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50 ans de libre-échange entre la Suisse et l’UE

L’accord de libre-échange de 1972 et les autres accords conclus avec l’Union européenne (UE) ont permis de démanteler une partie des entraves commerciales, tout en donnant une impulsion au commerce extérieur de la Suisse. Néanmoins, la concurrence sur le marché intérieur de l’UE a augmenté depuis.
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La conseillère fédérale Karin Keller-Sutter et ses collègues Guy Parmelin et Ignazio Cassis se présentent devant la presse le 26 mai 2021 pour annoncer la fin des négociations sur l’accord-cadre avec l’UE. (Image: Keystone)

La « route du sbrinz » mène du lac des Quatre-Cantons à Domodossola en passant par Engelberg, le col du Grimsel et celui de Gries. Sur ces chemins muletiers, l’on transportait au Moyen-Âge vers les marchés italiens non seulement le fromage à pâte dure sbrinz de Suisse centrale, mais aussi du sel de la région du lac de Constance et du bétail de Suisse[1]. La route du sbrinz témoigne aujourd’hui encore des premiers échanges commerciaux de la Suisse avec l’Europe, bien avant la création de l’Union européenne (UE). Le Rhin était lui aussi une voie commerciale très utilisée: au début des années 1950, 40% de l’ensemble du commerce extérieur passait par la flotte rhénane[2].

À l’époque, les marchandises ne devaient pas seulement franchir des cols enneigés et des rapides, il y avait encore de nombreuses autres entraves commerciales. Les voyageurs de commerce devaient non seulement posséder une pièce d’identité reconnue les autorisant à passer la frontière et à vendre ou acheter des biens, mais il leur fallait également s’acquitter de droits à l’importation et de passage.

La suppression de ces entraves est particulièrement importante pour l’économie suisse puisque le pays ne dispose guère de ressources naturelles et que son marché intérieur est relativement restreint. Les Suisses doivent leur niveau de vie élevé essentiellement aux échanges économiques avec l’étranger. L’UE joue ici un rôle crucial puisque, en 2020, la Suisse a réalisé avec elle plus de la moitié de son commerce de marchandises (56%) et 40% de son commerce de services[3].

Adaptations progressives

Dans la foulée de l’intégration européenne, de nombreuses entraves au commerce ont pu être démantelées. Un événement décisif a été l’instauration de l’Union douanière de l’UE, qui a fêté ses 50 ans d’existence en 2018. Elle a aboli les droits de douane et les redevances entre États membres. Comme la Suisse n’en faisait pas partie, les exportateurs suisses ont d’abord subi un désavantage compétitif par rapport à leurs concurrents de l’Union douanière.

La situation a changé en 1972 avec la conclusion d’un accord de libre-échange entre la Suisse et ce qui s’appelait alors la Communauté économique européenne (CEE). Cet accord constituait le fondement de l’ouverture réciproque des marchés, dans la mesure où il créait une zone de libre-échange pour les produits industriels et réglementait le commerce des produits agricoles transformés. Il est de loin l’accord de libre-échange le plus important de la Suisse[4] et aussi de l’UE.[5]

La création de l’Union douanière de l’UE ne garantissait cependant pas la liberté de commerce entre ses États membres, car les échanges restaient entravés par de nombreuses réglementations nationales (prescriptions régissant les normes de production, les mouvements de capitaux ou les transports, privilèges intérieurs en matière de marchés publics ainsi que formalités de douane compliquées et barèmes de TVA différents). Certes, ces réglementations visaient le plus souvent à protéger les consommateurs, les travailleurs ou l’environnement, mais elles entravaient fortement les échanges économiques. Diverses réformes[6] ont permis de les démanteler dans plusieurs domaines entre les pays membres.

Il en a découlé des désavantages compétitifs pour les producteurs suisses, qui ne pouvaient bénéficier par exemple de l’interdiction des discriminations entre les organismes d’assurance introduite au sein de la CEE en 1973. En 1989, la Suisse a finalement conclu avec la CEE un accord sur les assurances, lequel permet aux compagnies d’assurance suisses (actives dans le domaine non-vie[7]) de fonder et d’exploiter des succursales dans toute l’UE.

Adaptation du droit suisse

Même sans engagement contractuel, la Suisse a progressivement repris les réglementations communautaires dans certains secteurs du commerce extérieur. C’est ainsi que, dans de nombreux domaines, les produits vendus en Suisse répondent aux exigences de l’UE. Les producteurs suisses ne sont donc pas obligés de créer des lignes de production différentes pour les deux marchés. Cette adaptation unilatérale du droit suisse ne garantit toutefois pas un accès sans entrave au marché intérieur européen. Pour obtenir une reconnaissance contractuelle de l’adaptation largement autonome de ses prescriptions, la Suisse a conclu d’autres accords sectoriels avec l’UE.

