus durement les jeunes, puisqu’ils cotiseraient plus longtemps que les actifs plus âgés. Ecoplan / DIA (2021) quantifie ces impacts. Contrairement à ces deux réformes, une augmentation de la TVA toucherait également les retraités. L’augmentation d’impôt affecte toutefois davantage les jeunes classes d’âge que les plus âgées, même en proportion de leurs revenus futurs.

Impact intergénérationnel des dépenses liées au coronavirus

De nombreuses dépenses supplémentaires de l’État dues à la pandémie ne sont pas spécifiques à l’âge (soutien à la culture, transports, coûts des tests Covid, etc.). Certains de ces transferts, tels que les prestations de chômage partiel, disparaissent toutefois au départ à la retraite. L’impact intergénérationnel dépend de l’éventualité d’un remboursement de la dette Covid et, le cas échéant, des modalités de celui-ci.

Enfin, l’étude d’Ecoplan / DIA (2021) présente aussi un intérêt méthodologique. Elle montre ainsi que la lacune de financement est un indicateur nettement plus robuste que la dette implicite pour évaluer la viabilité de dette publique: la lacune de financement dépend en effet beaucoup moins de l’horizon temporel considéré et des hypothèses sur le taux de croissance de la productivité ou le taux d’actualisation.

Un instrument utile, mais à interpréter avec prudence

En considérant un horizon temporel plus éloigné que celui des rapports de durabilité des finances publiques, la comptabilité générationnelle repère les moteurs de l’évolution des finances publiques à plus long terme. Les hypothèses utilisées sont toutefois entachées de fortes incertitudes. Il est donc important de se souvenir que ce sont là des scénarios et non des prédictions. De plus, certains facteurs comme le changement climatique ne sont pas pris en compte, ce qui peut se révéler encore plus pénalisant à long terme.

La comptabilité générationnelle présente surtout l’intérêt de quantifier l’impact des finances publiques sur les différentes classes d’âges de la population existante ou à venir. Comme les contributions passées des générations actuelles ne sont pas considérées, cet instrument ne permet pas d’évaluer l’impact des finances publiques dans leur ensemble. Cela n’empêche pas de quantifier l’impact générationnel d’une réforme budgétaire, puisqu’elle ne touche pas le passé. Il apparaît que différentes réformes budgétaires peuvent avoir des impacts générationnels très différents, ce qui mérite d’être pris en compte lors de l’élaboration de réformes.

 

  1. Postulat 17.3884 : «Actualiser la comptabilité générationnelle» du 29 septembre 2017. []
  2. Borgmann und Raffelhüschen (2004). []
  3. Ecoplan / DIA (2021). []
  4. Conseil fédéral (2021). []
  5. AFF (2021), Brändle et al. (2022). []
  6. La lacune de financement est la modification du solde budgétaire qu’il faut effectuer sur une certaine période pour atteindre le même niveau d’endettement (en francs) en fin de période qu’au début. []

Bibliographie

 

 

 

 

 

Proposition de citation: Martin Baur ; Pierre-Alain Bruchez (2022). Les finances publiques privilégient-elles certaines générations. La Vie économique, 29 mars.

Intérêt et limites de la comptabilité générationnelle

La comptabilité générationnelle présente l’intérêt d’évaluer l’impact intergénérationnel et de considérer un horizon temporel très lointain, voire infini, ceci au prix d’hypothèses entachées de fortes incertitudes. Par ailleurs, les points suivants ne sont pas pris en compte :

  • Contributions passées (notamment AVS) des cohortes vivant actuellement
  • Impact intergénérationnel indirect passant par les héritages ou autres transactions privées
  • Deuxième pilier
  • Changement climatique
  • Impact redistributif intragénérationnel d’une réforme visant à corriger un impact intergénérationnel.

 

Le concept d’absence de changement de politique utilisé pour évaluer la nécessité de réformes est plus difficile à définir quand l’horizon temporel est éloigné. Continuer d’aligner les rentes AVS sur l’indice mixte (qui compense complètement l’inflation, mais intègre seulement pour moitié l’augmentation des salaires réels) constitue-t-il une «absence de changement de politique», alors que cela implique qu’à un horizon infini, la rente AVS devient une proportion nulle du salaire qu’elle est censée contribuer à remplacer ? On peut en douter.