Les régions frontalières durement touchées par la pandémie en Suisse orientale
Clôture frontalière près de Kreuzlingen (TG) pendant le confinement en avril 2020. (Image: Keystone)
Les mesures prises pour lutter contre le coronavirus ont fait office de test de résistance dans les régions frontalières de la Suisse. En 2020, une étude mandatée par la Conférence des gouvernements cantonaux de Suisse orientale a analysé l’effet des mesures nationales et étrangères sur les échanges transfrontaliers[1] en se référant notamment aux données sur la mobilité et le trafic des paiements disponibles depuis la crise du Covid-19 et accessibles au public en temps réel ou avec un léger décalage.
Des données de l’année 2021 portant sur la région dite de « Suisse orientale », c’est-à-dire sur la région qui correspond aux cantons d’Appenzell Rhodes-Extérieures, Appenzell Rhodes-Intérieures, Glaris, Grisons, Schaffhouse, St-Gall et Thurgovie, ont également été analysées pour le présent article. Les « régions frontalières étrangères » désignent les régions limitrophes de l’Allemagne, de l’Autriche et de l’Italie.
Baisse de la circulation des personnes
Concernant le trafic motorisé des voyageurs, les chiffres de l’Office fédéral des routes (Ofrou) montrent que, pendant la pandémie, la mobilité transfrontalière était nettement plus restreinte que la mobilité à l’intérieur des frontières (voir illustration 1). Le recul du trafic frontalier des voitures de tourisme a atteint jusqu’à 70% lors du premier confinement en avril 2020 par rapport aux deux premiers mois de cette même année, tandis qu’il n’a reculé au maximum que de 50% à l’intérieur de la Suisse, comme le montrent les postes de comptage intérieurs.
En 2021, la mobilité transfrontalière globale a largement dépassé le niveau de 2020. Cependant, le trafic a de nouveau diminué plus fortement aux points de passage frontaliers qu’à l’intérieur de la Suisse pendant la cinquième vague de la pandémie, à la fin de l’année 2021.
Ill.1: Trafic motorisé de personnes aux postes frontaliers de Suisse orientale (2020–2021)
Remarque: le graphique montre l’évolution hebdomadaire de deux trafics: celui des voitures de tourisme à des stations de mesure sélectionnées à l’intérieur de la Suisse et celui constaté en Suisse orientale aux postes de comptage à la frontière avec l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie. Source: Office fédéral des routes (Ofrou) / La Vie économique.
Stabilité du commerce de marchandises
Les chiffres de l’Ofrou montrent que le trafic des poids lourds a été moins touché par les mesures prises pour lutter contre la pandémie que le trafic des voyageurs: au plus fort du premier confinement, à la mi-avril 2020, le trafic de poids lourds a diminué de 40% au maximum par rapport aux mois précédant la pandémie, tant à l’intérieur de la Suisse qu’au niveau transfrontalier.
Ces chiffres suggèrent que les chaînes d’approvisionnement transfrontalières de l’industrie et du commerce n’ont été entravées que pendant peu de temps et qu’elles se sont rapidement stabilisées. L’évaluation des exportations et des importations de marchandises en Suisse orientale, qui ont certes diminué en 2020 mais se sont rétablies rapidement par la suite, vient confirmer cette hypothèse. Cette évolution est due dans une large mesure à la conjoncture internationale à laquelle l’industrie de la Suisse orientale est très fortement exposée en raison du dynamisme de son industrie de biens d’équipement[2] .
Le tourisme mis à rude épreuve
Le tourisme transfrontalier a enregistré une très forte baisse pendant la pandémie. Selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), il a diminué de 70 % au cours des huit premiers mois de l’année 2020 par rapport à l’année précédente[3], étant par moments pratiquement à l’arrêt à la suite de la fermeture des frontières et de l’obligation de quarantaine.