L’accord de libre-échange a ainsi été complété en 1992 par celui facilitant les contrôles et formalités lors du transport des marchandises[8]. Les Bilatérales I (1999) et II (2004) ont entraîné la conclusion de deux autres paquets d’accords sectoriels, parmi lesquels ceux comprenant des dispositions sur les entraves non tarifaires au commerce (par exemple concernant la reconnaissance des prescriptions techniques ou des dispositions en matière d’homologation des produits industriels et agricoles ou la libéralisation des marchés des transports) et les accords sur la libre circulation des personnes revêtent une importance particulière pour le commerce extérieur suisse.

Ces améliorations progressives de l’accès au marché intérieur européen sont une base importante de l’augmentation constante du volume des marchandises échangées avec l’UE (voir illustration). Dans le même temps, la part de l’UE dans le volume total du commerce suisse a cependant diminué, principalement en raison de la croissance du commerce de la Suisse avec les pays émergents, notamment d’Asie. La plus grande part du commerce suisse avec l’UE revient aux échanges avec les pays voisins. Mais cette part a elle aussi diminué avec le temps (1995: 75% ; 2020: 65%), ce qui indique que les entreprises suisses ont intensifié les échanges avec les autres pays de l’UE et bénéficié de ses élargissements successifs.

Volume des échanges de marchandises suisses (1988–2021)

Remarque: 2009: crise économique et financière; 2015: suppression du taux plancher de l’euro; 2020: pandémie du Covid-19. Données d’ordre conjoncturel (total 1), c’est-à-dire sans commerce de l’or, d’autres métaux précieux, de pierres précieuses et de gemmes, d’objets d’art et d’antiquités; 2021: données provisoires. Source: Statistiques du commerce extérieur (OFDF) / La Vie économique.

 

Baisse de la compétitivité

Depuis la conclusion de l’accord de libre-échange en 1972, le marché intérieur de l’UE s’est développé de façon importante. La Suisse profite de son intégration économique à l’UE dans la mesure où elle participe au marché intérieur dans certains secteurs. Il en résulte que la Suisse est parfois plus fortement liée au marché intérieur de l’UE que certains de ses États membres[9].

Grâce aux accords bilatéraux, les entreprises suisses sont sur un pied d’égalité avec les entreprises européennes au sein du marché intérieur de l’UE. En outre, elles y bénéficient d’un avantage compétitif sur leurs concurrents des pays tiers. Il existe cependant un risque que cette compétitivité au sein de l’UE diminue de plus en plus – par exemple à cause de l’intégration croissante de l’UE à laquelle la Suisse ne participe pas. L’UE révise et développe actuellement de nouvelles réglementations et standards dans divers nouveaux domaines (pacte vert européen, concurrence et subventions étrangères, stratégie numérique) qui auront également un impact sur les entreprises suisses.

Par ailleurs, la concurrence étrangère sur le marché intérieur de l’UE augmente à la suite de nouveaux accords de libre-échange conclus par l’UE avec des États tiers, comme le Japon (2018), la Corée du Sud (2011) ou le Canada (2017). Les exportateurs de ces États bénéficient désormais également d’une large exemption de droits de douane et de certaines facilitations commerciales. Même si les fournisseurs suisses tirent profit d’avantages nettement plus importants sur le marché intérieur de l’UE grâce aux accords bilatéraux, leurs avantages concurrentiels par rapport à ces fournisseurs sur le marché intérieur de l’UE diminuent malgré tout.

Il est donc important que la Suisse puisse conserver, approfondir et élargir ses relations privilégiées avec l’UE. Le 26 mai 2021, le Conseil fédéral a mis fin aux négociations sur un accord institutionnel après qu’il se fut avéré impossible de tenir suffisamment compte des intérêts essentiels de la Suisse. Dans le même temps, la Suisse a confirmé qu’elle entend poursuivre la voie bilatérale éprouvée et qu’elle aspire à une stabilisation et à un développement de la coopération bilatérale avec l’UE. Pour trouver une base commune, la Suisse et l’UE devront sans doute franchir quelques cols enneigés.

 

  1. Küchler (2003). []
  2. Dictionnaire historique de la Suisse (2012). Navigation. Sur l’histoire du commerce extérieur suisse, lire aussi l’article d’Andrea Franc[]
  3. OFS (2021). []
  4. Seco (2021). []
  5. Commission européenne (2021). []
  6. L’Acte unique européen (AUE) a été le premier des ces traités réformateurs, suivi de ceux de Maastricht, Amsterdam, Nice et Lisbonne. []
  7. Cet accord concerne essentiellement l’assurance de biens et l’assurance en responsabilité civile, comme les assurances automobile, ménage ou voyage. []
  8. L’accord sur le transport des marchandises a été remplacé en 2011 par l’accord sur la facilitation et la sécurité douanières, augmenté précisément de l’aspect sécurité douanière. []
  9. König et Ohr (2014). []

Bibliographie

Bibliographie

Proposition de citation: Wegmüller, Claudio (2022). 50 ans de libre-échange entre la Suisse et l’UE. La Vie économique, 09. mars.