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Finance durable et pays en développement: comment lever les obstacles?

La forte croissance de la finance durable ces dix dernières années a peu profité aux pays en développement. Selon les experts de l’IC Forum 2022, réglementations, normes vertes fiables et réduction des risques financiers sont les maîtres mots pour changer la donne.
Parc solaire de Ninh Thuan au Vietnam, en 2019. Le Seco a contribué à sa construction au travers du « Private Infrastructure Development Group » . (Image: PIDG)

Le premier Forum de la coopération internationale («IC Forum 2022») a eu lieu le 31 mars 2022 à Genève. Organisé par le Département fédéral des affaires étrangères, il a réuni un panel d’experts nationaux et internationaux de la finance durable dans le but d’examiner comment la coopération internationale (CI) suisse pourrait soutenir l’augmentation des investissements durables dans les pays en développement.

Le marché des investissements durables a connu une forte croissance ces dix dernières années. Cependant, la plupart des actifs durables ont été investis dans les marchés développés, alors que les défis liés à la durabilité sont encore plus nombreux dans les pays en développement.

Jusqu’à présent, le financement public a été le principal moteur des projets de durabilité à grande échelle dans les pays en développement. Pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD) adoptés par les Nations Unies en 2015, notamment les objectifs dans le domaine du changement climatique, il est toutefois essentiel d’attirer également des capitaux privés.

Quels sont les obstacles à l’investissement durable dans le changement climatique des pays en développement? Selon les experts réunis à l’IC Forum 2022, les principaux défis sont les suivants: d’une part, il manque une réglementation et des labels fiables qui favoriseraient une orientation durable de l’économie des pays en développement; d’autre part, les investisseurs sont découragés par les risques élevés et les rendements faibles liés à ces investissements.

Renforcer la réglementation des investissements durables

Les investisseurs internationaux actifs dans la finance durable exigent de leurs partenaires d’investissement qu’ils appliquent de solides critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Cependant, dans les pays en développement, les pratiques ESG de nombreuses entreprises sont souvent insuffisantes. Il est donc primordial d’appliquer des critères ESG à l’ensemble du marché. Ceux-ci constituent un cadre nécessaire pour encourager les investissements durables et aident à internaliser les risques ESG dans les stratégies d’investissement et les produits des institutions financières, contribuant ainsi à renforcer l’efficacité et la stabilité des marchés financiers.

Le Secrétariat d’État à l’économie (Seco) apporte son soutien aux gouvernements et au secteur financier de ses pays partenaires afin d’améliorer les règles de mise en œuvre des critères ESG. Il encourage également les institutions financières et les entreprises locales à développer et appliquer des systèmes de gestion des risques ESG solides et fiables.

Les experts réunis lors du Forum sur la coopération internationale ont émis des recommandations afin d’améliorer les réglementations en vigueur dans le domaine de l’investissement durable. Ils préconisent, d’une part de continuer de soutenir la mise en place de conditions-cadres encourageant les investissements privés dans des projets liés à la durabilité dans les pays en développement et d’élargir ce soutien à un plus grand nombre de pays. D’autre part, ils estiment qu’il est essentiel d’encourager les investissements privés dans l’adaptation au changement climatique afin d’aider les populations les plus vulnérables. Ils considèrent que c’est un domaine dans lequel la coopération internationale suisse (CI) peut avoir un impact significatif en attirant des capitaux privés et qu’elle est très bien positionnée pour soutenir les pays en développement. En rassemblant et mettant à disposition leurs données sur les risques climatiques, elle peut guider et prioriser les investissements des gouvernements en matière d’adaptation aux changements climatiques et identifier les investissements privés qui seraient nécessaires.

Des normes et des labels de durabilité fiables

Pour que les particuliers investissent dans des obligations durables de pays en développement via le marché des capitaux, ces pays doivent disposer de labels crédibles permettant aux investisseurs d’avoir la certitude que leurs produits financiers intègrent des critères de durabilité. C’est pourquoi le Seco a soutenu dès 2016 le développement de normes internationales dans le cadre de l’Initiative pour les obligations climat («Climate Bonds Initiative»). Il a soutenu avec la Banque interaméricaine de développement les premières obligations vertes émises par des banques de développement locales en Colombie et au Pérou. En collaboration avec l’autorité de surveillance des marchés financiers de Colombie, le Seco a également développé des directives basées sur des normes internationales comme la taxonomie européenne sur la finance durable.

