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Un droit de gage immobilier au service des modèles d’affaires durables

Les nouveaux modèles d’affaires liés à l’économie circulaire ont le vent en poupe, mais rencontrent parfois des obstacles juridiques. Pour y remédier, on pourrait introduire un droit de gage immobilier, qui profiterait en particulier au «contracting énergétique».
Les énergies renouvelables pourraient profiter d’un droit de gage immobilier. Des ouvriers installent une sonde géothermique. (Image: Keystone)

L’économie circulaire a pour but de minimiser la consommation de ressources naturelles en maintenant les produits et les matériaux aussi longtemps que possible dans le circuit. En 2017, Beat Vonlanthen, ancien conseiller aux États fribourgeois du groupe du Centre, demandait au Conseil fédéral d’étudier les mesures susceptibles de stimuler l’économie circulaire[1]. Une première étude réalisée dans le sillage de ce postulat a permis de déterminer le potentiel des modèles d’affaires «basés sur l’utilisation» qui pourraient permettre d’atteindre cet objectif[2] tout en identifiant les obstacles juridiques susceptibles d’entraver leur utilisation. La société de conseil bâloise BSS a récemment réalisé une analyse d’impact de la régulation avec le concours de Bettina Hürlimann-Kaup, professeure et spécialiste des droits réels de l’Université de Fribourg. Ladite analyse a permis d’élaborer une solution pour surmonter ces obstacles juridiques et d’analyser l’impact des modèles en question sur l’environnement, la société et l’économie.

A priori, le principe des modèles d’affaires basés sur l’utilisation est simple: contrairement à ce qui se passe lors d’une vente classique, le produit acheté reste la propriété du vendeur, qui ne vend donc pas le produit (physique), mais son utilisation ou l’utilité recherchée. Prenons l’exemple de la prestation du géant de l’électronique Philips à l’aéroport d’Amsterdam Schiphol: il n’y vend plus des ampoules en tant que produit, mais de l’éclairage en tant que prestation. Autre exemple avec Rolls-Royce, qui ne propose plus de turbines pour les avions, mais la poussée correspondante. L’effet est positif puisque le produit reste la propriété du fabricant ou du prestataire de modèle d’affaires, qui a donc tout intérêt à utiliser le moins de produits ou de ressources possibles et à fabriquer les produits les plus durables.

Le rôle du principe des parties intégrantes

Les modèles d’affaires basés sur l’utilisation peuvent aussi s’avérer intéressants dans le bâtiment: au lieu d’acheter une nouvelle chaudière ou des panneaux solaires, vous pouvez acheter l’utilité que vous recherchez, soit de la chaleur ou de l’électricité. Mais attention, c’est ici que le concept atteint ses limites, en l’occurrence juridiques.

Car lorsqu’on intègre un élément (une chaudière) à un élément principal (une maison), le principe dit des parties intégrantes fait que la propriété de l’élément en question passe au propriétaire de l’élément principal, donc le propriétaire de la maison. Lorsque le prestataire installe une chaudière dans un bâtiment, il en perd donc la propriété. Le principe des parties intégrantes s’applique à tous les modèles d’affaires qui impliquent des produits liés aux fonctions centrales d’un bâtiment, comme la chaleur, le froid, la ventilation ou l’éclairage.

Absence de garantie réelle

Le droit en vigueur ne prévoit aucune exception au principe précité. Il faudrait donc réviser la loi pour que la chaudière évoquée plus haut reste la propriété du fournisseur de chaleur. L’ analyse[3] citée précédemment montre toutefois que le problème en soi n’est pas la perte de la propriété pour le prestataire de «contracting», car celui-ci n’a généralement aucun intérêt à récupérer les produits à l’échéance du contrat, c’est-à-dire en règle générale à la fin de la durée de vie de l’installation.

Le problème, c’est plutôt l’absence de garantie réelle pendant la durée du contrat à la suite de la perte de propriété au moment de l’installation du produit: le prestataire n’a pas la possibilité de démonter l’installation si son utilisateur ne paie plus pour les prestations convenues, notamment s’il fait faillite ou s’il vend sa maison sans transférer son contrat au nouveau propriétaire comme convenu dans les dispositions. Pour le prestataire, il existe donc un risque majeur, à hauteur de la valeur non encore amortie de l’installation.

Le droit de gage immobilier, une solution intéressante

Comme le montre l’étude, il existe pourtant une solution: introduire un droit de gage immobilier. Le prestataire de «contracting énergétique» pourrait ainsi, sous certaines conditions, faire inscrire au registre foncier un droit de gage immobilier concernant le bien qui accueille l’installation, et ce sans l’accord du propriétaire du bien. Si celui-ci devait faire faillite ou vendre le bien sans transférer le contrat de prestation de chauffage à l’acquéreur, le prestataire pourrait demander la vente forcée du bien pour être dédommagé de la perte de la propriété de l’installation. Concrètement, le bien qu’il a contribué à valoriser avec l’installation de son chauffage lui sert de garantie.

Pour des raisons de cohérence politique, il pourrait être pertinent de limiter ce droit de gage immobilier au «contracting énergétique» d’énergies renouvelables: d’abord parce que, en l’état actuel des connaissances, le «contracting énergétique» semble être de toute façon le seul modèle d’affaires concerné par le principe des parties intégrantes. Ensuite, parce que cela permettrait d’éviter des répercussions néfastes imprévues sur l’environnement, par exemple en proposant des installations fossiles par le biais du «contracting».

Rapport coût-utilité positif

L’étude arrive à la conclusion que le rapport coût-utilité de la solution proposée est positif. Tout d’abord, le coût de l’inscription au registre foncier nécessaire à l’introduction d’un droit de gage immobilier est faible, voire négligeable selon les parties prenantes interrogées. Du point de vue de l’utilité, les auteurs de l’étude partent du principe que la solution pourrait contribuer à renforcer l’économie circulaire et à réduire les frais de transaction et les coûts irrécupérables en permettant de limiter, pour le prestataire, le risque de perte lié au principe des parties intégrantes. Mais la principale plus-value réside selon les auteurs dans le fait que la solution proposée contribue à promouvoir les installations de chauffage autres que fossiles.

Force est cependant de constater que l’introduction d’un droit de gage immobilier représente une atteinte considérable à l’autonomie privée puisqu’il ne nécessite pas l’accord du propriétaire. Il appartient au législateur de procéder à une pesée d’intérêts et de décider si l’utilité écologique et économique constatée peut justifier une atteinte aux droits réels et à l’autonomie privée.

  1. Voir postulat 17.3505. []
  2. Voir Infras (2019). []
  3. Voir Meyer et al. (2022). []

Bibliographie

 


Bibliographie

 

Proposition de citation: Niclas Meyer ; Bettina Hürlimann-Kaup ; Christopher Huddleston (2022). Un droit de gage immobilier au service des modèles d’affaires durables. La Vie économique, 19 août.