En 2020 et au premier semestre de 2021, de nombreuses personnes des pays limitrophes ont renoncé à passer leurs vacances dans les cantons étudiés (voir illustration 2). Un grand nombre de destinations touristiques ont tout de même réussi à compenser en partie cette perte grâce à la venue de touristes suisses qui, pour la même raison, pouvaient difficilement voyager hors des frontières. Les villes ont cependant peu profité de la demande intérieure, car le tourisme d’affaires, si important pour elles, a largement fait défaut. La ville de Davos, dans les Grisons, est un cas particulier, car elle a connu un effondrement massif du tourisme de congrès à la suite de l’annulation du Forum économique mondial (WEF).
Dans la gastronomie, le montant des transactions effectuées par carte en 2021 se situait à nouveau au-dessus du niveau de 2019, comme le montrent les chiffres du Monitoring Consumption Switzerland. Toutefois, cette évolution pourrait s’expliquer en partie par un changement dans les habitudes de paiement.
Ill. 2: Nuitées en Suisse orientale (en 2020 et 2021 par rapport à 2019)
Remarque: cantons de AI, AR, GL, GR, SG, SH et TG . Source: Office fédéral de la statistique, statistique de l’hébergement touristique / La Vie économique.
Le tourisme d’achat à l’arrêt
Le tourisme d’achat a subi une forte baisse pendant la pandémie: les paiements effectués par carte de débit en Allemagne par des personnes vivant en Suisse ont nettement diminué en 2020 et 2021 par rapport à 2019.
Le bilan est mitigé dans le commerce de détail en Suisse: alors que le secteur des denrées alimentaires a enregistré une forte hausse des transactions par carte en 2020 et en 2021, le secteur non-alimentaire a fortement reculé à cause du confinement. Cependant, pendant toute l’année 2021, les chiffres d’affaires réalisés dans le secteur non-alimentaire dépassaient déjà ceux de de 2019.
Le marché du travail transfrontalier s’est avéré stable dans l’ensemble. Selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique (OFS), le nombre de frontaliers est resté en 2020 au niveau d’avant la crise, que ce soit en termes de provenance des frontaliers ou de cantons dans lesquels ils exercent leur activité professionnelle. Le nombre de frontaliers venant d’Italie (principalement pour travailler dans les Grisons) a même progressé légèrement. En 2021, le nombre de frontaliers a de nouveau augmenté dans toute la Suisse orientale.
Cette situation s’explique par les indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail, qui ont aussi été versées aux frontaliers et ont permis d’éviter des licenciements. De plus, la Suisse avait convenu avec les pays voisins, en adéquation avec les recommandations de l’UE, que les frontaliers travaillant à leur domicile en raison du coronavirus continueraient à bénéficier de l’assurance sociale en Suisse.
Des données en temps réel fort utiles
En conclusion, on peut dire que les données en temps réel utilisées dans cette étude, comme les chiffres du trafic de l’Ofrou, les données sur les paiements émanant du «Monitoring Consumption Switzerland» et les évaluations spéciales de l’Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières (OFDF) sur les flux commerciaux cantonaux mensuels, se sont avérées un complément précieux aux données traditionnelles telles que les nuitées ou les sondages effectués auprès des entreprises.
Ces sources de données peuvent constituer une base importante pour le suivi de l’évolution de la situation économique régionale en Suisse. Si elles commencent tout juste à être exploitées, l’objectif à terme consisterait à disposer d’une infrastructure de données utilisable à l’échelle nationale pour le monitorage des régions.
- Scherrer R., Zwicker-Schwarm D., Moser P., Haxhimusa A., Derungs C. (2020). Die Ostschweiz und ihre Nachbarn – wie Corona die grenzüberschreitenden Verflechtungen beeinflusst, étude mandatée par la Conférence des gouvernements cantonaux de Suisse orientale (en allemand). []
- Büchel, K.; Legge; S., Pochon; V.; Wegmüller, P. (2020). Swiss trade during the COVID-19 pandemic: an early appraisal. Revue suisse d’économie et de statistique (2020), 156:22.. []
- OMT (2020). Baromètre OMT du tourisme mondial, Vol. 18, Issue 6. []
Proposition de citation: Haxhimusa, Adhurim; Moser, Peter (2022). Les régions frontalières durement touchées par la pandémie en Suisse orientale. La Vie économique, 07. avril.