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Le droit suisse de garantie est-il un cas de garantie?

L’UE renforce son droit de garantie et améliore ainsi la position des consommateurs en cas de produits défectueux. La Suisse doit-elle reprendre la législation européenne, voire aller plus loin? Une nouvelle étude interdisciplinaire analyse les différentes options.
Un membre du «Repair Café» de Berne répare un smartphone. Selon une étude, l’adaptation du droit de garantie ne mènerait guère à des produits plus durables. (Image: Keystone)

Les nouveaux écouteurs ont un faux contact, l’aspirateur robot ne fonctionne plus après un an d’utilisation: ce sont des cas «classiques» de garantie, dit-on communément. En termes juridiques, on parle du droit de garantie, qui constitue en Suisse la base juridique du traitement des produits défectueux. Depuis 2013, celui-ci prévoit un délai de garantie de deux ans, c’est-à-dire que les consommateurs peuvent faire valoir un défaut jusqu’à deux ans après l’achat d’un bien pour autant qu’il soit attribuable à un défaut de fabrication. Cette garantie n’est toutefois pas obligatoire et peut être exclue contractuellement.

De quelle garantie parle-t-on?

C’est la raison pour laquelle, en Suisse, le droit de garantie ne joue qu’un rôle mineur en pratique. Nombre de vendeurs exploitent la possibilité d’exclure les obligations légales de leurs conditions générales, offrant en contrepartie une garantie dont ils déterminent librement l’étendue. Pour les consommateurs et les consommatrices, cela ne fait très souvent pas grande différence: la majorité des fournisseurs offrent deux ans de garantie et se montrent accommodants quand il s’agit de déterminer si un défaut est attribuable à un vice de fabrication ou à une faute de l’acheteur.

Il y a cependant des exceptions. Des enquêtes menées par des organisations suisses de protection des consommateurs relèvent que certains vendeurs sont moins conciliants. Ils n’offrent par exemple qu’un bref délai de garantie ou exigent des acheteurs qu’ils fournissent un rapport d’expertise coûteux pour prouver qu’un défaut est vraiment dû à la fabrication. Ces expertises, voire le recours à un tribunal, n’en valent pourtant souvent pas la peine pour les consommateurs, car leurs coûts dépasseraient la valeur de la marchandise incriminée.[1]

Nouveaux durcissements dans l’UE

La situation est différente dans les pays de l’UE où il existe depuis 1999 un délai de garantie impératif d’au moins deux ans. En outre, le fardeau de la preuve y est renversé pendant les six premiers mois suivant l’achat: ce n’est plus à l’acheteur d’apporter la preuve d’un défaut de fabrication, mais au vendeur de démontrer que le produit vendu ne présentait pas de défaut.

Tout récemment, l’UE a durci une nouvelle fois ces règles. Depuis le milieu de l’année 2021, le renversement du fardeau de la preuve cité précédemment s’applique désormais pendant une période d’au moins un an après un achat. L’UE a également réglementé explicitement le traitement des défauts des produits informatiques comme les logiciels ou les services en nuage[2]. À titre d’exemple, les vendeurs sont désormais tenus de mettre gratuitement à la disposition de leurs clients les mises à jour de logiciels pendant une certaine période.

Il en va autrement en Suisse, où le traitement des défauts des produits informatiques n’est pas réglementé précisément, comme le montre l’étude réalisée par la société de recherche et de conseil aux entreprises Ecoplan, en coopération avec la société de conseil Carbotech et l’Université de Lucerne[3]. Cette étude, menée sur mandat de l’Office fédéral de la justice (OFJ), de l’Office fédéral de l’environnement (Ofev) et du Secrétariat d’État à l’économie (Seco), révèle qu’il est difficile de déterminer si le droit classique du contrat d’achat et, par conséquent, le droit de la garantie, sont applicables en cas de défaut de logiciels informatiques.

Les consommateurs et les entreprises, notamment les PME, sont donc confrontés à une insécurité juridique notable et à des lacunes de la protection juridique pour une partie croissante de leurs achats. Par conséquent, le droit suisse de la garantie n’est plus conforme à l’évolution technologique et devrait, selon cette étude, être adapté.

Option: reprendre la réglementation européenne

Les auteurs de l’étude ont effectué une analyse d’impact de la réglementation, c’est-à-dire un examen systématique des conséquences des éventuelles réformes, afin de réaliser une première évaluation des effets sur la Suisse d’une reprise de la réglementation européenne. Leur analyse conclut que l’adoption de la réglementation européenne améliorerait notamment la sécurité juridique des produits informatiques et renforcerait de manière générale la position des consommateurs en cas de litige.

Comme indiqué précédemment, de nombreux vendeurs se montrent déjà accommodants envers leur clientèle. Quand ce n’est pas le cas, de nouvelles règles comme le renversement du fardeau de la preuve permettraient aux consommateurs d’imposer leurs droits nettement plus facilement. Une reprise de la réglementation européenne n’entraînerait des coûts supplémentaires notables que pour un petit nombre d’entreprises, celles que l’on peut qualifier de «moutons noirs».

Durcir les règles?

Les conséquences seraient encore plus importantes si la Suisse adaptait son droit de garantie au-delà des nouvelles normes minimales de l’UE, à l’instar de l’Islande ou de la Norvège qui connaissent des délais de garantie pouvant aller jusqu’à cinq ans, selon la durée de vie du produit.

Une telle règle permettrait certes d’augmenter le bénéfice pour les consommateurs et les consommatrices et les PME suisses, mais elle engendrerait des coûts supplémentaires pour les commerçants, qui devraient échanger ou réparer à leurs frais davantage de produits défectueux sous garantie. Cela limiterait aussi le commerce des prolongations de garantie, qui représente de nos jours une affaire souvent juteuse pour les vendeurs. Il faut donc s’attendre à ce que ces derniers répercutent une partie des coûts supplémentaires sur leur clientèle, sous la forme d’une augmentation (généralement modeste) des prix.

Guère d’améliorations écologiques

Le durcissement du droit de la garantie est régulièrement associé aux efforts visant à renforcer l’économie circulaire. L’étude démontre cependant que, dans les scénarios étudiés, les conséquences ne seraient que minimes.

Les règles analysées dans le cadre de cette étude n’aboutiront sans doute que dans une très faible mesure à un allongement de la durée de vie des produits ou au retrait de nos rayons des articles bon marché à courte durée de vie. Les surcoûts et les effets incitatifs attendus sont trop faibles, tout comme l’est la part de marché des produits de moindre qualité. Les principaux instruments pour réduire l’empreinte carbone des consommateurs suisses restent les directives d’écoconception de certains produits prévues dans l’initiative parlementaire «Développer l’économie circulaire en Suisse».

Une réforme du droit suisse de garantie serait néanmoins judicieuse, ne serait-ce que pour combler les lacunes en matière de réglementation des produits informatiques. Au vu de l’importance croissante de ce marché, il est dans l’intérêt de tous les acteurs de mettre en place un cadre réglementaire approprié.

  1. Voir p. ex. Alliance des organisations de protection des consommateurs (2021), Ces pratiques qui ont agacé en 2021 (consulté le 4 janvier 2022). []
  2. Voir Directives UE 2019/771 («Directive relative aux contrats de vente de biens») et 2019/770 («Directive relative aux contrats de fourniture de contenus numériques et de services numériques»). []
  3. Voir Ecoplan, Heselhaus, Carbotech (2022). []

Bibliographie

Bibliographie

Proposition de citation: Felix Walter ; Roman Elbel (2022). Le droit suisse de garantie est-il un cas de garantie. La Vie économique, 09 juin.