Rechercher

Géothermie profonde, une solution énergétique juste sous nos pieds

À l’heure où les débats sur la sécurité de l’approvisionnement énergétique et la protection du climat font rage, il convient de repenser notre mix énergétique. La géothermie est une solution pour résoudre l’équation énergétique et climatique actuelle.
Taille de la police
100%

Forage géothermique à Lavey-les-Bains, dans le canton de Vaud. (Image: Keystone)

Aujourd’hui, le constat est flagrant: de Genève à Bâle, en passant par les cantons de Vaud et du Jura, la géothermie profonde (à partir d’environ 500 mètres de profondeur) connaît un nouvel essor[1]. La Suisse s’est enfin lancée à la découverte de son sous-sol profond et à la conquête de son potentiel géothermique. Cette vaste tâche est toutefois risquée, car notre sous-sol est une véritable boîte noire, et coûteuse, car son exploration nécessite des investissements initiaux élevés. Sans compter qu’une industrie performante doit se créer quasiment de toute pièce, sans bénéficier de décennies de tradition pétrolière et gazière. Néanmoins, la géothermie profonde reste une solution attrayante pour faire face aux défis énergétiques et climatiques actuels.

Les nouvelles venant des quatre coins de l’Europe – notamment la guerre en Ukraine et la décision de la France de relancer son programme du nucléaire –nous rappellent que notre système énergétique doit être plus résilient, plus flexible et plus fiable. Il nous faut trouver des solutions pour mieux subvenir à nos besoins énergétiques sans toutefois remettre à plus tard la gestion de certains revers de la production d’énergie. L’immensité de la tâche nous fait baisser les yeux, non pas de découragement, mais dans l’espoir qu’une partie de la solution se trouve sous nos pieds.

Source de chaleur et d’électricité

Le sous-sol suisse renferme un vaste réservoir naturel de chaleur disponible en permanence, inconditionnellement. Les ressources géothermiques du sous-sol de faible profondeur sont déjà largement exploitées pour chauffer des maisons individuelles: en Suisse, les sondes géothermiques avec pompes à chaleur fournissent actuellement plus de 80 % des quelques 4 térawatts heures (TWh) de chaleur produite à partir de la géothermie. Cette énergie renouvelable peut aussi être utilisée dans d’autres domaines comme le chauffage et la climatisation centralisés ou la production d’électricité quand la ressource atteint une température supérieure à environ 110°C. Elle peut également fournir en énergie des industries, des quartiers voire des agglomérations entières et même nous aider à équilibrer notre système énergétique en nous offrant de précieuses capacités de stockage saisonnier, puisque la chaleur excédentaire peut être stockée dans le sous-sol pour être utilisée lorsque la demande augmente.

Nos voisins européens mettent en œuvre de très nombreux projets démontrant les applications commerciales de la géothermie profonde dite «hydrothermale», c’est-à-dire exploitant les sources d’eau chaude naturellement présentes dans les couches perméables du sous-sol. En France, quelque 55 projets hydrothermaux sont menés dans le Bassin parisien, fournissant de la chaleur à près d’un million d’habitants depuis la fin des années 1970. En comparaison, il n’existe qu’un seul projet équivalent en Suisse, celui de Riehen (BL), qui fournit de la chaleur à près de 8000 habitants depuis 1994. Il est également possible de développer des systèmes non conventionnels, comme les systèmes géothermiques améliorés ou «en boucle fermée» grâce auxquels on peut exploiter la chaleur du sous-sol indépendamment de la présence d’eaux géothermales. La géothermie profonde dite «pétrothermale» qui permet de produire de l’électricité et de la chaleur en exploitant la chaleur existante dans les roches cristallines à grande profondeur est également très prometteuse. Citons dans ce domaine le projet finlandais réalisé en 2021 dans la banlieue d’Helsinki qui inclut le forage de deux puits stimulés à 6,5 km de profondeur. En Suisse, l’Office fédéral de l’énergie (Ofen) estime que l’exploitation de l’énergie de la roche chaude et sèche devrait fournir la majeure partie de l’électricité géothermique produite en Suisse d’ici 2050, soit 2 TWh. Les avancées technologiques permettent d’exploiter des ressources géothermiques toujours plus profondes mais aussi d’élargir l’éventail des applications de la géothermie.