Le panel d’experts de l’IC Forum a conseillé à la coopération internationale (CI) suisse, d’une part de renforcer les capacités des institutions financières des pays en développement et de soutenir les réformes qui permettent notamment d’avoir accès aux données climatiques au niveau des actifs et des entreprises, de définir des exigences pour la mesure et la divulgation des risques climatiques et d’augmenter les ressources dédiées à la durabilité dans les entreprises. D’autre part, les experts estiment que la CI suisse peut jouer un rôle important en encourageant les organismes de normalisation à travailler avec les régulateurs et les experts des pays en développement afin que les priorités et les contraintes des entreprises de ces pays soient bien prises en compte. Enfin, le panel d’experts rappelle que l’Office fédéral de l’environnement et le Secrétariat d’État à la finance internationale ont lancé conjointement l’initiative «Swiss Climate Score» dans le but de fournir aux acteurs du marché des indications sur la manière dont leurs investissements sont alignés sur les objectifs de l’Accord de Paris. Il estime que la CI suisse pourrait encourager l’utilisation de ce système de notation afin d’aider les investisseurs à faire des choix éclairés et à débloquer les capitaux (suisses et étrangers) vers les pays en développement qui présentent de bonnes opportunités d’’investissement.

Réduire les risques des investisseurs privés

Outre des conditions-cadres solides, le recours au financement mixte (blended finance) incite le secteur privé à réaliser des investissements supplémentaires dans des projets durables dans les pays en développement. L’utilisation ciblée de capitaux publics lors de la préparation des projets, de même que les garanties ou l’assistance technique, jouent un rôle central à cet égard.

L’approche de l’organisation spécialisée dans le développement et le financement innovants d’infrastructures dans les pays les plus pauvres Private Infrastructure Development Group (PIDG), que le Seco soutient depuis 2002 en tant que membre fondateur, a été présentée à titre d’exemple lors de l’IC Forum 2022. Le PIDG intervient tout au long du cycle de vie d’un projet afin de développer et de mettre en œuvre avec succès des projets d’infrastructure durables et prêts à être investis.

Le recours à des fonds publics et philanthropiques pour mobiliser les investissements privés est également un moyen efficace d’attirer des financements qui, autrement, ne seraient pas dirigés vers les pays en développement. C’est pourquoi le Seco a lancé récemment l’initiative «SDG Impact Finance Initiative», en collaboration avec UBS Optimus Foundation, Credit Suisse Foundation et la Direction du développement et de la coopération. Ce partenariat public-privé vise à lever d’ici 2030 environ 100 millions de francs auprès d’acteurs publics et philanthropiques afin de mobiliser jusqu’à un milliard de francs de capitaux privés pour la réalisation des ODD dans les pays en développement.

Selon le panel d’experts de l’IC Forum 2022, la coopération internationale (CI) suisse devrait continuer à renforcer les capacités des banques et des entreprises des pays en développement et leur offrir des formations afin de les aider à émettre et rendre compte de l’impact environnemental des obligations vertes qu’elles ont émises. La CI devrait en outre encourager la mise en place d’exigences réglementaires adaptées et accessibles aux petites et moyennes entreprises (PME) pour éviter que la finance verte ne soit limitée aux investissements dans les grandes entreprises. En effet, il faut tenir compte des capacités et ressources limitées des PME des pays en développement qui peuvent rendre difficile l’utilisation d’instruments de financement durables.

Le Forum 2022 de la coopération internationale a montré qu’une approche globale est nécessaire pour augmenter les investissements durables dans les économies émergentes et les pays en développement. La coopération internationale suisse peut jouer un rôle central à cet égard en renforçant les systèmes financiers des pays en développement, en élaborant des réglementations et des conditions cadres pour les investissements durables et en soutenant le financement mixte. Les besoins et capacités des PME devront être particulièrement pris en compte pour réaliser cette transformation à grande échelle vers des économies plus vertes. Il s’agit d’un travail de longue haleine dans lequel la coopération internationale suisse est prête à s’engager.

Proposition de citation: Françoise Salamé Guex ; Jonas Grunder (2022). Finance durable et pays en développement: comment lever les obstacles. La Vie économique, 03 juin.