Une pesée des intérêts s’impose

La géothermie profonde compte de nombreux atouts. Elle fournit un approvisionnement énergétique indigène « en ruban », c’est-à-dire exploitable en continu car ne dépendant que des caractéristiques intrinsèques du sous-sol. En conséquence, la géothermie pourrait être, au moins en partie, une alternative au nucléaire. Flexible, la production d’énergie géothermique peut être augmentée en cas de forte demande journalière ou saisonnière; elle représente donc une solution au problème d’approvisionnement hivernal et peut contribuer à réduire la dépendance de la Suisse au gaz. Enfin, contrairement aux énergies fossiles qui sont soumises à une volatilité chronique, le prix de l’énergie géothermique reste sable et n’est pas non plus influencé par les variations climatiques.

Cependant, la géothermie suscite aussi des craintes environnementales, notamment de contamination des ressources souterraines en eau potable. De plus, les activités de stimulation et de forage ne sont pas sans risque et peuvent provoquer des tremblements de terre dommageables comme observés lors des projets de Bâle et St-Gall. Pour réduire ces risques, on pourrait appliquer à l’exploitation géothermique les bonnes pratiques et les standards établis depuis des décennies par l’industrie pétrolière dans les domaines de la gestion des réservoirs et de l’intégrité des puits. Geo Energie Suisse SA a mis en place dans le cadre de son projet pilote de géothermie profonde à Haute-Sorne (JU) un système de suivi des secousses sismiques, qui permet au porteur de projet d’adapter les opérations afin de rester en-dessous du niveau d’alerte le plus bas et de réagir en cas d’augmentation des activités sismiques.

 

Géothermie et production de lithium

De nouvelles opportunités se profilent déjà pour améliorer encore l’attractivité économique de la géothermie profonde. L’utilisation «en cascade» de la chaleur est par exemple une source supplémentaire de revenus pour les projets géothermiques: elle permet de produire d’abord de l’électricité, puis, à mesure que la température diminue, de la chaleur permettant de fournir en eau chaude des habitations, des serres maraîchères ou des exploitations de pisciculture. Certaines eaux géothermales contiennent également des métaux d’importance économique et stratégique comme le lithium géothermal qui est utilisé dans la production de batteries automobiles et peut favoriser la transition vers la mobilité électrique. Enfin, un transfert de technologie et de connaissances permettrait une accélération du déploiement de la géothermie et une baisse significative des coûts d’investissement liés à son exploitation. En Suisse, les échanges s’institutionnalisent entre les acteurs de la géothermie, à l’instar du programme d’échange de connaissances et de technologies «Transfer» lancé par l’association faîtière Geothermie Suisse. À l’échelle mondiale, l’industrie pétrolière se lance dans le stockage géologique de dioxyde de carbone mais n’est pas encore prête à se diversifier, bien qu’elle détienne toute l’expertise nécessaire dans ce domaine. Il faudra donc attendre un fait d’actualité encore plus fort pour initier un tel changement.

 

Un potentiel encore largement sous-exploité

En Suisse, la géothermie de faible profondeur utilisant des pompes à chaleur reste aujourd’hui la méthode la plus répandue pour exploiter les ressources géothermiques. Les investissements nécessaires pour des projets d’exploration du sous-sol plus profond sont encore jugés trop élevés, même si, dans le cas de projets de géothermie non conventionnelle, ces investissements servent, au-delà du projet lui-même, à démontrer la faisabilité d’une technologie prometteuse. De ce fait, tant que de nouvelles avancées techniques et des économies d’échelle ne seront pas réalisées, la Confédération continuera à soutenir la géothermie à l’instar des autres énergies renouvelables afin de créer un environnement réglementaire propice à l’énergie géothermique et soutenir le marché encore balbutiant en Suisse. Les nombreux projets inscrits à l’agenda 2022 de la géothermie profonde révèlent néanmoins que l’aide de l’État commence déjà à porter ses fruits.

La valeur de la géothermie se définit par bien plus que sa compétitivité économique ou son empreinte carbone. Les possibilités d’applications sont vastes, à l’image de son potentiel d’exploitation. Il ne nous faut plus qu’un succès pour donner une inertie durable au développement de cette énergie renouvelable en Suisse.

  1. Voir le site de Geothermie Suisse pour une liste des projets de géothermie en Suisse. []

Proposition de citation: Lupi, Nicole (2022). Géothermie profonde, une solution énergétique juste sous nos pieds. La Vie économique, 19. avril.